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samedi 30 août 2014

Le décret du 1er Août 2014 : le retour de la gouvernance

Sans vouloir être désagréable l’informatique publique n’est pas renommée par son efficacité. Régulièrement la Cour des Comptes constate ces faiblesses : gestion de projets incertaine, manque de compétences, de nombreux doubles-emplois,… Il y a des succès comme la déclaration annuelle de l’impôt sur le revenu avec 13 millions de personnes qui la font sur Internet. Mais à côté de ces réussites il y a aussi des projets ayant quelques difficultés comme ChorusLouvois, le DMP, l’ONP ,… La liste est longue.
Manifestement l’administration rencontre des difficultés de coordination et de pilotage des projets. Il est aussi possible qu’il existe des problèmes analogues dans le domaine de l’exploitation et des communications avec des risques de duplications et des sous-emplois. Le fait que chaque Ministère dispose de ses propres équipes informatiques et ses propres centres de traitement se comprend dans le cas des plus grandes administrations mais c’est plus difficile à justifier dans le cas des plus petites entités ou des unités décentralisés.
Or, au cœur de l’été un décret a été publié le 1er Août qui va profondément changer la gouvernance de l’informatique publique. C’est une véritable mutation qui remet en question des années de pratiques peu efficaces. Quelles sont ses chances de réussite ?

Le contenu du décret et de l’arrêté

Le décret du 1erAoût 2014  est court. Il ne comprend que 3 articles. Le plus important est le premier : « Le système d'information et de communication de l'Etat est composé de l'ensemble des infrastructures et services logiciels informatiques permettant de collecter, traiter, transmettre et stocker les données sous forme numérique qui concourent aux missions des services de l'Etat. » Ce texte est très important. En effet, il affirme que l’ensemble des applications existantes constitue un système unique quel que soit le Ministère concerné. Autre point important le décret concerne le système d’information et pas uniquement le système informatique. C’est une vision large qui représente une mutation profonde de l’approche traditionnelle.
Pour assurer la cohérence des décisions il définit un principe le système d’information « est placé sous la responsabilité du Premier ministre. ». C’est la centralisation à outrance. Bien entendu il n’a ni le temps ni les compétences nécessaires pour exercer ces responsabilités. Il va donc déléguer ce travail à la Direction Interministériel des Systèmes d'Information et de Communication, la DISIC, qui dépend du Secrétaire d’Etat chargé de la réforme de l’Etat et de lasimplification et de son Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique, SGMAP.
Cependant au paragraphe suivant cette mission est déléguée aux ministres sauf en ce qui concerne les matériels, les réseaux, les « services numériques d’usage partagé » ainsi que les fonctions transversales. En quelques sorte on centralise pour ensuite on décentralise mais en centralisant quand même. Comprenne qui peut !
Il est de plus mis en place à l’article 2 « un conseil du système d’information et de communication ». Il est « placé auprès du Premier Ministre ». Il regroupe les secrétaires généraux des ministères et le directeur de la DISIC. Cet organe est chargé de « la définition et la mise en œuvre du cadre stratégique commun », « du cadre commun de gestion de la performance » et « des modalités de la mutualisation et de la gouvernance ». On note l’importance accordé au pilotage de l’activité informatique.
Enfin, l’article 3 précise chaque ministre doit établir un « plan d’investissement couvrant les projets et activités du ministère et des organismes placés sous sa tutelle en matière de système d’information et de communication ». Fini les schémas directeurs, vive les plans d’investissement.
Ce dispositif est complété par un contrôle des projets supérieurs à une somme qui reste à définir. Il est effectué par le directeur de la DISIC. Il a un mois pour approuver le projet ou demander « tout complément d’information nécessaire ».
Curieusement ce décret est complété par un arrêté qui revient sur les décisions précédentes : « A titre transitoire, délégation est donnée aux ministres pour les infrastructures, les services numériques d'usage partagé et les systèmes d'information relatifs à des fonctions transversales des administrations de l'Etat. » Une fois de plus on fait un pas à gauche puis un pas à droite. Les voies du seigneur sont impénétrables. On peut simplement craindre que le régime transitoire risque de durée.

Un nouveau dispositif de management

L’objectif de ce dispositif est de diminuer les coûts de l’informatique publique. Jacques Marzin, directeur de la DISIC, a annoncé dès le mois de mai 2014 dans un entretien au Monde Informatique que ses ambitions sont de réduire les budgets informatiques des Ministères de 30 % à 40 % sur 5 ans. On se rappellera que Jaques Marzin est administrateur des finances publiques. Il est assez logique s’intéresse en priorité à la gestion de la dépense. A court terme l’objectif est de réduire le montant des licences de logiciels et des prestations mais il est probable qu’à terme le nombre de plateformes va diminuer.
Le grand projet est d’unifier le réseau de l’Etat. Aussi étonnant que cela paraisse ce n’est pas encore le cas ! De même il est prévu de mettre en place une messagerie unifiée et un Cloud public. Wait and See.
L’autre grande idée est d’inciter les décideurs à réfléchir sur les orientations des systèmes d’information en créant un « conseil du système d’information et de communication » interministériels. Deux fois par an les secrétaires généraux des Ministères sont invités à réfléchir sur les orientations à appliquer. C’est un progrès important car, jusqu’alors un organe de concertation de ce type manquait. Chacun agissait dans son Ministère sans grande coordination avec les autres Ministères et souvent avec des objectifs pas toujours très clairs. De plus les ministres (en fait ce sera plutôt les secrétaires généraux) sont incités se pencher sur les investissements en systèmes d’information de l’ensemble des Ministères avec un accent particulier accordé aux systèmes d’information transversaux. Beau sujet de réflexion !
En fait l’administration publique s’inspire du modèle d’organisation des grandes entreprises avec des informatiques par division ou par département, des centres de services pour mutualiser certaines ressources comme le réseau, les serveurs,... et au niveau central une équipe est chargée de coordonner les différentes opérations et de piloter les projets majeurs.

