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samedi 25 avril 2015

L’impact de l’Internet des Objets, gouvernance, enjeux et risques


Le 22 avril 2014 Gilbert Réveillon a tenu une conférence sur : "L’impact de l’Internet des Objets, gouvernance, enjeux et risques" devant le Club Français de l'ceGSI, le club européen de la Gouvernance des Système d'Information. Ci-dessous le résumé de son intervention. 

Nous observons un fort développement de l’Internet des Objets qui ne va que s’amplifier encore. Derrière cette multiplication des nouveaux outils on assiste au développement très rapide des données, à la découverte de gisements déjà disruptifs et la promesse de beaucoup d’autres à découvrir. La Data est au cœur de la mutation à venir dans la captation de valeurs des nouveaux écosystèmes qui obligent les acteurs traditionnels à changer de posture. Le passage à l’échelle industrielle est également très structurant voire fertilisant sur certaines zones géographiques et régionales.

Les grandes familles d’applications des objets connectées à Internet

L’analyse montre qu’il se dégage cinq grandes familles d’applications :
·       Les « connecting home ou maisons connectées ». Avec le « smart home » c’est la climatisation et la sécurité des domiciles, le management à distance des installations, les systèmes de distractions, la domotique… Le cabinet Berg Insight estime que les revenus générés par les foyers connectés vont passer de 1 milliard de dollars en 2012 à 12,5 milliards de dollars en 2017.
·       Les « wearables ou tout ce qui se porte et qui est intelligent ». Ce sont les montres et les lunettes connectées, les systèmes de fitness, les cameras portables (type GoPro), les accessoires complexes, les vêtements connectés… Ce marché est estimé par la banque Goldman Sachs à 2,5 milliards de dollars en 2013 et devrait atteindre 19,5 milliards de dollars en 2017. Les segments les plus dynamiques en 2015 devraient être les accessoires intelligents et les vêtements intelligents (« smart garment »). 
·       L’ « Internet Industrial ou internet industriel » qui comprend la robotique, l’automatisation de l’entreprise, l’amélioration de l’efficacité de la chaîne logistique, le nommage décuplé avec IPV6 etc.
·       Les « connecting cities ou villes connectées ». Avec les « smart cities » ils comprennent les analyses temps réel des flux, la gestion de l’éclairage public, la gestion des parkings, la recharge des véhicules électriques, la logistique optimisée et transmodale, et les compteurs intelligents d’électricité, de gaz et d’eau. Selon Goldman Sachs on va assister dans les années à venir à l’installation de 1,5 milliard de compteurs intelligents.
·       Les « connected cars ou voitures connectées » : le diagnostic des véhicules, la navigation, la sécurité, la gestion des flux de véhicules, les « computing units » dans le véhicule autonome se développent avec de nouveaux standards de communication entre chacun d’eux, à la clé l’émergence de nouveaux chefs d’orchestre qui changent et imposent leurs règles dans des stratégies de plateformes,… Ce dernier segment est le plus important. Quasiment inexistant actuellement il devrait représenter 60 % du marché mondial des voitures en 2020. Au mois de mars 2015 une Audi Q5 équipée par Delphi a traversé les Etats-Unis de San Francisco à New-York en pilotage automatique sur une distance de 5.500 kilomètres parcourus en 9 jours (voir  l'Argus et You Tube ).

La plus grande crainte des entreprises, toutes exposées à une interaction (voire une confrontation) avec l’une de ces 5 familles est de découvrir demain un concurrent venant d’un horizon inconnu et inexploré, prenant en quelques mois une part de marché significative comme c’est le cas d’Uber avec le marché des taxis. L’entreprise a été créée en 2009. Elle est aujourd’hui présente dans 51 pays et 253 villes. En France il y a 1 million d’utilisateurs actifs. Elle est valorisée 41 milliards de dollars et on estime qu’en 2015 elle réalisera un « chiffre d’affaires » estimé à 10 milliards de dollars  (Wikipedia en français et plus complet en anglais ).

