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dimanche 2 février 2020

Investissements en système d’information et productivité


Par Claude Salzman

Depuis 60 ans les entreprises investissent massivement dans leurs systèmes d’information en matériels et, de plus en plus, en logiciels. Au début on informatisait principalement cinq applications : la facturation, la comptabilité clients, la comptabilité générale, la paie et les stocks. Si les volumes à traiter étaient importants ces applications étaient rentables. C’était l’ère des traitements de masse. A partir des années 80 les micro-ordinateurs ont profondément changé la donne. Les employés et les cadres ont découverts les PC et on a assisté à une multiplication du nombre et de la variété des applications possibles avec notamment le traitement de texte, les tableurs, les petites bases de données, … Puis avec le développement des réseaux locaux et d’Internet on a assisté au développement de nouvelles applications comme la messagerie, le Web, …  Mais est-ce qu’elles sont rentables ?
Honnêtement personne le sait. Il est probable que toutes les entreprises du monde n’ont pas investi des sommes aussi importantes uniquement pour faire plaisir à IBM, Apple, Microsoft, … On peut raisonnablement penser qu’elles en tirent quelques avantages. Mais, curieusement, on a du mal à mesurer des gains de productivité et d’efficacité liés à ces investissements. Il est vrai que si ce n’était pas le cas pour quelles raisons continueraient-elles d’investir massivement dans leurs systèmes d’information ?

Curieusement on ignore le montant des investissements effectués en systèmes d’information

Cependant lorsqu’on veut connaître le montant réel des investissements en systèmes d’information on constate très vite l’absence de statistique. Par contre on connaît assez bien les dépenses informatiques car plusieurs organismes cherchent à les évaluer notamment l’OCDE, le Gartner, IDC, … En France l’INSEE et l’OFCE s’efforcent de les estimer. Au niveau mondiale le Gartner les évalue à 3.790 milliards de dollars en 2019 et les estime à 3.925 milliards de dollars en 2020.


Ces dépenses informatiques comprennent les achats fait par les services informatiques et les utilisateurs : matériels, logiciels système et logiciels de base, applications bureautiques et de gestion, achats de prestations à des sociétés de service (traitements, développements spécifiques, délégation de personnel, …) et les frais ce communication.
Il faut faire attention au fait que ce dernier chiffre comprend aussi les dépenses faites en matière de téléphonie pour un montant de 1.500 milliards de dollars. Une partie correspond à des communications informatiques mais une grande partie est due aux conversations téléphoniques entre personnes. Mais les évolutions de la technologie font qu’il est quasiment impossible de les distinguer car les données comme les bavardages passent sur les mêmes réseaux fonctionnant sous IP. Dans ces conditions il est difficile de ce qui fait partie du système d’information et ce qui devrait en être exclu [1].
Mais ce montant de la dépense informatique ignore les dépenses du service informatique et en particulier les dépenses de personnel informatique (chef de projet, analyste, programmeur, exploitants, …) mais aussi les maintenances (matériels et logiciels) (qui ne figurent pas déjà dans les rubriques précédentes), les locaux, l’énergie consommés par les ordinateurs, sans oublier les consommables (papier, toner, support de stockage, …). Ce montant est difficile à évaluer mais il doit être de l’ordre de 1.500 milliards de dollars [2] soit ajoutés aux 3.800 milliards d’achats on arrive à un total de l’ordre de 5.300 milliards. Le PIB mondial, selon la Banque Mondiale, est égal à 85.406 milliards de dollars en 2018. Les dépenses informatiques représentent don 6,2 % [3] du PIB.
Cependant ce montant mélange des dépenses d’investissement informatique et des dépenses de fonctionnement informatique. De plus il ignore les dépenses de la maîtrise d’ouvrage liées à la conception et à la réalisation des systèmes d’information ?

Tentative d’évaluation des montants des investissements en système d’information et donc de leur coût global

