L’émergence
de monnaies virtuelles va-t-elle transformer l’environnement économique et
financier mondial ?
Daniel Bretonès – Président de l’ANDESE
La
cryptomonnaie bitcoin a été créée en 2008 et s’appuie sur la chaîne de blocs (la
blockchain). Depuis cette date les achats de cryptomonnaies, à partir de devises fiat (le dollar et l’euros),
principalement le bitcoin suivi par l’ethereum, se sont développées pour
atteindre 7 milliards de dollars en janvier 2016, 130 milliards de dollars en
septembre 2017 et près de 300 milliards en décembre 2017 (Source :
Fortune).
Il
faut distinguer le protocole bitcoin et le jeton numérique bitcoin ou BTC qui
est soumis à de fortes tensions spéculatives. Le protocole bitcoin est une
innovation de rupture basée sur l’assemblage d’éléments faisant appel à de la
cryptographie, à la mise en réseau entre pairs et au minage par la preuve de
travail. Il permet de réaliser des transactions dans un environnement sécurisé
et fonctionnant de manière décentralisée.
Du caractère hybride des
cryptomonnaies et du bitcoin plus spécifiquement
Le bitcoin (le jeton
bitcoin) serait plutôt une monnaie : il permet d’effectuer des
transactions entre un nombre encore restreint de particuliers quelle que soit
leur localisation, à l’exception de certains pays ou régions.
Le bitcoin
constitue une réserve de valeur dans la mesure où il est rapidement convertible
en une autre monnaie sur certaines plateformes spécialisées dans la
convertibilité entre cryptomonnaies et monnaies Fiat
Les fluctuations
du bitcoin sont énormes et sont le résultat d’anticipations spéculatives extrêmement
fortes. (Voir tableau ci-dessous)
Source :
Cryptocoin
Le
Bitcoin ne répond pas aux définitions conventionnelles d’une monnaie
Une monnaie nationale
se développe en contrepartie de toutes les transactions effectuées au quotidien.
Le bitcoin ne peut pas actuellement être associé à la quasi-totalité des transactions
sur le territoire national (PIB) et international. Aujourd’hui il ne représente
qu’une infime partie de toutes les transactions mondiales.
Le bitcoin n’est
pas sous le contrôle des autorités monétaires (les banques centrales) sauf si
l’on considère la possibilité de changer la limite maximale du stock de bitcoin
actuellement à 21 millions. Cependant ce type de décision est décentralisé au
sein du réseau de mineurs (ce sont les informaticiens qui mettent en œuvre les transactions
au sein de la chaîne de blocs), et les détenteurs des plus importants stocks de
bitcoin au sein de ce réseau ont une voix prédominante. Le bitcoin n’est pas
garanti ni géré comme la majorité des monnaies institutionnelles dans le cadre
des actions des banques centrales. Le nombre de bitcoins en circulation (16
millions à ce jour) est trop faible pour agir les prix au sein de l’économie
mondialisée.
La blockchain et les
principales cryptomonnaies
Le
développement des cryptomonnaies est un phénomène sociétal lié au l’Internet et
aux orientations libertariennes des fondateurs de la blockchain : des
mathématiciens et des cryptographes en lien avec les universités
américaines. Ces chercheurs se sont fait connaître sous le nom de Satoshi Nakamoto,
fondateur du bitcoin, qui représente semblerait-il un groupe restreint de
chercheurs dans les domaines évoqués. Le bitcoin a
été créé par Satoshi Nakamoto en réaction à la crise financière de 2008 et au
scandale international des prêts hypothécaires (les subprimes) qui a nécessité
l’intervention des autorités monétaires lesquelles se sont substituées au
marché interbancaire qui était bloqué. Le code source du protocole bitcoin a
été mis en ligne en 2009. Les cryptomonnaies ne sont pas contrôlées par les autorités
monétaires centrales qui observent le phénomène avec intérêt semble-t-il !
