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dimanche 3 janvier 2016

Les nouveaux business modèles du numérique

Par Laurent Chiozzotto

Le développement rapide du numérique se traduit par l’apparition de nouveaux business modèles radicalement différents des anciens. Tout se passe comme ce qui avait jadis fait le succès des entreprises traditionnelles se retourne contre elles. De nouveaux entrants, venus de nulle part, ont profondément changé la manière de réaliser des affaires. Leur business modèle repose sur des offres de nature très différente de celles faites par les entreprises les ayant précédées.
Toutes ces nouvelles entreprises ont en commun de mettre le client au centre de leur démarche. Ceux-ci sont à la fois les clients et les fournisseurs. Ceci se traduit par un changement profond du modèle traditionnel et a pour conséquence de développer de nouvelles relations de ces entreprises avec leur environnement.
On assiste depuis quelques années à une multiplication du nombre de ces nouvelles organisations. Ce sont des entreprises  d’un type nouveau qui sont en fait des plateformes. Elles vont rapidement changer la manière de développer leur activité. A terme, presque tous les secteurs seront concernés par ces nouveaux business modèles.

Les limites des anciens modèles

Les opérateurs classiques d’Internet réussissent car ils ont su détecter les failles dans les stratégies des intervenants traditionnels et proposer des approches nouvelles. Ce sont essentiellement quatre failles structurelles :
§  La fragmentation des marchés et la dispersion des acteurs. Des sites comme Groupon ont regroupé de nombreuses offres ponctuelles. Aux clients, ils proposent des remises conséquentes et aux fournisseurs de leur amener de nouveaux clients contre des remises massives. Mais ce business modèle est fragile car les remises exigées sont très élevées et il est très difficile de fidéliser les nouveaux clients.
§  La complexité de l’offre et l’opacité des prix. L’exemple le plus parfait de ces stratégies est celle adoptée par Free. Avant son arrivée, les opérateurs de téléphonie mobile proposaient des offres complexes et opaques, difficiles à comprendre. Free est arrivé avec une offre simple : un prix imbattable offrant tous les services sans option.
§  La focalisation sur le produit plutôt que sur le client. Dans de nombreux secteurs, les entrepreneurs s’intéressent plus au produit qu’à leurs clients. C’était le cas des opérateurs de téléphonie mobile traditionnels.
§  L’empilement de couches d’intermédiaires avec une valeur ajoutée peu visible. C’est le cas des chaînes d’approvisionnement traditionnelles dans les produits frais comme les fruits et légumes ou encore la viande. Les consommateurs trouvent que les prix augmentent de plus en plus alors que les producteurs n’arrivent plus à gagner leur vie du fruit de leur travail. On voit ainsi apparaître des plateformes de « circuits courts » qui mettent directement en relation des producteurs et des consommateurs via Internet.

Face à ces opérateurs « classiques » de nouveaux intervenants surgissent et proposent une nouvelle manière de faire le business. Ce sont Uber, Airbnb, Blablacar, …. Ces sites ont en commun d’être particulièrement faciles à utiliser et d’un emploi très fluide. Ils constituent des communautés de personnes intéressées par un produit ou un service particulier : le transport en ville, le logement de courte durée, le partage de frais de voyage, … Le but de ces plateformes est de mettre en relation des particuliers offreurs et des particuliers demandeurs.
C’est un changement profond de l’organisation classique des entreprises. Traditionnellement, on commence par créer un produit ou un service puis on définit son plan marketing pour ensuite chercher à le vendre. Dans ces nouveaux business modèles, on change profondément de logique. C’est une démarche en trois temps :
·       Dans un premier temps le fournisseur commence par proposer une expérience originale comme c’est le cas d’Uber. C’est une autre manière d’appeler un taxi.
·       Dans une deuxième phase, il va s’efforcer de généraliser l’emploi de son application comme l’a si bien réussi Gmail ou Facebook. Ce service repose sur une plateforme puissante offrant des services de qualité.
·       La troisième étape va consister à créer une communauté d’utilisateurs dont l’exemple parfait est  Airbnb qui, en quelques années, s’est imposé dans le monde entier.
C‘est une nouvelle façon de concevoir et de faire des affaires.