Il est d’abord assez étonnant de constater qu’il n’existe pas d’évaluation globale des sommes investies dans les systèmes d’information. On sait d’expérience que ces investissements comprennent deux parties : les investissements informatiques à proprement parler et les dépenses des maîtres d’ouvrage liées à l’investissement.
Les investissements informatiques au sens strict du terme comprennent :
-        les achats de matériels et de logiciels de base,
-        les achats de progiciels,
-        les coûts des développements internes ou externes
-        les coûts des tests,
-        les dépenses de mise en place des applications.
Les dépenses des maîtres d’ouvrage liées aux projets correspondent :
-        au temps passé par les utilisateurs à spécifier la future application,
-        suivre de la réalisation,
-        effectuer les tests de l’application,
-        former des utilisateurs,
-        l’ensemble des coûts de démarrage vu du côté des utilisateurs.
Sur ces 5.300 milliards de dollars de dépenses informatique on peut estimer que le pourcentage des investissements est égal à 50 % du budget informatique soit un montant des investissements informatique de l’ordre de 2.700 milliards de dollars. Ce montant croit plus ou moins régulièrement et dans ce montant on constate une baisse régulière du coût des matériels ce qui fait que leur poids relatif diminue. Mais simultanément on constate que le pourcentage du software augmente régulièrement.
A ces montants s’ajoutent les dépenses de maitrise d’ouvrage et de gestion de projets qui est de l’ordre de 10 % du montant des investissements informatique. Ceci fait que les investissements mondiaux dans les systèmes d’information seraient de l’ordre de 3.000 milliards de dollars [4].
Pour apprécier l’importance de ces montants il faut les rapprocher du total des investissements effectués dans le monde. Ils sont en moyenne de l’ordre de 17,5 % du PIB. Sur la base d’un PIB mondial de 85.400 milliards de dollars le total d’investissements tout confondu est de 15.000 milliards de dollars. Ceci fait que les investissements en système d’information représentent environ 20 % des investissements des entreprises et des administrations. Les 3.000 milliards de dollars représentent donc de l’ordre 3,5 % du PIB. Bien entendu ce pourcentage est variable d’un pays à l’autre et varie dans le temps. Pendant les vingt ans allant de 1980 à 2009 il a régulièrement progressé. A la suite de la crise de 2008-2009 cette progression s’est stabilisée mais il n’y a pas eu d’effondrement comme on aurait pu le craindre.
Mais ce montant n’est pas le coût total des systèmes d’information qui comprend en plus des investissements en système d’information le montant des dépenses informatique de fonctionnement, hors amortissements, auxquels s’ajoutent les montants correspondants aux temps des utilisateurs à travailler sur les systèmes d’information (saisie des informations, contrôle des bases de données, consultation et exploitation de ces informations). Ce montant est bien entendu variable d’un métier à l’autre et à l’intérieur d’une entreprise d’une fonction à l’autre. Il est très variable mais il est de l’ordre de 8 à 10 fois le total de la dépense informatique proprement dite, soit, sur la base de l’estimation précédente des dépenses informatiques de 5.300 milliards de dollars, on arriverait à un montant compris entre 42.400 à 53.000 milliards de dollars soit de l’ordre de 50 % du PIB et même peut être plus. Certains ont un effet direct sur la croissance et d’autres n’ont pas d’effets, voir diminuent le PIB [5].
Ainsi la moitié de la valeur ajoutée crée dans le monde, et donc de la richesse, serait liés au développement des systèmes d’information. Cependant il faut relativiser ce pourcentage car il existe encore dans le monde un grand nombre de systèmes d’information qui ne recourent pas à l’informatique, pas seulement dans les pays en voie de développement, mais aussi dans les économies avancées. Mais, avec le temps, leur nombre diminue.

L’impact des investissements en système d’information sur la croissance économique

Ils varient aussi selon la nature de l’investissement. Ces dépenses ont un effet positif sur la croissance. Plus on investit plus le taux de croissance est important. Cependant d’un pays à l’autre les investissements ont plus ou moins d’impact sur la croissance. Ces écarts sont en grande partie dus à la qualité des investissements effectués. De plus leur rentabilité est variable dans le temps. Ainsi au 19ème siècle les investissements ferroviaires étaient des facteurs de croissance importants. Au début du 21ème siècle ce n’est plus le cas.
Qu’en est-il des investissements dans les systèmes d’information ? Pour cela il faudrait disposer pas de statistique des investissements effectués dans le domaine des systèmes d’informations par pays sur une longue période. Malheureusement on ne dispose pas de ces données. Par contre l’OCDE a établi des statistiques des dépenses informatiques par pays sur longue période notamment le montant des investissements informatiques et leur impact sur la croissance. On peut faire l’hypothèse qu’il existe une bonne corrélation entre les dépenses d’investissement informatiques et les dépenses des investissements en système d’information. On se rappellera que l’écart entre ces deux montants est de l’ordre de 10 %.
Selon les statistiques de l’OCDE les investissements en informatique représentent entre 12 % et 28 % du total des investissements réalisés (rapporté au PIB ils varient de 2 % à 4,2 %) et leur contribution à la croissance varie entre 0,33 % et 0,8 % de PIB. Comme on le voit plus on investit en informatique plus ces dépenses contribuent à la croissance économique.