Près
de 1.000 cryptomonnaies ont été créées depuis 2009 mais les plus connues sont
le BTC, l’Ether et le Ripple. Le BTC est la référence centrale en termes de
valorisation. Son cours soumis à des demandes excessives et spéculatives. En
2017 le BTC est monté jusqu’à 20.000 dollars à la fin 2017. Cet élan spéculatif
est retombé et il s’échange au début février 2018 à moins de 8.000 dollars et à
moins de 7.000 dollars le 6 février.
Le
BTC a été limité par ses créateurs à 21 millions d’unités et l’offre actuelle
est voisine de 16 millions de bitcoins. Le dernier BTC devrait être émis en
2140 si le réseau existe encore.
La
force de la chaîne de blocs (la blockchain) tient à cinq attributs spécifiques
et simultanés ;
- Les
transactions sont opérées par des mineurs (c’est-à-dire des informaticiens) qui
s’appuient sur un logiciel afin de vérifier, de sécuriser et d’inscrire les
transactions dans un registre qu’on appelle la « block chain ».
L’entité de base du bitcoin s’appelle un bloc. Les blocs étant reliés en chaîne
forment la blockchain. Le système constitue une base de données décentralisée
sans autorité centrale.
-
La transmission se fait de pair à pair et
non pas en passant par un nœud central. Chacun des nœuds stocke et transmet
l’information à tous les autres nœuds.
-
Chaque nœud ou utilisateur de la chaîne
est identifié par une chaîne alphanumérique de plus de 30 caractères. Chaque
transaction est visible de tous. Les transactions s’effectuent entre les
adresses de la blockchain.
-
Les enregistrements des transactions
inscrites dans le registre ne sont pas modifiables car ils sont liés aux
enregistrements précédents au sein de la chaîne.
- Les
transactions numériques au sein du registre sont informatisées.
Les
acheteurs de BTC disposent d’un portefeuille électronique (le logiciel Wallet)
comportant une adresse, une clé publique, et une clé privée. Le Wallet permet
de créer des comptes, de construire et d’opérer des transactions. En cas de
perte de la clé privée, l’accès au compte de l’utilisateur n’est plus possible
sauf à disposer d’une copie de secours.
La gouvernance du système
La
gouvernance du système s’effectue à deux niveaux
- Le
niveau 1 concerne les transactions opérées par les mineurs. Le BTC ne dépend
d’aucune banque centrale et d’aucun état. Des protocoles cryptographiques de hachage
de l’information et de preuve de travail sont intégrés à la Block Chain du bitcoin.
- Le
niveau 2 rend obligatoire les « contrats intelligents ». Ces derniers
ont été lancés sur la plateforme Ethéreum qui propose une monnaie différente l’Ether.
Ce deuxième niveau de gouvernance a été créé pour renforcer la sécurité des
transactions. Les contrats intelligents permettent d’identifier précisément les
intervenants en amont des transactions et de sécuriser ces dernières par
l’élimination préalable des pirates (les hackers).
Les
autorités bancaires et financières sont intervenues pour pousser à la mise en
place des déclarations d’identité préalables à des transactions sur les
plateformes de cryptomonnaies. Ceci afin d’éviter des détournements de fonds
sur des plateformes nouvellement créées.
A la recherche de
l’Eldorado
L’or
et l’argent ont tenu un rôle moteur dans l’histoire du monde. Les mines d’argent de Potosi et de Zacatecas dans le
Nouveau Monde ont largement participé au financement du « siglo de oro et
des tercios des rois d’Espagne » du XVIème siècle. L’or
brésilien a retardé la chute de l’empire portugais et le sterling d’or, produit
avec le métal provenant surtout de la Guinée Equatoriale, a contribué à l’essor
de la British Navy et de la puissance britannique qui a utilisé la Cavalerie de
Saint Georges (l’or versé aux alliés) pour combattre Napoléon [1].