Peu importe le produit pourvu qu’on ait le client

En fait, sans le dire, on est en train de passer de l’économie du produit à l’économie du client. C’est un changement radical. Le but de ces nouvelles entreprises et d’offrir à quiconque qui le souhaite la meilleure expérience possible pour bénéficier d’un service particulier. Leur but est d’attirer l’attention de tout un chacun par la qualité de la prestation.
Ensuite il faut réussir la transformation de l’utilisateur occasionnel en un consommateur régulier. Les GAFA et notamment Google sont devenus les experts dans la fidélisation de leurs clients. Même s’il n’y a pas eu de transaction financière, chaque utilisateur est un client ou plus précisément un apporteur d’informations. Celles-ci seront ensuite revendues à des commerçants intéressés par la connaissance des goûts et des attentes de leurs futurs prospects. En fait, ce sont les informations  fournies par les utilisateurs eux-mêmes qui est, en quelque sorte, la matière première de ce nouveau type d’entreprise.
Les nouveaux entrants cherchent à construire des relations solides avec ces visiteurs, basées sur la confiance et la simplicité d’emploi de leur application. Lorsqu'on est sur leur site, on ne se pose aucune question. Tout s’enchaîne sans peine et on a la réponse à toutes les questions qu’on se pose au moment où on s’interroge. L’exemple parfait de cette approche est le « One clic » d’Amazon.
Le modèle économique des GAFA est de type asymétrique. Après avoir lancé en 2001 le baladeur numérique iPod, Apple a proposé en 2003 l’iTunes Store offrant un choix de chansons et d’airs de musique quasiment illimité. Ainsi Apple fournit le matériel d’écoute et le service de fourniture de la musique. C’est une captation presque parfaite du marché. Les Majors du disque ont ainsi en quelques années été réduites à la portion congrue. 
Google a procédé de la même façon en matière de système d’exploitation. En 2005 Google rachète une start-up du nom d’Android qui, à partir d’un noyau de Linux, a développé un système d’exploitation pour appareil photo. Google l’a ensuite adapté aux téléphones portables et en 2008 l’a proposé gratuitement aux fabricants de téléphones mobiles au moment où le smartphone est apparu. Ce fut un raz-de-marée. Simultanément Google ouvrait l’Android Market qui est devenu depuis la Google Play Store offrant des centaines de milliers d’applications dont une grande partie sont gratuites. Google a ainsi cadenassé le marché et pris près de 80 % du marché des systèmes d’exploitation de smartphones et des tablettes.
  
Une mécanique économique redoutable

Le modèle économique de ces entreprises est simple et d’une remarquable efficacité.
·       Dans un premier temps il faut créer et développer la base de consommateurs. Cela se fait grâce à la proposition de quelques innovations gratuites et simples à utiliser. Elle commence par séduire quelques pionniers qui vont ensuite faire venir, par l’effet du bouche à oreille, la grande masse des utilisateurs.
·       Dans un deuxième temps l’opérateur va réaliser son chiffre d’affaires en faisant du « cross-selling » et en vendant des services à des vendeurs de produits ou de services. Il va notamment vendre les informations qu’il a collectées sur les comportements des utilisateurs de ses services.
·       Ensuite, dans un troisième temps, il va s’efforcer d’accroitre le taux de fidélité des utilisateurs de ses services notamment en leur offrant de nombreux autres services voisins. Cette intégration est très utile car elle permet de mieux connaître les besoins et les attentes des utilisateurs et donc d’améliorer le revenu par personne.
Comme on le voit, le secteur de ces nouvelles entreprises est très particulier. Il faut trouver un service ou un produit très différent de ce qu’offrent les autres sites. Ensuite, il faut le rendre accessible à tous puis arriver à faire masse et ensuite le monétiser, puis pérenniser cette relation en l’intégrant dans une série d’autres services.  
Google est l’archétype de l’entreprise plate-forme opérant sur un marché biface : les internautes effectuant des recherches sur Google laissent des informations, mais ils laissent des traces quand ils consultent des sites à l’aide de Chrome ou envoient et reçoivent des emails. Google vend ensuite aux annonceurs ces informations pour qu’ils puissent mettre en ligne des publicités mieux ciblées. Aujourd'hui, Google et d’autres sont allés plus loin et appliquent une recette qui leur garantit le succès :
1.     Trouver des marchés complémentaires à ceux que l’opérateur couvre déjà avec ses offres qui constituent son cœur de métier.
2.     Développer la demande concernant ces marchés en proposant des services ou des produits beaucoup moins chers ou plus faciles à utiliser pour les clients, quitte à perdre de l’argent.
3.     Ménager un avantage concurrentiel immédiat en établissant un lien fort entre les offres cœur de métier et cette nouvelle demande.
4.     Créer une expérience utilisateur incomparable et irremplaçable pour garder le client le plus longtemps possible.
C’est très exactement ce que font Amazon, Apple, Facebook, Airbnb, Uber, …