Inv ICT/FBCF
Contribution
inv.ICT/PIB
Portugal
12,00%
0,35%
2,10%
France
13,00%
0,33%
2,00%
Irlande
14,50%
0,60%
2,20%
Italie
15,50%
0,40%
2,30%
Japon
15,50%
0,50%
3,70%
Allemagne
16,50%
0,40%
2,40%
Finlande
17,00%
0,33%
2,50%
Danemark
19,00%
0,55%
2,60%
Australie
20,00%
0,62%
3,30%
Canada
21,00%
0,72%
3,20%
Pays Bas
21,00%
0,68%
3,50%
Suède
22,00%
0,55%
3,20%
Grande Bretagne
22,00%
0,58%
3,20%
USA
28,00%
0,80%
4,20%

Investissements informatiques par rapport au total des investissements et au PIB et leur contribution à la croissance 2000-2009 source OCDE

Comme le montre le graphique ci-dessous il existe une assez bonne relation entre le poids des investissements informatiques et leur contribution à la croissance. Le coefficient de corrélation est de 0,6 :
                        Y = 0,1729 X + 0,0003
où Y est la croissance du PIB et X le montant des investissements informatiques par rapport au PIB. On note que dans cette relation la part constante est voisine de zéro et qu’un point de PIB investit en informatique se traduit par un taux de croissance de 0,17 % supplémentaire

.

L’importance des gains de productivité et d’efficacité

Les investissements en systèmes d’information ont un double impact :
-        Les gains de productivité. Les systèmes d’information permettent de réduire le coût des opérations comme la paie, la facturation, … Ils ont été massifs au cours de la période 1960 à 1990. Ces gains sont, en grande partie, liés à la massification des traitements.
-        Les gains d’efficacité. Ils jouent un rôle croissant depuis 2000 en développant le chiffre d’affaires des entreprises et surtout leur marge nette. Ces progrès peuvent être mesurés par le ratio de la valeur ajouté par salarié. Le succès des GAFA montre l’ampleur de ce phénomène.
Pour s’en assurer il serait souhaitable d’effectuer des études de rentabilité de tous les grands projets et d’une sélection de projets de taille moyenne. Or, il faut bien le constater, les évaluations de gains sont rares. On estime que moins de 10 % des projets bénéficient d’une étude de ROI (Return On Investment) et les évaluations de gains à postériori sont exceptionnels. Pire, à notre connaissance, aucune entreprise ne cherche à estimer régulièrement les gains globaux liés aux investissements effectués dans les TIC. Ceci montre qu’il y a encore des marges de progrès importantes à réaliser en matière de gouvernance.

Le rapport :« L’investissement des entreprises françaises est-il efficace ? »

Face à ces faiblesses France Stratégie et la Fabrique de l’Industrie ont cherché à comprendre ce qui se passe dans le secteur de l’industrie et ont publié un rapport de 79 pages (pour télécharger le rapport cliquez ici : https://www.strategie.gouv.fr/publications/linvestissement-entreprises-francaises-efficace ). Est-ce que l’industrie française investie suffisamment dans les TIC et quel est leur impact ?


Première constatation étonnante : les entreprises industrielles françaises investissent plus que leurs homologues des pays voisins :
-        En France ces investissements représentent 25,7 % de la valeur ajoutée crée.
-        En Allemagne ils sont égaux à 19 % de la valeur ajoutée.
Comment expliquer cet écart ? Est-ce que l’Allemagne investis moins ou investis mieux ? Est-ce que l’industrie allemande crée plus de valeur ajoutée pour un même montant d’investissement en TIC ? Quel est l’impact de cet écart ? L’observation montre que la productivité et la compétitivité ne reflètent pas l’importance de l’effort d’investissement effectué par l’industrie française.
Deuxième constatation : d’une manière générale le poids des investissements immatériels est particulièrement élevé en France. Cependant ce montant ne comprend pas des achats de TIC, les dépenses de R&D, les achats ou le développement de logiciels, les bases de données, mais aussi la publicité et le marketing, le « capital organisationnel », la formation ainsi que les œuvres récréatives, littéraires ou artistiques originales et l’exploration minière. Curieux méli-mélo !

Des chiffres troublants

Comme le montre le graphique ci-dessous (figure 3.2 du rapport), l’importance du poids des investissements du secteur manufacturier en France est en grande partie due aux investissements immatériels. Ils sont supérieurs à celui de l’Allemagne, du Royaume-Uni et même des USA. Cependant la France on n’est pas seul dans ce cas. La Suède fait mieux. Dans le cas de la France ceci est dû à l’importance des dépenses informatiques.