Une grande révolution

On observe une double révolution. Sur le plan technologique on assiste à une baisse rapide du coût des capteurs. Ces dix dernières années le coût d’un capteur est passé de 1,30 dollars à 60 cents. De plus sa taille a considérablement diminué. Sa surface est passée de 1 centimètre carré à 1 millimètre carré. Il est ainsi possible de les intégrer dans de nombreux produits comme une montre, un bracelet, une chemise de sport etc. La vague du nano va à nouveau bouleverser le terrain de jeux et l’agilité d’acteurs ayant anticipé les brèches des nouvelles propositions de valeurs. Savant positionnement du curseur entre une économie de l’offre et celle de la demande. Cette évolution s’est faite alors que durant la même période le coût de la bande passante a été divisé par 40 et celui du traitement par 60.
A cela s’ajoute la loi de Grötschel (Martin Grötschel du Konrad – Zuse - Zentrum für Informationstechnik de Berlin)  qui a constaté que : « la vitesse de calcul des algorithmes progresse 43 fois plus vite que la puissance des microprocesseurs, les algorithmes pouvant être défini comme les séquences d’opérations et d’instructions d’un programme informatique ». C’est l’équivalant de la loi de Moore qui dès 1965 annonçait que « le nombre de transistors par circuit de même taille doublait tous les 18 mois, sans augmentation de coût ».
Ces deux moteurs : évolution des capteurs et loi de Grötschel expliquent le développement rapide actuellement constaté des sous-jacents de l’Internet des Objets ou encore de l’internet « of everything » comme le caractérise Cisco. La France devient son 8e « international innovation center » avec une promesse d’engagement de 100 millions d’euros dans les écosystèmes de l’innovation en France. Comme développé dans l’article de CCE International de février 2015 « Depuis quand l’objet fait-il la stratégie », l’enjeu n’est pas l’objet mais la plateforme d’intégration des acteurs (« game players »). Dans le B2B le cycle de vie des objets connectés tombe malheureusement à 6 mois avant d’être laissé de côté par son propriétaire.

Le grand écart des prévisions

Pour l’instant le nombre d’objets connectés à Internet est limité mais tout ce qu’on observe permet de prévoir qu’il va exploser dans les années à venir. D’ici 5 ans, c’est-à-dire 2020, on estime leur nombre entre 30 milliards (selon le Gartner Group) à 212 milliards d’objets (selon IDC ou Intel). Ces chiffres sont très discutables mais il est probable que l’ordre de grandeur est juste. Il sera de l’ordre de 10 puissance 10 ou 11 (10 à 100 milliards d’objets). On est face à une déferlante. Dans ces conditions la seule question pour toutes les entreprises est de se demander comment ne pas être « disrupter » par un Tesla (pour l’automobile), Bitcoin et le blockchain ou encore les sites de crowdfunding (pour les banques), Airbnb (pour les groupes hôteliers)…

Différentes prévisions concernant le nombre d'objets connectés à Internet

Différentes études ont cherché à chiffrer les enjeux de l’IoT (Internet of Things). Cisco et DHL ont estimé le chiffre d’affaires mondial des objets connectés à 500 milliards d’euros dès 2016. En se projetant à 5 ans la valeur ajoutée créée par les objets connectés s’élèvera à 8.900 milliards de dollars et Cisco estime qu’il y aura 6,5 objets connectés par personne dans le monde en 2020.  

Un enjeu économique majeur

L’Institut Montaigne et AT Kearney ont effectué une étude analogue pour la France et ils estiment que l’enjeu va passer de 74 milliards d’euro en 2020 et à 138 milliards d’euros en 2025 soit un pourcentage de l’ordre de 3 % du PIB. Il est dû à la conjonction de trois leviers d’action :
·       L’augmentation de la productivité est permise par l’exploitation des données produites par les objets, par le contrôle à distance, en permettant de réduire la consommation d’énergie et d’intrants… L’enjeu s’élève de 30 à 64 milliards d’euros.
·       Les gains de pouvoir d’achat permis par les économies d’énergie, la plus longue durabilité des produits… L’enjeu est estimé de 24 à 42 milliards d’euros.
·       Des économies de temps permis par les progrès constatés dans le domaine médical qui permettent d’augmenter le nombre d’années des personnes vivant en bonne santé dont une partie permettra d’allonger la durée du travail. L’enjeu est de 20 à 32 milliards d’euros.