Les limites de cette approche

Cette démarche est intéressante, cependant elle a des limites. D’abord cette nouvelle organisation concerne essentiellement les ministères et théoriquement elle prend en compte les organismes qui sont sous leur tutelle. Mais on peut s’interroger si des organismes qui ont des systèmes informatiques puissants comme l’Assurance Maladie, les Allocations Familiales, les Caisses de Retraites, la Poste, la Météo, le CEA, le CNRS et les organismes de recherche, … sont effectivement prises en comptes par ce dispositif. De plus on ne sait pas de quelle manière seront prises en comptes les collectivités locales : les maires, les communautés de communes et les métropoles, les départements, les régions,…. Il est probable que le domaine non-couvert est plus important que celui effectivement mis sous-contrôle.
De plus rien n’est dit sur la manière dont sera gérée l’informatique locale concernant les postes de travail, les réseaux locaux, les imprimantes, les serveurs locaux,… Or, c’est une part importante des systèmes d’information. Qui va les gérer ? Les ministères, les unités de base ou la DISIC ? Ce sont des investissements importants et ils représentent un effort de gestion et d’assistance techniques conséquents. Pour l’instant le décret ne dit rien.
On peut de même s’interroger sur la manière dont seront gérés les informaticiens. Est-ce qu’ils vont rester dans leurs ministères où seront-ils à terme regroupés dans une entité centrale ? Il semble que l’idée actuelle est de les laisser où ils sont. Mais, dans ce cas on risque de ne pas constater des économies d’échelle significatives. De même l’amélioration des compétences, notamment en matière de gestion de projet, ne se fera que lentement. Enfin il reste toujours le problème du statut des informaticiens. Tant qu’il n’y aura pas un corps des informaticiens du secteur public les meilleurs ne choisiront pas ce type de carrière.
Autre point délicat : la gestion de la sous-traitance. Jusqu’à aujourd’hui l’Etat a tendance à vouloir tout faire par elle-même sous-prétexte que les données traitées relèvent du domaine régalien. C’est la théorie. En pratique de nombreux projets sont sous-traités. Mais cela se fait souvent dans la douleur. A terme le développement de l’usage du cloud va se traduire par une externalisation partielle ou totale de l’exploitation des administrations.
Enfin il y a un terme absent dans le décret, c’est le terme de Schéma Directeur. Ce n’est pas la même chose qu’un « plan d’investissement couvrant les projets et activités du ministère ». Cette approche correspond au pilotage par les coûts. C’est une démarche intéressante mais elle ne constitue pas pour autant une stratégie. On est loin d’une vision du rôle des systèmes d’information. Jacques Marzin affirme dans son interview au Monde Informatique du mois de Mai : « je suis persuadé qu'il faut investir dans le système d'information pour améliorer le service aux citoyens autant que les outils dont disposent les agents publics. » C’est bien, mais il serait mieux de le traduire sous forme d’une stratégie ?

Les objectifs de l’informatique publique

L’ensemble de ces mesures a pour objectif d’améliorer la gouvernance informatique et la prise en compte de quatre points importants concernant les systèmes d’information : 
-      Mieux connaître les coûts des Système d’Information. Pour l’instant ils sont mal connus. Très souvent les coûts des projets ne comprennent que le montant des travaux sous-traités en ignorant les montants des fonctionnaires intervenant dans le projet. Il sera enfin possible de connaître le vrai coût des projets. Peut-être à terme on va finir par s’intéresser aux coûts des systèmes d’information. On est sur la bonne voie mais il faut attendre de disposer des chiffres pour apprécier la réalité de ces progrès. 
-      Savoir gérer les projets. Manifestement l’Etat a du mal à les gérer. Il y a eu ces dernières années quelques plantages redoutables et coûteux. Ceci est dû, en partie, à l’absence de culture projet des décideurs administratifs ou politiques. Dans leur monde le court terme l’emporte toujours sur le long terme. De plus l’organisation des projets hors hiérarchie va à l’encontre d’une tradition administrative vieille de plusieurs siècles. C’est une nouvelle culture qui a du mal à se mettre en place. 
-      Améliorer les services fournis aux usages-citoyens-contribuables. C’est un souci louable mais il faut bien l’avouer la plupart des sites publiques ne sont pas faciles d’accès. Certains ont encore une amabilité de crocodile. On peut en faire la liste. Il est certain que les différentes administrations pourraient rendre de nombreux services qu’elles ne fournissent pas actuellement ou seulement de manière partielle et peu satisfaisante. C’est un domaine où il est possible de faire d’importants progrès. 
-      Simplifier les procédures internes des administrations. C’est le cœur du problème. Les règles qu’elles appliquent ont été inventées il y a des décennies (voir plus) et n’ont pas été revues depuis. Les applications informatiques ont été plaquées sur ce qui existait sans s’interroger sur le fonctionnement des systèmes d’information. Il est probable qu’une partie importante des difficultés rencontrées sont dues à la complexité excessive des procédures existantes. Il est nécessaire de les simplifier. Il est pour cela indispensable d’avoir une vision globale du système d’information.
 Ces quatre objectifs constituent le cœur de la gouvernance des systèmes d’information.
  

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