L’âge de la multitude

Deux auteurs français, Nicolas Colin et Henri Verdier, ont bien compris la nature de cette mutation dans leur ouvrage : « L’âge de la multitude ». Une nouvelle ère commence. Traditionnellement, la création de valeur se fait à l’intérieur de l’entreprise dans ses ateliers, ses entrepôts, ses bureaux d’études, … Désormais la création de valeur se fait massivement hors des murs de l’entreprise. C’est un changement profond qui est le cœur des transformations numériques en cours.


Dans ce nouveau monde, chacun d’entre nous est à la fois client et fournisseur. C’est le crowdsourcing dont l’exemple parfait est le crowdfunding. Mais il existe à côté de nombreux autres aspects de ce type de changement de relation.

Tous investisseurs

Dans la démarche du crowfunding, chacun peut devenir investisseur comme les grands Ventures Capitalists. Cette démarche consiste à mettre en contact des porteurs de projets qui cherchent un financement et des particuliers intéressés au financement de start-up. Cette idée est née en Allemagne en 2006 grâce au site pionnier (Pour voir sa fiche Wikipedia) qui proposait de faciliter le lancement de nouveaux artistes musicaux en finançant leur premier CD. En 2009, l'américain Kickstarter  (Pour en savoir plus)  reprend cette idée en la généralisant à tous les domaines de la création. Très vite, c’est un réel engouement. En quelques années il a recueilli plus de 558 millions de dollars. En 2013, le premier site français de crowfunding, KissKissBankBank (KKBB) (Pour en savoir plus) est lancé. En trois ans il a collecté 43 millions d’euros grâce à 780.00 souscripteurs et a financé 72.000 projets.
Selon les chiffres du site Statista.com, 16,2 milliards de dollars ont été levés en 2014 tous pays confondus. On enregistre une augmentation exponentielle de cette activité chaque année (2,7 milliards en 2012, 6,1 milliards en 2013).
Cependant, cette activité n’est pas sans risques. Aux Etats-Unis, le “JOBS Act”, le “Jumpstart Our Business Startups Act”, a été adopté en 2012 et réglemente de façon très étroite le secteur. En Europe, l’absence de réglementation claire expose les investisseurs à des risques qui ne sont jamais mis en évidence. De plus, un certain nombre de critiques peuvent être faites tenant à la complexité et aux difficultés rencontrées dans le cadre de cette démarche.

