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dimanche 8 janvier 2012

Définition du SI (suite)

Je suis en train de remettre à jour mon cours à Polytechnique et j'essaye de donner une meilleure réponse à la question "qu'est-ce qu'un système d'information ?". Je vais répondre aux différentes remarques de Claude Salzman et enrichir mon message précédent du 26 juin 2011.

Je reste, pour l'instant, persuadé que d'une part la distinction entre les trois approches :

  • la vision "top-down", le SI défini par rapport à l'entreprise (en intention)
  • la vision "bottom-up", le SI défini comme assemblage (en compréhension)
  • la vision "système  complexe", le SI défini comme un réseau d'éléments en interaction, et dont le comportement échappe à une définition intentionnelle

est pertinente, et que d'autre part, elle est nécessaire (chacune apporte une part de la réponse à la question posée, et il est difficile de faire une synthèse).

(1) La vision top-down n'est pas réductrice. Pour moi elle couvre tous les cas de figures présentés par Claude Salzman. En revanche, elle pose la question de ce qu'est l'entreprise, et de comment la modéliser. Cette question n'est pas tellement plus simple que celle de la nature du système d'information.  Voici un schéma issus d'une article que je présente à ICORES (intitulé "Business Process Enterprise Model").

Ce schéma illustre différentes représentations possible de l'entreprise, à partir desquelles on peut introduire la fonction "Système d'information". Cette fonction couvre naturellement les trois domaines:

  • assister / analyser
  • communiquer / coordonner
  • opérer (automatisation)
Si l'on place l'entreprise dans un schéma plus global qui inclut ses parties prenantes (clients, partenaires, concurrents, ...), on retrouve un décomposition qui rappelle celle de Claude Salzman:
  • Entreprise étendue (support de l'interaction fournisseurs/partenaires, selon les 3 modalités précédentes)
  • Support métier (support à l'exécution des processus métiers au sein de l'entreprise, toujours avec les 3 modalités)
  • Front-office client (support de l’interaction avec les clients)
Cette vision se marie très bien avec l'approche systémique de Jean-Louis Lemoigne, et conduit à un dessin du type:

(2) Le modèle "bottom-up" décrit de façon plus pragmatique ce qu'est le SI et ce qu'il produit. Il est raisonnable  de s'appuyer sur la distinction "Système Informatique" (SF) et "Système d'information (SI) de J. Sassoon. Le  SF est une "usine à produire des services", j'y reviendrai un autre jour (cf. mon livre "Performance du SI"). Le SI est la combinaison du SF, de ses utilisateurs, et des modes d'utilisation (depuis les processus jusqu'aux pratiques et aux comportements en passant par la gouvernance). Cette métaphore de l'usine est très puissante et permet d'aborder des questions fondamentales du SI (coûts, maîtrise, mesure). Voici un schéma extrait de mon cours qui montre un aspect de cette modélisation "bottom-up":

(3) La vision "système complexe" (SC) est fondamentalement différente, puisqu'elle postule qu'il est difficile de décrire ce qu'est le système d'information. En tant que SC, nous pouvons décrire les différents éléments, ainsi que les interactions, ce que propose le schéma suivant (très simplifié). En revanche, ce que fait le SI, comment il se comporte, et à la fin, ce à quoi il sert ... sont difficile à définir car émergents. C'est l'ensemble des interactions qui produit à la fin un résultat.

Ce schéma exprime le SI comme une recette avec 4 ingrédients: des ressources (le fameux "système informatique"), des acteurs,  une organisation (l'entreprise, ses rôles, ses objectifs, ...), et un modèle partagé par les acteurs et le système informatique (depuis la sémantique jusqu'au modèle de fonctionnement). L'ensemble de ces ingrédients s'articule autour du concept des processus métiers.  Cette "recette" / Ce système est placée dans un environnement avec lequel il/elle interagit. Comprendre le système d'information, c'est comprendre le (meta) processus qui construit le SI jour après jour en fonction de ces interactions.

On peut reprendre l'analogie de la voiture proposée par Claude Salzman. Même si la voiture n'est pas un bon exemple de système complexe, il n'est pas si simple de la définir par sa finalité. Les sociologues nous montrent que la voiture répond à des usages et des finalités différentes. Chaque situation de vie engendre des finalités différents (un abris pour un SDF, un lieu de plaisir mobile pour un jeune qui ne dispose pas de domicile personnel, etc.).

On pourrait prendre cette vision "système complexe" comme une préciosité de spécialiste. Je pense au contraire qu'elle capture des enseignements essentiels que tout praticien connait:
  • avec les mêmes approches informatiques, on obtient des bons résultats et des catastrophes dans d'autres
  • L'appropriation de l'utilisateur est fondamentale pour la création de valeur du SI
  • La planification long-terme est difficile ... et nécessaire
  • Les approches "organiques" qui font les analogies avec les "systèmes vivants" sont pertinentes (cf. Kevin Kelly et mon blog).
Cette vision est précisément la réponse à la question "pourquoi est-il si difficile de définir le système d'information ?".