Le potentiel de création de valeur est assez variable d’un secteur à l’autre :
·       Le logement. Ce sont les gains les plus importants : 19 milliards d’euros en 2020 grâce aux économies d’énergie, à la domotique et la réduction des tâches ménagères.
·       L’amélioration de la mobilité. Ces gains sont estimés à 17 milliards d’euros. Ils concernent la réduction des embouteillages automobiles, la diminution des accidents et de leur gravité, la baisse de la consommation d’essence…
·       La santé. Ces gains sont estimés à 16 milliards d’euros. C’est un domaine très important car aux USA la FDA freine le développement du médical et des objets connectés dans le bien-être à cause des nombreuses contraintes qu’elle impose. L’internet des objets médicaux permet de contourner cet obstacle. Il concerne le suivi de l’observance (la prise de médicaments prescrits), l’optimisation des parcours de soins, la prévention (un secteur en jachère, seulement 3 % des dépenses de santé sont consacrées à la prévention), l’hospitalisation réduite...
·       L’industrie. Ces gains sont estimés à 12 milliards d’euros. Le grand domaine est celui de l’usine connectée et de l’optimisation des flux logistiques : matière première, produits semi-finis et marchandises… Les réseaux intelligents auront aussi un impact sur les montants de consommation et d’investissement.
·       L’action publique. Ces gains sont estimés à 8 milliards d’euros. Sont concernés l’optimisation des ressources utilisées, la gestion de la sécurité et le développement de la défense connectée.
·       L’éducation. Ces gains sont estimés à 2 milliards d’euros en 2020 mais 6 milliards d’euros en 2025. Ces gains sont obtenus en gérant mieux le parc de classes et en veillant à avoir un meilleur impact de la formation professionnelle sur la productivité.
·       Les loisirs. Ces gains sont estimés à 1 milliard d’euros grâce au développement des articles de sport connectés.
L’Institut Montaigne estime que le marché des achats d’objets connectés (du bracelet connecté pour suivre l’activité physique d’une personne à l’équipement des capteurs d’une ligne de production et des services (réseau, Datacenter, Big Data…) sera en 2020 de 15 milliards d’euros et passera à 23 milliards d’euros en 2025.

Des bouleversements considérables à venir

Les trois segments qui vont être le plus fortement impactés par l’Internet des Objets sont :
·       La cité du futur. En Europe on en parle mais en Chine les décideurs sont dans l’action. Ils sont très en avance avec plus de 27 % du M2M (Machine to Machine) au monde. Toutes les grandes villes comme Shanghai, Pekin et beaucoup d’autres mégapoles asiatiques,… se sont dotées depuis plus de 10 ans de plan directeur, de « chief digital officer », de « chief data officer »,  pour construire la « smart city ».
·       La maison connectée. Pendant longtemps on a parlé de domotique sans aller très loin dans sa généralisation. La généralisation des capteurs simples et standards, le recours à Internet va rendre ce marché très dynamique.
·       L’automobile. Ce sont des enjeux colossaux. D’ici cinq ans 30 % des voitures circulant seront connectées. L’objectif est de baisser de 20 % le nombre des accidents. Il y a plus de 20 millions d’accidents dans le monde chaque année. Ceci se fera en contrôlant mieux la vitesse (25 % des accidents), l’alcoolisation des conducteurs (20 % des accidents) et le refus de priorité (14 % des accidents). Le coût des accidents est en France de 22 milliards d’euros. L’enjeu est de 4,4 milliards d’euros sans compter les vies sauvées.
A terme l’automobile sera une plateforme qui va intégrer un nombre croissant de processeurs (les « computing units » évoqués précédemment), chacun ayant une fonction simple comme l’ABS ou l’allumage des codes. On est passé de 4 processeurs à 14. A court terme il y en aura 50 puis il faut envisager qu’il y en aura 5.000 à l’horizon de 5 ans. Un véhicule comme la voiture autonome de Google en marche produit déjà 1 Gbits de données par seconde. Comment gérer ce type de réseau ? Le groupe Volkswagen y travaille au sein d’un consortium d’industriels dans le cadre du projet Eureka-ITEA et vient de finaliser un standard de communication des éléments de la plateforme automobile.