Tous contributeurs aux sites

Créer un site Web est une tâche complexe. Ouvrir un blog est plus simple mais nécessite une certaine expérience. Le succès de sites comme Facebook ou You Tube montre que des millions d’utilisateurs sont prêts à contribuer à condition que le travail soit simplifié. Grâce au « User Generated Content »   (Pour en savoir plus sur Wikipédia) , une entreprise peut faire appel à ses clients ou à ses utilisateurs pour créer des contenus et ainsi gagner un temps précieux ou multiplier les offres. Selon cette nouvelle approche, chacun peut devenir un contributeur. Elle repose sur l’idée simple que chacun veut créer son image sur Internet. C’est une démarche narcissique qui est, on le sait bien, un puissant moteur d’action pour de nombreuses personnes comme l’a démontré le succès mondial de Facebook.  

Tous créateurs

Mais on peut aller plus loin en permettant à tous les amateurs de bricolage de développer eux –même des systèmes complexes et puissants. Ceci est dû à la conjonction de trois facteurs :
§  L’explosion du do it yourself et des kits de développement hardware pour développer soi-même des objets connectés low-cost, et qui donne naissance à une génération de "makers" aussi innovante que les centres de recherche et développement des grandes entreprises :
  les cibles principales semblent les enfants et les novices,
  un mouvement de "punk" anticonsumériste, le DIY, Do IT Yourself  (Pour en savoir plus sur Wikipédia), s’est fixé comme objectif d’entrer en compétition avec le processus classique de recherche et développement,
  l’esprit DIY a aussi un impact significatif sur le processus d’innovation dans les industries traditionnelles : c’est la démarche des « makers ».
§  On note la multiplication des kits de programmation low-cost comme :
  le kit MbientLab  (Pour en savoir plus qui permet de gérer des objets connectés du type « wearables » de la taille d’une pièce de monnaie à l’aide de smartphones,
  les nano-ordinateurs proposés par Raspberry PI  (Pour en savoir plus en anglais et en françaisdont le petit dernier, le Raspberry PI Zero coûte la modique somme de 5 dollars   (Pour en savoir plus). Raspberry a vendu plus de 5 millions d’exemplaires des modèles précédents !
  la technologie qui permet de tracer les données émis !es par le corps humain est désormais standardisée,
  dans le domaine de l’IoT, SamLabs  (Pour en savoir plus fournit des kits permettant de construire une plateforme et de réaliser rapidement le hardware et le software d’un système.

§  Les "makers" sont souvent meilleurs que les équipes traditionnelles de R&D.
  Le système Tiny-Circuits de KickStarter  (Pour en savoir pluspropose une petite carte mère que les "makers" peuvent intégrer à tous leurs objets du quotidien.
  Tiny Circuits propose aussi plusieurs dizaines de produits complémentaires comme des capteurs, des accélérateurs, des gyroscopes, des moteurs, des écrans oled, des leds, ...

Grâce à ces outils chaque bricoleur amateur peut devenir le créateur d’un système original.

Tous commerçants

De même chacun peut devenir commerçant. N’importe qui peut désormais fabriquer ses produits et les vendre dans le monde entier grâce à Internet. Il suffit d’ouvrir un site mais il est aussi possible de devenir un partenaire des sites d’échange ou de petites annonces comme eBay ou leboncoin.fr.

Tous hôteliers

Il est aussi possible de devenir hôtelier grâce à[CS2]  Airbnb  (Pour en savoir plus) (Voir aussi sur Wikipédia) en louant son appartement. Ce site a été créé en 2008. Il propose plus d’1,5 million d’appartements pour un jour ou pour plus. Il est présent de 192 pays et dans 34.000 villes. Pour gérer cette activité elle emploie 500 personnes. L’entreprise est valorisée aujourd’hui 25 milliards de dollars.
Par comparaison, le groupe Accor, qui est un des plus grands groupes hôteliers du monde, est un nain économique. Sa valorisation boursière n’est que 9,4 milliards d’euros, soit moins de la moitié d’Airbnb. Or ce groupe a près de 50 ans. Il a été créé en 1967. Il gère 3.717 hôtels qui offrent 482.296 chambres dans 92 pays. Et pour cela il emploie 170.000 collaborateurs.
Comme on le voit, ce sont deux business modèles radicalement différents et il ne fait aucun doute qu’Airbnb a une supériorité économique telle qu’il menace les positions des plus grands groupes hôteliers mondiaux.
Or ces nouveaux intervenants comme Airbnb viennent de nulle part. Ils sont créés et dirigés par des geeks  (Pour en savoir plus sur Wikipédia) ([1]) maîtrisant parfaitement la technologie informatique mais ignorant tout du métier d’hôtelier. Sans rien connaître, ils réinventent le métier et proposent une solution qui satisfait les voyageurs et les loueurs tout en leur permettant de dégager une marge à faire pâlir de jalousie tous les hôteliers du monde.