Lorsqu’on décompose le taux d’investissement (figure 3.6 du rapport) on constate que les investissements en logiciels et en bases de données en France représentent 5,6 % de la valeur ajoutée alors que dans les autres pays ils sont beaucoup plus faibles car ils sont compris entre 1 et 2 %. Comment expliquer un tel écart ? On dépenserait cinq fois plus en informatique en France qu’en Allemagne ! Cela laisse rêveur.
De même les dépenses en Recherche et Développement sont beaucoup plus élevées en France qu’en Allemagne avec 11,3 % de la valeur ajoutée contre 8,1 %. Etonnant ! Plus étrange la Grande Bretagne est à 5,2 % et l’Italie à 4 %. Le record européen est détenu par la Suède avec 18,3 %. On ferait près de 5 fois plus de R&D en Suède qu’en Italie. Cela parait un peu étrange.

L’évolution des dépenses immatériels du secteur industriels au cours des 20 dernières années, entre 1995 à 2015 (figure 3.3 du rapport), montre que dans la plupart des pays ces dépenses sont faibles et progressent lentement. C’est notamment le cas de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Grande Bretagne, de l’Italie et de l’Espagne. Elles sont comprises entre 2 % et 10 %. Ainsi l’Allemagne est passé de 7 % à 9 % tandis que l’Espagne a doublé son ratio de 2 à 4 % mais elle reste le pays ayant le taux d’investissement immatériel le plus faible.
Le cas de la Suède et la France sont l’exception. Les dépenses d’investissements immatériels sont passés en France de 11 % à 17 % soit une progression de + 55 % mais la Suède fait mieux en passant de 12 % à 20 % soit + 67 %. Dans le cas de la France la croissance est régulière avec une petite accélération à partir de 2006. La crise de 2008-2009 n’a pas eu d’impact sur ce pourcentage contrairement à la Suède et l’Allemagne. Il semble que l’importance de ces dépenses sont, en grande partie, dues aux dépenses informatiques : logiciels et bases de données.

Si on isole les seules dépenses informatiques (figure 3.4 du rapport) on a la confirmation que la France est dans une situation particulière comparée aux 7 autres pays pendant 20 ans. On peut distinguer à trois situations :
-        4 pays oscillant entre 1,5 % à 2,5 % en légère progression. C’est le cas de l’Italie, des Pays-Bas, de la Suède et de la Grande-Bretagne.
-        2 pays ayant des dépenses informatiques particulièrement basses : l’Espagne et l’Allemagne avec des taux compris entre 0,5 % et 1,2 %.
-        La France avec des dépenses informatiques particulièrement élevé comprises entre 4,7% et 6,1 %. On constate une baisse de plus de 1 % entre 2001 et 2004 puis une nette remontée à partir de 2011.
Ainsi les entreprises industrielles de la France dépenseraient trois fois plus que la moyenne des autres pays et entre 5 et 9 fois plus que les pays les plus économes. Cela devrait se voir !


Quatre hypothèses pour expliquer la situation exceptionnelle de la France

Il y a manifestement un cas spécifique de la France. Le rapport L’investissement des entreprises françaises est-il efficace ? donne quatre pistes pour expliquer cette situation :
-        Le crédit d’impôt recherche (CIR), notamment depuis sa réforme de 2008, inciterait les entreprises à développer des applications nouvelles. Mais ceci joue sur le poste R&D plus que celui des logiciels et des bases de données.
-        Le recours massif à l’externalisation notamment à la réalisation informatique. En effet les logiciels peuvent être développés en interne ou externe mais les coûts de ces deux approches sont sensiblement voisins et cela n’explique pas un taux trois fois supérieur.
-        Dans l’ensemble des investissements immatériels il n’y a pas que l’informatique. Le rapport pointe en particulier le poids élevé de la publicité, du marketing, du capital organisationnel et de la formation en France.
-        Le développement de produits ou de services recourant à un niveau de conception élevé se font dans le pays mais dont une partie de la production est sous-traitée à l’étranger. La France serait un grand bureau d’études et les fabrications se feraient en Chine. C’est le modèle Apple. Il est possible que des cas de ce type existent en France mais ce n’est probablement pas le cas général.
Ces explications sont intéressantes mais n’explique pas un écart de 1 à 3, voire de 1 à 10. On ne peut pas exclure qu’il existe d’un pays à l’autre des différences d’évaluation et d’imputation de certaines charges.