Développer la confiance

Comme beaucoup d’activités humaines le développement de l’Internet des Objet repose sur le développement de la confiance. La capacité à définir des règles du jeu claires est confrontée à des obstacles culturels, juridiques et administratifs ou encore des passages à l’échelle industrielle. Les GAFA arrivent à les diffuser largement. Dans les objets de l’internet des objets les capteurs sont invisibles ou quasiment invisibles et les traitements se font sur le cloud. Cette opacité n’est pas favorable au développement de ces technologies et de leurs usages. Il est nécessaire de créer de la transparence, règle d’or dans toute communauté virtuelle.
C’est le rôle des différents opérateurs et notamment de ceux qui gèrent le réseau. Un très bon exemple est donné par Sigfox qui est une entreprise toulousaine. Elle est leader mondial de réseau bas débit et basse fréquence pour connecter des objets (voir Wikipédia). Les opérateurs téléphoniques sont dans une course sans fin aux débits : après la G2 et la G3, aujourd’hui c’est la G4 et le LTE, demain ce sera la G5. Sigfox a misé dès le départ sur le bas débit (l’Ultra Narrow Band). Son réseau couvre aujourd’hui la France et six pays : le Royaume-Uni avec Arquiva, l’Espagne avec Abertis Telecom, les Pays-Bas avec Aerea, la Russie avec Mirconet et le Portugal avec NarrowNet.
Ces réseaux autour de l’internet des objets vont avoir un impact sur l’industrie du paiement : Mastercard, Visa,… Intel s’intéresse de plus en plus à ce marché. On va voir apparaître ces objets curieux. Ainsi Amazon a lancé le bouton « Dash ». Lorsque le niveau de lessive est faible il suffit d’appuyer le bouton se trouvant sur l’emballage. Amazon prend en charge la commande et livre la boite de lessive à l’adresse habituelle dès le lendemain matin.
Mastercard mise sur la montre connectée  alors que American Express mise sur le bracelet utilisé pour suivre le rythme cardiaque et le nombre de foulées ( le « Jawbone’s UP3 fitness tracker » ) lorsque l’utilisateur fait son jogging et qu’il veut s’acheter une bouteille d’eau ( ). Ceci dit au même moment le porte-monnaie électronique Moneo jette l’éponge. 
L’internet des objets transactionnels pourrait émerger comme la nouvelle vague de profusion des usages et de propositions de valeurs…

Les enjeux stratégiques considérables

Face à ces mutations les analyses des penseurs du management sont faibles. Ainsi Michael Porter, pape du management stratégique, a identifié quatre capacités clés des objets connectés à Internet et à des bases de données exploitées par le Big Data :
·       La surveillance grâce à des capteurs pour faire, par exemple, de la médecine préventive.
·       Le contrôle en exploitant ces données par des algorithmes se trouvant dans le produit ou dans le cloud.
·       L’optimisation de l’utilisation des objets à partir des données produites.
·       L’autonomie des objets grâce à l’intelligence artificielle permet d’atteindre un important niveau d’indépendance.
C’est intéressant mais ce n’est pas de loin suffisant, l’article de HBR France d’avril 2015 date malheureusement de près de 2 ans illustrant l’inertie de la production de la connaissance avec des comités de lectures traditionnels.
Deuxième constatation : le piratage des données. La sécurité des données est un enjeu majeur. Ce risque est accru par la pratique du BYOD, c’est-à-dire que les personnes utilisent leurs smartphone et leur ordinateur pour gérer des applications professionnelles et aussi effectuer des utilisations personnelles. 30 % des salariés français consultent et modifient des documents professionnels sur leur propre ordinateur ou leur tablette. Le nombre des malwares augmente. En un an, de 2013 à 2014 ils sont passés de 19,5 à 37 millions. Les attaques visent les points de ventes, les couches de transport et de sécurité d’Internet (SSL et TLS) et les systèmes de supervision industrielle type SCADA.
En fait, un des points clé va être le développement des investissements dans les actions préventives concernant la santé. On estime en France ces dépenses d’investissement préventif à 2,1 % du total des dépenses de santé alors que dans l’union européenne elles sont de 2,9 %. Mais en Finlande ils sont de 5,4 %. Comme on le voit il y a une marge de progrès importante. 

Conclusion

Dans les années à venir on va assister au choc de la monétique et du transactionnel dans l’internet des objets. Elle repose sur une architecture technique basée sur des datacenters situés dans le cloud et nécessite des efforts de sécurité importants. Elle va permettre de développer une puissante approche transactionnelle et on va assister au développement de crypto-monnaie avec des « blocks chains » venant « disrupter » les institutions financières. L’observateur averti aura reconnu le poids structurant d’ Ali-Pay d’Ali-Baba qui a aujourd’hui dépassé Pay-Pal et qui est prédominant dans l’e-commerce chinois.
L’autre phénomène clé est le fait que les objets connectés vont produire de grandes quantités de données (données massives : big data). La data est au cœur de la mutation en cours. Les systèmes vont enrichir les données quantitatives par de nombreuses données non-structurées. Un nouveau paradigme va compléter l’approche des données structurées du canal historique pour lesquelles les référents de mesure de la valeur sont établis  mais bien insuffisants pour décrire les effets encore inconnus des nouveaux gisements à libérer.

A chaque grande révolution a son utopie,voire sa gouvernance utopique.


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