Tous entrepreneurs

Mais la rupture qui a fait le plus de vagues est celle de Uber  (Pour en savoir plus sur Wikipédia). Maurice Levy, PDG de Publicis, a même inventé le terme d’uberisation pour décrire le processus qui est en train de laminer la rente des taxis du monde entier.
L’histoire de cette société est exemplaire. Trois américains, Garrett Camp, Travis Kalanick et Oscar Salazar, étaient à Paris en 2008 pour participer à la conférence LeWeb. Ils cherchaient à prendre un taxi et n'en trouvaient pas. Ils firent la constatation que le système de taxis parisiens est aussi inefficace que celui de San Francisco. Ils ont alors l’idée de proposer un service de chauffeur privé à la demande nommé UberCab qu’il est possible d’appeler avec un simple smartphone. Très vite leur offre rencontre le succès.
Mais très vite aussi Uber doit faire face à deux types de contestation :
       Les taxis traditionnels se révoltent dans la plupart des pays où ils offrent leur service contre cette concurrence.
       En Californie les chauffeurs Uber ne veulent pas être des indépendants mais des salariés afin de bénéficier des avantages sociaux.
Fort de ce premier succès, Uber a ouvert un nouveau service avec des chauffeurs non-professionnels cherchant à améliorer leurs fins de mois avec leur propre véhicule. C’est UberPOP. Cette annonce a provoqué une véritable insurrection des chauffeurs de taxis. Il est possible que ce service soit pour les chauffeurs une sorte d’esclavage déguisé, une sorte de servitude librement consentie, mais c’est encore un succès. En quelques semaines, il y a eu plus de 1.000 chauffeurs UberPOP en France, principalement à Paris. Mais très vite la justice a été saisie et le Conseil Constitutionnel a déclaré le service UberPOP illégal.
En septembre 2015, Uber, est présent dans 55 pays et plus de 250 villes et sa folle croissance continue. L’entreprise n’est pas encore cotée mais elle est valorisée par les derniers investisseurs 50 milliards de dollars. On se rappellera que Google a investi 260 millions de dollars dans Uber en 2013. Une belle affaire.

Tous économes

De nouveaux modèles d’affaires sont rendus possibles grâce aux TIC, notamment la location de voiture entre particuliers et l’auto-partage (ou car-sharing). L’idée est de valoriser des actifs dormants. Ce marché est apparu à Paris en 1999, il est actuellement en rapide expansion.
A côté des premiers arrivés comme Buzzcar, CityZenCar, BlaBlaCar…. on constate aujourd’hui l’apparition d’une série de nouveaux acteurs comme Autolib, Avis On Demand, Carbox, ConnectbyHertz, Okigo, ou Drivy (ex-Voiturlib’).
Buzzcar a été lancé en 2011 par Robin Chase et Mobivia Groupe (ex-Norauto). En juin 2013, elle annonce l’acquisition de la start-up CityZenCar spécialisée dans la location en BtoC. Ce rachat permet de mutualiser leurs communautés de membres et d’offrir un parc de plus de 7.000 véhicules présents dans 2.000 villes en France. Plus de 50.000 membres sont inscrits sur le site de Buzzcar. Dernier épisode, en 2015 Drivy rachète Buzzcar. L’entreprise dispose maintenant d’un parc de 28.000 véhicules et compte aujourd’hui 500.000 utilisateurs.
De son côté, BlaBlaCar  (Pour en savoir plus sur Wikipédia) qui est un système de co-voiturage a mis longtemps à trouver son modèle. Mais il a tenu et il a même récemment racheté son concurrent européen Carpooling. Il détient désormais 90% de parts de marché du co-voiturage en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie. Il est présent dans 19 pays et à transporté cette année 20 millions de personnes.