Une autre hypothèse est envisageable

Mais à côté de ces explications il en existe une autre, nettement plus probable, liée à la rentabilité des projets en France ou plus généralement à leur management. Dans la masse des projets certains sont excellents mais il y en d’autres qui posent problème. Dans ces conditions on peut envisager trois hypothèses différentes :
-        Les investissements en systèmes d’information ne sont jamais rentables. Il n’y a pas de gains ou ceux-ci sont dérisoires et ne couvrent pas les dépenses qu’ils occasionnent.
-        Une partie des projets sont rentables mais de nombreuses autres ne le sont pas. Ceci fait qu’ils pèsent sur la rentabilité globale de ces investissements. Ceci serait dû à un manque de rigueur lors de la sélection des projets, à un pilotage insuffisant des opérations ou à une sous-utilisation des systèmes en place.
-        Il n’est pas possible de mesurer l’impact des systèmes d’information. On peut aussi faire l’hypothèse qu’on ne peut pas calculer les gains de productivité ou d’efficacité, comme il n’est pas possible de mesurer la rentabilité d’un système d’information manuel. Est-ce qu’on a l’idée de chercher à calculer la rentabilité des crayons billes !
La première hypothèse est absurde car si c’est ce cas on peut se demander pour quelles raisons toutes les entreprises du monde et toutes les administrations dépenseraient 3.000 milliards de dollars par an en investissement dans leurs systèmes d’information sans qu’il n’y ai aucune contrepartie. Cela représente 3,5 % du PIB. Certains pensent qu’en la supprimant on doublerait les profits des entreprises. Mais est-ce si sûr ? Ne risquerait-on pas plutôt un effondrement des profits des entreprises.
La troisième hypothèse est intéressante. Il existe de nombreux investissements dont il est difficile de calculer la rentabilité. C’est par exemple le cas lorsqu’où on replace un équipement par un autre. Un camion ayant fait 400.000 kilomètres est usé et il faut le remplaçant par un nouveau camion. Comment peut-on dans ces conditions calculer la rentabilité de ce type investissement ? C’est très difficile voire impossible. Pour pallier à cette difficulté les entreprises calculent des amortissements qui sont ensuite incorporés dans les coûts de revient. Il en est de même du remplacement d’un ordinateur et on devrait en faire de même pour les logiciels. Mais ceci est actuellement rarement fait.
Certains cas sont délicats. Par exemple, comment peut-on calculer la rentabilité d’un plan de formation ? Ce n’est pas évident. Par contre on sait d’expérience que si on ne le fait pas on peut craindre que dans quelques années l’entreprise sera en dans une situation délicate.
Mais heureusement la plupart des investissements faits en système d’information sont rentables voir très rentables. Si ce n’était pas le cas comment pourrait-on les « vendre » aux décideurs et aux actionnaires ?
Pour cette raison je penche pour la deuxième hypothèse. Le fait est qu’il existe à côté d’applications à fort ROI (avec des retours de l’ordre d’un an) de nombreux projets qui n’ont jamais été rentables et ne le seront jamais comme les ERP, le traitement de texte, … Mais si on réinstalle dans les entreprises des machines électro-comptables et des machines à écrire je ne pense pas que cela déchainera l’enthousiasme des foules.
Il est vrai qu’un certain nombre de projets sont mal pilotés et dérapent. Les délais s’allongent et les coûts suivent. On estime que c’est le cas d’environ un tiers des projets et la dérive des coûts est du même ordre de grandeur. On dit souvent, avec humour, que la dérive est le facteur , c’est-à-dire que le budget d’origine est multiplié par 3,14. Mais, en réalité, ces cas sont exceptionnels. En moyenne la dérive est dix fois moindre à environ 30 %. Il est certain dans ces conditions que la rentabilité de ces projets devient incertaine.

Rapport du CNP sur le « Productivité et compétitivité où est la France ? »

Mais le vrai problème est celui de la productivité. Il existe aux USA un débat sur son évolution mené par Robert Gordon dans un article paru en 2012 : « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds » puis dans un livre devenu célèbre en 2016 « The Rise and Fall of American Growth » [6]. Il affirme que la forte croissance économique du 19ème et du 20ème jusqu’en 1970 a été une situation exceptionnelle due à de nombreuses innovations mais depuis cette date il y a moins d’innovations. Il pointe en particulier les nouvelles technologies qui n’ont pas eu d’impact significatif et cela s’est traduit par une baisse significative du taux de croissance de la productivité. En particulier, l’informatique n’aurait pas eu l’impact espéré.
En Europe on constate aussi une baisse de la croissance de la productivité. Pour mieux comprendre ce qui se passe la Communauté Européenne [7] a incité les Etats à étudier de près ce phénomène. En France on a créé pour suivre l’évolution de la productivité : le Conseil national de productivité. Le premier rapport du CNP est paru en avril 2019 (Pour télécharger le rapport cliquez ici https://www.strategie.gouv.fr/publications/productivite-competitivite-france-zone-euro).


Il constate que la productivité a été élevée entre 1945 et la fin des années 80. Cela a correspondu à la période de la reconstruction de l’après-guerre et du rattrapage de l’économie française par rapport à l’économie américaine. Mais depuis le début des années 90 on constate une baisse significative de rythme de croissance de la productivité. On est passé de 1,2 % (1985-2000) à – 0,4 % (2007-2011). Depuis la fin de la crise on note une lente remontée avec + 0,4 % (2012-2016) [8]. On constate le même phénomène dans tous autres les pays développés.