Aujourd’hui, si l’or continue de fasciner, c’est aussi dû à la
politique d’assouplissement quantitatif du Federal Board Reserve qui est venu
relayer ce mirage. Il a permis après la crise de 2008 d’éviter la déflation et à
relancer l’économie américaine et puis l’économie européenne grâce aux
interventions de la BCE.
Un
écosystème est en train de se créer autour des principales cryptomonnaies avec
le contrôle des transactions, la mise en place de contrats intelligents, et l’émergence
de places de conversion de monnaies réalisées entre les principales
cryptomonnaies (Ether et BTC) et les monnaies fiat (dollar et euro), et dans le
sens inverse.
Le
protocole Blockchain est étudié en détail par la Banque Centrale Européenne et,
en France, par l’AMF. De grandes banques françaises et européennes testent des
applications avec le protocole Block Chain pour sécuriser des transactions et pour,
à terme, renforcer leurs positions concurrentielles.
Les
applications de la blockchain et des bitcoins sont nombreuses dans l’industrie
et la distribution ;
- Kodak
prévoit d’émettre des jetons (Kodak Coins) pour mieux gérer les droits des
images,
-
KFC Canada prévoit l’utilisation des bitcoins
pour payer de petits achats,
-
Le système électoral brésilien utilisera
la blockchain Ethereum,
-
Samsung, qui est devenu le leader mondial
des circuits intégrés devant Intel, développe des puces ASIC (Application
Specific Integrated Circuit) pour le minage des transactions en cryptomonnaies.
C’est un nouveau segment de marché qui s’ouvre alors que les ventes de
téléphones mobiles et de tablettes sont stabilisées voire en baisse. Ces puces
ASIC en développement devraient accélérer les transactions de minage et réduire
la consommation énergétique de ces opérations,
-
Shell développe une blockchain pour
optimiser ses opérations commerciales,
-
Le Chicago Board of Trade (CBOT) et le
Groupe CME préparent le lancement de contrats à terme sur le bitcoin,
- L’autorité
des marchés de Singapour, qui est à la pointe sur les cryptomonnaies, reste
ouverte à leur développement sous réserve de l’application de la loi
anti-blanchiment pour les intermédiaires de ces transactions et prévient les
investisseurs que les cryptomonnaies comportent des risques très élevés à
intégrer dans leur stratégie d’investissement.
Les levées de fonds en cryptomonnaies
(LFC) ou ICOs (Initial Coin Offerings)
L’écosystème
des monnaies virtuelles est à l’initiative d’un nouveau type d’opérations, les
levées de fonds en cryptomonnaies (LFC) ou Initial Coin Offerings (ICOs). Il
repose sur l’émission des tokens ou jetons et la possibilité pour des
particuliers d’investir en direct sur des projets à risque mais avec des
niveaux de retour très élevés caractérisent les LFC. Plutôt que d’investir en
capital dans une entreprise et de détenir des titres en contrepartie il s’agit
d’investir dans des entreprises qui développent des services et / ou des
produits via une chaîne de blocs. Dans le cadre d’une LFC on achète des jetons en
BTC ou en éther à partir d’un compte tenu dans ces monnaies. Les jetons achetés
permettent d’investir dans le cadre d’une ou de plusieurs levées de fonds
spécifiques. La SEC américaine accepte les LFC sous réserve qu’elles soient
conformes à ses règlements.
Ce
mode de financement est également hybride entre le financement participatif et
le capital-investissement dans son volet capital-risque. Il est le produit de
la spécificité de l’actif numérique.
En
juillet 2017 le montant mondial des LFC s’élevait à 2,3 milliards de dollars et
il atteignait les 3 milliards de dollars en décembre 2017.
Face à un processus d’ubérisation
du secteur du capital-risque
Dans
les années 1950, les approches de l’ARD (American Research & Development), à
l’origine de la création du capital-risque sous l’impulsion de Georges Doriot,
révolutionnent le monde de la finance. La mise en application du concept de
capital-risque permet le développement de jeunes pousses sur la Côte Est puis
sur la Côte Ouest des Etats-Unis et procure un avantage concurrentiel
significatif à l’économie américaine dans les domaines de la haute technologie.