Tous solidaires

Le business des « petits boulots » évolue. Pendant longtemps, les demandeurs et les offreurs de service affichaient des annonces chez les commerçants du quartier. Il existe maintenant des plates-formes de « coups de main collaboratifs ». Le premier a été TaskRabbit   (Pour en savoir plus sur Wikipédia) qui a été lancé en 2008 à Boston par Leah Busque. Elle a eu l’idée de ce service car elle n’avait pas le temps d’aller acheter de la nourriture pour son chien et voulait trouver un voisin qui puisse lui donne un coup de main. Le principe de fonctionnement du site était que les « réalisateurs » (les « taskers ») faisaient des offres sur la base d’une liste de demandes de travaux qui étaient affichées sur le site.
En juillet 2014, TaskRabbit a dû changer de stratégie après avoir constaté une baisse drastique du nombre d’enchères sur les tâches à effectuer. Aujourd’hui, l’outil de mise en relation est une application mobile qui envoie des messages aux « réalisateurs » dès qu’une demande de service est faite en fonction de leurs préférences, de leur localisation et de leurs domaines de compétence. Certains « réalisateurs » gagnent jusqu’à 8.000 dollars par mois en réalisant 3 à 5 tâches par jour ! C’est probablement une autre forme de servitude mais les site rend des services appréciés. Pour l’instant, TaskRabbit est uniquement disponible aux Etats-Unis.

L’entreprise plate-forme

Comme le montrent ces exemples, on est face à un changement profond. L’entreprise devient une plateforme d’échange entre des demandeurs et des offreurs de services. Pour fonctionner, elle doit comprendre trois éléments de base :
§  Le logiciel. Il pénètre inexorablement toutes les activités humaines et transforme tous les produits et les services existants. On parle de « Software Defined Economy ». C‘est une évolution considérable qui est le principal moteur de la transformation numérique. Dans un article prémonitoire paru dans le Wall Street Journal du 20 août 2011 : « Why Software is eating the World » Marc Andreessen ([2]) montre que les start-up qui réussissent sont des « software compagnies ». (Pour lire ce texte cliquez ici).  
§  La mobilité. Le développement des nouvelles applications donne désormais la priorité à l’informatique mobile basée sur les smartphones. C’est la « Mobile App Economy ». Elle repose fondamentalement sur les systèmes d’exploitation Android et iOS qui dominent largement le marché.
§  L’économie programmable. Elle recourt largement aux API. Ce sont des interfaces simples à mettre en œuvre qui permettent de créer rapidement des applications offrant de nombreuses fonctions. Elles sont proposées à tous les développeurs par les grands opérateurs comme Google, Salesforce, Facebook, …. C’est le succès de l’open-source. De plus, la plupart des API sont puissantes et facilitent les évolutions à venir. Ce sont les nouvelles briques de l’économie numérique.

Le nouveau modèle de l’entreprise plate-forme

La mise en place de ce nouveau type d’organisation va se traduire par une nouvelle approche de l’informatique des entreprises. Selon l’approche traditionnelle, chaque fonction de l’entreprise dispose de son système d’information. Le développement des ERP a permis de les faire communiquer entre elles et de partager les bases de données.
Avec l’approche de type plateforme, le système d’information gère les clients, les produits, les services et les fournisseurs. Il devient le cœur de l’entreprise numérique. C’est une restructuration en profondeur des systèmes existants. La gestion financière et comptable n’est plus le cœur des systèmes d’information. Elle devient un des systèmes satellites de la plate-forme d’échange qui va devenir le nouveau noyau du système d’information.