Cinq facteurs explicatifs

Le rapport du Conseil National de Productivité identifie cinq facteurs expliquant cette baisse :
-        Poids des secteurs à faible productivité. Le renforcement du poids dans l’ensemble de l’économie des secteurs connaissant de faibles gains de productivité comme les services, le commerce, la banque et l’assurance, … Par contre le poids de secteurs bénéficiant de forts gains de productivité comme l’industrie diminue régulièrement. « La part de l’industrie est passée de 30 % en 1980 à environ 15 % de l’emploi du secteur marchand ». De plus certaines politiques ont eu des effets paradoxaux : « La politique de réduction des cotisations sociales employeurs sur les bas salaires en France, qui a contribué à l’intensification de la croissance en emploi, a pu mécaniquement freiner les gains de productivité du travail ».
-        La baisse de la contribution des TIC à la croissance. C’est « entre 1995 et 2004 que la contribution des TIC à la croissance de la productivité horaire du travail a été la plus importante. Sur la décennie suivante, cette contribution chute de 0,5 point en moyenne annuelle aux États-Unis où elle était la plus forte à 0,15 entre 2004 et 2015. En zone euro, où l’effet des TIC a été moins puissant, la contribution annuelle moyenne chute entre les deux périodes de l’ordre de 0,15 point ». Elle serait passé en quelques années, pour l’ensemble de la zone euro, de 0,25 % à 0,11 % du taux de croissance du PIB.
-        La baisse des taux d’intérêt. Elle s’est traduite par la fourniture d’importantes facilités financières accordées aux entreprises et notamment à celles qui sont peu rentables ou même en pertes. Cela s’est traduit par une réduction du nombre d’entreprises éliminées à cause de leur rentabilité insuffisante.
-        Un ralentissement de la réallocation des facteurs de production. Les entreprises décroissantes ne transfèrent pas leur capital excédentaire vers celles qui sont en forte croissance. Ceci est dû au fait que les politiques de la concurrence, commerciale et industrielle mise en œuvre par les entreprises les incite à limiter le processus de réallocation des facteurs de production ce qui a eu tendance à freiner la croissance de la productivité globale de l’économie.
-        Une divergence croissante des gains de productivité des entreprises. Dans un même secteur l’écart entre les entreprises qui se trouvent à la frontière technologique (c’est-à-dire les plus productives) et celles qui sont à la traîne. Ceci serait dû à un ralentissement du processus de diffusion des technologies.
Comme on le voit, selon le Conseil National de Productivité, plusieurs facteurs expliquent le ralentissement du rythme de croissance des gains de productivité. Les TIC ne sont qu’un des facteurs du ralentissement et c’est peut-être le moins conséquent. Il est probable que le développement des activités tertiaires à faible valeur ajoutée comme les hôtels, la restauration, le gardiennage, la sécurité, le nettoyage, … a un effet beaucoup plus conséquent sur l’évolution de la productivité que les TIC.

L’approche de l’INSEE

Dans le rapport annuel des Comptes de la nation portant sur l’année 2018 l’INSEE a publié une étude très intéressante sur l’évolution de la productivité entre 2005 et 2015 [9]. Constatant la baisse du taux de croissance de la productivité [10] l’INSEE dégage 4 facteurs expliquant cette situation :
-        Inefficacité de l’allocation des facteurs de production entre les entreprises. Certaines entreprises ne croissent plus ou même connaissent une baisse de leur chiffre d’affaires. Dans ces conditions elles disposent alors d’un excédent de capital. Pendant ce temps il existe de nombreuses entreprises en forte croissance manquant de capital. Ceci se traduit par une moindre productivité du total du capital national investi.
-        Diminution du rattrapage de productivité des entreprises les moins productives. La crise de 2008-2011 n’a pas permis à ces entreprises d’amélioration de leur situation car elles voyaient leur chiffre d’affaires stabilisé voir en baisse. De plus la politique de réduction des taux d’intérêt voulue par la BCE s’est traduite par des crédits abondants et bons marchés. Les entreprises fragiles en bénéficient comme les autres et cela leur permet de survivre malgré leur faible productivité.
-        Regain du dynamisme de la frontière technologique. Face à la crise les grandes entreprises et les groupes, qui étaient déjà proches de cette frontière, ont massivement investi dans les technologies. Elles ont ainsi significativement amélioré leur productivité et elles ont ainsi élevé le niveau de leur productivité qui était déjà excellent. Ce n’est pas le cas des autres entreprises et notamment des PME. La distance entre ces deux groupes d’entreprises c’est donc accrue.
-        Augmentation de la dispersion des productivités. Ceci explique la croissance de l’écart entre la productivité des entreprises les plus productives et celle qui le sont moins. On va pour cela calculer un indicateur de productivité en rapportant le montant de la valeur ajoutée au nombre de salariés de l’entreprise. Ensuite on calcul un indice mesurant l’écart entre les entreprises se situant à la frontière ou proche de celle-ci et les 10 % d’entreprises les moins productives. En 2000 les entreprises à la frontière étaient 4,4 fois plus productives que les moins productives. En 2015 le rapport est passé à de 4,7. Comme on le voit entre 2000 et 2015 la dispersion a augmenté.
Les analyses du Conseil National de Productivité et l’INSEE sont assez convergentes. Cependant la baisse du taux de croissance n’est pas inéluctable. Depuis deux ans on constate l’inversion du phénomène. Entre 2014 et 2016 on assistait à un net ralentissement de la progression de la croissance de la productivité passant de 1 % en 2014 à 0,3 % en 2016. En 2017 on a observé à un net phénomène de rattrapage avec un bond de 2,4 % puis en 2018 une croissance plus faible de 1,4 %. Ce chiffre est très voisin de celui constaté au cours de la période faste allant de 1994 à 2002. Est-ce un phénomène transitoire ou une nette reprise de la croissance de la productivité ? Les prochaines années apporteront une réponse.