De nos jours, des créateurs ingénieux qui ont du mal à trouver des fonds auprès
de capital-investisseurs arrivent à lever des fonds dans le cadre d’opérations
de LFC lancées au niveau mondial. Ils délivrent en contrepartie des jetons qui
ne sont pas des titres mais des services au même titre que les miles
aéronautiques obtenues par les voyageurs en achetant des billets qui permettent
par accumulation d’obtenir des voyages ou services divers gratuitement.
Les
LFC ne sont pas soumises aux audits approfondis pratiqués par les investisseurs
en capital-risque et aux contrôles réglementaires mis en place par les
autorités de tutelle. Le plus souvent l’intérêt du projet, ses fondamentaux et
le profil de l’équipe qui lance la LFC sont consignés dans un livre blanc mis à
disposition des investisseurs potentiels. Le niveau de risque est très élevé
mais en cas de succès de l’opération basée sur le développement de l’entreprise
les plus-values potentielles sont aussi très élevées. Le jeton détenu par
l’investisseur est un service dont la valeur peut fluctuer fortement à la
hausse ou à la baisse.
Selon
le journal Wired certains capital-risqueurs américains auraient participé à des
LFC. Il est clair que pour les projets de qualité bien calibrés le recours aux
LFC est une voie parmi d’autres pour trouver des financements pour de jeunes
pousses innovantes. Elles permettent à des intervenants privés d’investir en
direct sur des projets à risque portés par des starts-up. Jusqu’à présent ce
type d’opérations est réservée aux capital-risqueurs. On assiste bien à
l’émergence d’une désintermédiation des capital-risqueurs.
Quelques prévisions à
moyen terme
Ces
outils constituent une évolution majeure dans l’histoire monétaire :
- La
blockchain un moyen puissant pour déployer des applications pour des
entreprises financières et ou industrielles,
-
Il est à prévoir que les cryptomonnaies
sous-tendues par des technologies décentralisées et fiabilisées se
développeront et s’imposeront progressivement comme le réseau Internet basé sur
le protocole HTTP ouvert, s’est substitué et a remplacé les réseaux privés qui
s’appuyaient sur des protocoles fermés et non-ouverts,
- Des
levées de fonds par LFC pourraient être disruptives pour les capital-risqueurs
(VC) et complémentaires des formes de financement pratiquées dans cette
industrie.
Les
gourous de la Silicon Valley ont annoncé depuis près de 20 ans l’arrivée du New
Age porté entre autres par Internet. Depuis des secteurs entiers ont été remodelés
et transformés dans les médias, dans l’hôtellerie, dans la réservation en
ligne. Les monopoles acquis par les GAFA ont pris à découvert les décideurs
français et européens qui n’avaient pas anticipé ce qui pouvait se produire.
Des secteurs entiers de l’économie mondiale ont été redessinés et en général
les entreprises françaises et européennes sont peu ou pas présentes dans ces
nouvelles configurations.
Le
protocole blockchain est une technologie jeune mais porteuse. Elle peut être
améliorée en termes de vitesse de transaction et de sécurisation des opérations
en amont de la chaîne de blocs proprement dite. Les LFC montrent le potentiel
de ce qu’il est possible de réaliser en matière d’investissement direct à
risque. Les LFC complètent les financements de type participatif et les
financements d’amorçage proposés par les capital-risqueurs.
A
ne voir que la face négative de la chaîne de blocs et des pratiques de type
LFC, les entrepreneurs français pourraient être dissuadés de tester ces
nouvelles approches. Il convient donc de communiquer de manière neutre voire
positive sur le sujet tout en appréciant les limites du protocole Block Chain
et ses applications dans la finance et l’industrie. Les cryptomonnaies
constituent peut-être un moyen de rendre plus liquide l’économie et il serait
dommageable de les condamner à priori alors qu’elles sont émergentes et en
phase de consolidation.
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