Organisation du système d’information traditionnel et organisation en mode plateforme
Nous sommes au début d’une profonde évolution des entreprises. Elles vont devoir s’adapter à marche forcée à ce nouveau paradigme du système d’information de façon à éviter les risques « d’uberisation ». Dans ces conditions, on va probablement assister à un déclin des entreprises qui restent attachées à leur approche traditionnelle et au développement rapide des entreprises s’inspirant du modèle des plateformes.

Tous les secteurs sont touchés

Il ne faut pas s’imaginer que seuls certains secteurs sont concernés par la transformation numérique. Elle est engagée à des degrés divers dans tous les secteurs. Certains sont très avancés comme le tourisme (notamment la réservation aérienne et ferroviaire, l’hôtellerie), les médias, la banque, la distribution (notamment tout le secteur du commerce électronique). D’autres secteurs sont plus longs à évoluer comme le secteur des biens de consommation, la santé, le secteur public (malgré la mise en place des déclarations et du paiement des impôts en ligne) et la construction.
Mais ce n’est qu’une question de temps et d’opportunité. Toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité, vont devoir changer leur business modéle et s’adapter à cette nouvelle donne. 


Pour s’en assurer, il est possible d’analyser les évolutions constatées dans quelques secteurs.

L’automobile est sortie de l’industrie automobile

Un des secteurs qui va rapidement évoluer est le secteur automobile. Le changement le plus spectaculaire concerne bien sur l’arrivée imminente de la voiture sans chauffeur. Mais ce n’est qu’une partie de la mutation en cours.
§  Tous les métiers de l’automobile sont concernés en transformant les technologies, les usages et le business modèle.
§  À l’image des changements introduits par le smartphone dans le secteur de l’informatique et des télécommunications, l’industrie automobile est en train de se transformer progressivement en plate-forme logicielle dont le véhicule n’est que la partie visible et dont le cœur est le logiciel. Cette évolution va bouleverser la technologie, mais aussi les usages, le modèle économique, les processus industriels, les compétences nécessaires, le mode de commercialisation, …
§  Les smartphones et les tablettes vont remplacer les autoradios, les GPS, les systèmes de diffusion vidéo, …. Ils vont permettre de trouver une place de parking ou d’identifier le restaurant le plus proche. Ils permettront de connecter le véhicule – et ses passagers – à la route, au dépanneur, à la compagnie d’assurances, ... Les liens entre le constructeur et son client se distendent au profit des différents acteurs du numérique qui s’attachent à engranger des masses de données.
§  L’Open data, le Big Data, le Crowdsourcing, les Fab Labs, … vont entrer dans la boîte à outils de l’automobile.
Mais la grande question est de savoir s’il faut acheter la voiture ou s’il faut la louer le temps de son utilisation. Dans les jeunes générations, on constate que la voiture a perdu une bonne partie de son rôle affectif et social. Dans ces conditions, pourquoi s’endetter pour un bien qui perd de la valeur au fil du temps ?

La santé du futur

Les systèmes médicaux de diagnostic et de soins se numérisent et produisent un nombre croissant de données. Les médecins n’ont plus les moyens de maîtriser cette masse d’information. Demain, ils recourront au Big Data et à l’intelligence artificielle. Le système Watson d’IBM a de nombreuses applications médicales. Grâce aux développements des objets connectés il va être possible de développer des outils de diagnostic rapides et peu coûteux. C’est un changement majeur car le patient reste chez lui et n’a plus besoin de l’intervention d’un spécialiste. Le médecin risque de devenir accessoire.
Ainsi Butterfly Network  (Pour en savoir plus) est une start-up qui a développé en 18 mois un appareil portatif ne coûtant que 100 dollars. Il repose sur une technologie d’imagerie médicale par ultrason avec une représentation des organes en 3D. Il fonctionne en temps réel sur un simple smartphone (pour en savoir plus lire l’article de Antonio Regalado dans MIT Technology Review du 3 novembre 2014 . (Pour lire l'article cliquez ici). Mieux, il est capable d’effectuer un diagnostic grâce à une technologie d’Intelligence Artificielle. Ce système est destiné aux patriciens mais aussi aux patients. Point important : il sera très utile dans les pays en voie de développement souffrant d’une pénurie de médecins.
La numérisation de la santé va permettre de développer des outils connectés et accessibles à tous. Ils vont permettre de largement diffuser des technologies d’imagerie médicale qui vont permettre d’améliorer la qualité des diagnostics. Ils sont de plus accessibles aux pays émergents. Cependant ils posent des problèmes analogues à ceux posés par l’automédication. C’est un point d’éthique à prendre en compte.