Nécessité de développer la gouvernance des Systèmes d’Information

Dans ces conditions il est important d’arriver la croissance annuelle de la productivité autour de 1,5 %. Il est certain que la technologie joue un rôle important dans ce processus et notamment les systèmes d’informations. Dans ces conditions il nécessaire de renforcer et de généraliser l’usage des bonnes pratiques en matière d’informatique et de système d’information. Il faut notamment :
-        Être très sélectif sur les projets. Un trop grand nombre d’applications ne sont pas rentables et quoi qu’on fasse elles ne le seront jamais. Trop de projets aurait dû être évité. Pour éviter ces investissements à perte une évaluation il est indispensable d’effectuer préalablement à leur réalisation mesurent leur impact de façon à s’assurer de sa valeur pour l’entreprise.
-        Renforcer la gestion de projet. Une des causes fréquente de dérive des projets tient à la faiblesse du management des opérations. Pour éviter ces errements il est important de renforcer les études amonts et de contrôler a posteriori l’impact des applications opérationnelles par rapport à ce qui était prévu à l’origine.
-        Revoir périodiquement le portefeuille des applications existantes. Trop d’applications opérationnelles sont peu efficaces et pèsent sur les coûts globaux de l’informatique. Elles nécessitent d’avoir de fortes maintenances et leur exploitation est souvent délicate. Pour éviter cette situation il est nécessaire de les revoir et d’éliminer ou de remplacer ces « usines à gaz ».
-        Intégrer la démarche informatique dans une approche de type système d’information. L’informatique est la base permettant de faire fonctionner les systèmes d’information. La transformation numérique repose en grande partie sur une profonde évolution des technologies informatiques : Internet, le Web, les bases de données réparties, … Leur généralisation se traduit par une évolution considérable des systèmes d’information.
-        Renforcer le rôle croissant du management et des décideurs. Il est important qu’ils prennent la responsabilité des systèmes d’information. Mais ce n’est pas facile. Ils ont du mal à les maîtriser à cause de l’inculture informatique d’un grand nombre de décideurs. Pendant trop longtemps ils ont pris l’habitude de sur-délégué les choix aux directeurs informatiques qu’on appelle souvent les directeurs des systèmes d’information comme s’ils avaient un quelconque pouvoir sur les systèmes d’information de l’entreprise.
-         …..
Ces différentes bonnes pratiques reposent sur quelques grands principes de la gouvernance des systèmes des systèmes d’information. Ces règles sont connues de tous mais, hélas, elles sont trop souvent négligées.