L’industrie du futur

On assiste à une évolution rapide de l’industrie. Une des mutations clés est le développement des imprimantes 3D.
§  L'impression 3D ou impression tridimensionnelle sont les termes couramment utilisés pour parler des procédés de fabrication additive. Initialement, en raison de leurs défauts originels, ces procédés ont été développés pour le prototypage rapide, mais maintenant ils sont de plus en plus utilisés pour la fabrication de pièces détachées opérationnelles.
§  MultiFab, l’imprimante 3D mise au point par le MIT, est capable d’utiliser simultanément jusqu’à 10 matériaux différents et offre une précision d’impression de 40 microns. Il devient possible de créer un objet ayant des textures, des couleurs et des niveaux de transparence différents ou encore une pièce d’un seul tenant dont certaines parties sont souples et d’autres rigides.

La construction du futur

La manière de construire des logements va profondément changer dans les prochaines années grâce à des imprimantes 3D de grande taille. L’entreprise de Shanghai « WinSun Decoration Design Engineering » a présenté en au début de 2015 une première construction réalisée en moins de 24 heures en utilisant une grande imprimante 3D projetant un mélange de ciment et différents composants. Ce procédé est couvert par plus de 77 brevets.
 
 Maquette d’une imprimante 3D imprimant une maison
 Maquette d’une imprimante 3D imprimant une maison

La distribution du futur

Le monde de la distribution a été bouleversé depuis plusieurs années déjà avec l’apparition du e-commerce et de son acteur le plus influent, Amazon. Aujourd’hui, la distribution est condamnée à se réinventer autour de nouveaux modèles logistique et de nouveaux outils. Pendant ce temps, de nouveaux modèles de consommation collaborative s’installent progressivement dans notre quotidien. Les exemples de ces nouvelles formes de distribution sont nombreux comme « La ruche qui dit oui » (Pour en savoir plus) ou de messagerie comme « Piggy Bee »  (Pour en savoir plus).

Conclusion

Comme on le voit, un nouveau monde est en train de surgir devant nos yeux. Il repose sur un nouveau type d’entreprise qui est, pour l’essentiel, organisé autour d’un puissant système d’information reposant sur une plate-forme constituée principalement par du logiciel. Ce sont les « Software Compagnies » annoncées par Marc Andreessen. Elles reposent sur un système d’information ouvert. Chacun peut connecter ses propres applications et ajouter des fonctions. De plus en plus, les clients vont devenir mobiles et interagir avec les entreprises grâce à leurs smartphones à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et depuis n’importe où.
C’est un changement considérable. Une nouvelle économie est en train d’émerger. Pendant ce temps, des pans entiers de l’économie traditionnelle sont en train de disparaître. En tant que consommateur, on ne peut qu’être enthousiasmé par ces innovations qui changent la vie, mais en tant que citoyen on ne peut qu’être partagé car les destructions de secteurs entiers de l’économie risquent d’avoir des conséquences profondes sur notre modèle social et sociétal. Comme on le voit nos intérêts sont de plus en plus antagonistes. 




[1] - Un geek est une personne passionnée souvent par la technologie. En néerlandais « gek » désigne quelque chose de fou. Un geek est donc un fou de la technique.
[2] - En 1993 Marc Andreessen fut le développeur du premier navigateur Web Mosaic en 1993 alors qu’il était encore étudiant à l’Université de l’Illinois et fut un des fondateurs de Netscape,