Les principes de gouvernance des systèmes d’information

Le Club de la gouvernance des systèmes d’information a recensé les bonnes pratiques liées à la gouvernance des systèmes d’information [11]. On a recensé une centaine parmi les quelles dix sont particulièrement importante :
1.     Avoir des orientations claires. Les systèmes d’information doivent reposer sur des orientations basées sur la stratégie de l’entreprise. Un nouveau système d’information doit aller dans le même sens que la stratégie de l’entreprise. S’il va dans un sens différent d’elle ou bien, ce qui est pire, s’il est en opposition avec cette dernière il risque de fonctionner de manière défectueuse où être rejeté.
2.     Énoncer une vision stratégique. Pour avoir des systèmes d’information efficaces il est nécessaire que l’entreprise ait une stratégie permettant de fixer des objectifs applicables. Elle se traduit par une vision du marché, des clients, des produits, des services, …
3.     Créer de la valeur pour l’entreprise. Il est indispensable de s’assurer qu’un nouveau système d’information permet d’augmenter de manière significative la capacité de l’entreprise à créer de la richesse. Un système d’information qui n’apporte rien ou, pire, qui a un effet négatif sur ses résultats sera très vite abandonnée ou contournée.
4.     Evaluer systématiquement la création de valeur (rentabilité de l’investissement). Pour éviter d’avoir des systèmes d’information ne contribuant pas à la rentabilité de l’entreprise il est nécessaire de s’assurer, dès leur conception, qu’ils vont contribuer à la création de valeur. Si elle est faible ou incertaine c’est, pour tout décideur un indicateur d’alerte qui doit l’amener à chercher une solution plus efficace.
5.     Définir ce qui doit être transformé. Une partie importante des gains liés nouveaux système d’information tient à la refonte de l’organisation en place. Il doit être possible de simplifier les tâches et linéariser les processus. Pour éviter des ruptures trop brutales il est recommandé de faire des changements incrémentaux car des bouleversements trop importants risquent de perturber le fonctionnement de l’entreprise.
6.     Adapter les organisations en place.  L’efficacité du système d’information dépend pour une grande partie de la qualité de l’organisation mise en place. Elle comprend différents types de travaux :
-        l’identification des tâches, leur regroupement, leur suppression, leur fusion,…
-        la répartition des tâches entre les différents intervenants,
-        l’efficacité des contrôles mis en place,
-        le développement des compétences du personnel,
-        la formation des intervenants,
-       
La qualité de la conception de l’organisation est un facteur clé de l’efficacité des systèmes d’information.
7.     Désigner des responsables des systèmes d’information. Il est nécessaire qu’une personne soit responsable de la conception du système d’information et ensuite de son fonctionnement régulier. Ce peut être la même personne mais souvent ce sont deux personnes différentes. Souvent on nomme un responsable hiérarchique mais on peut aussi confier cette charge à un responsable fonctionnel. Pour être efficace il est nécessaire qu’il ait la responsabilité de l’ensemble du système d’information et pas seulement d’une partie.
8.     Renforcer le rôle des dirigeants. Les orientations concernent le futur système d’information doivent être discutées et approuvées par le management et les décideurs de l'entreprise. C’est le rôle des comités de pilotage et des comités de direction. Ils ont comme rôle de déterminer les grandes orientations, valider les principaux choix, fixer les priorités, arrêter les budgets, … L’absence d’engagement du management est une cause fréquente de dérive des opérations.
9.     Faire évoluer la culture de l’entreprise. Toute organisation à une culture spécifique qui permet de définir le rôle de chacun, les règles à appliquer, les comportements souhaitables, … Or, lorsqu’on fait évoluer les systèmes d’information, l’organisation et les méthodes il est nécessaire de faire simultanément évoluer la culture de l’entreprise.
10.  Repenser le rôle du DSI et des informaticiens. Dans ces conditions il est en particulier nécessaire de faire évoluer les rôles des informaticiens. Dans le passé ils étaient responsables de tout : la conception, la réalisation, l’exploitation et la maintenance des applications. Aujourd’hui les utilisateurs prennent des initiatives et il est donc nécessaire de faire évoluer les rôles de chacun.







[1] - Peut être que les conversations professionnelles comme les « conf calls » font partis des systèmes d’information ?
[2] - Dans un service informatique le personnel et les dépenses annexes représente un pourcentage de l’ordre du tiers du budget informatique
[3] - L’économie mondiale 2020, CEPII, La Découverte, page 120.
[4] - Ces évaluations sont faits à la « louche ». Mais grosso modo l’ordre de grandeur est vraisemblable.
[5] - C’est le cas des investissements faits sur subvention et qui échouent.

[6] - “The Rise and Fall of American Growth : The U.S. Standard of Living since the Civil War”, 2016 Princeton University Press, (ISBN 9780691175805) voir aussi “Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds ” NBER 2012. Pour télécharger l'article cliquez ici : https://www.nber.org/papers/w18315.pdf


[7] - Une recommandation du Conseil européen de septembre 2016 a demandé à tous les États membres de l’Union européenne qui partagent l’euro de mettre en place un conseil national de productivité.
[8] - Comme cet indicateur varie de manière importante d’une année sur l’autre, selon le découpage choisi, on peut lui faire dire une chose ou son contraire. Si on considère la période allant de 2001 à 2018 selon les chiffres de l’OCDE on constate une croissance moyenne de 1 % par an malgré la baisse effective de la productivité constatée au cours de la crise entre 2007 et 2009.
[9] - L’économie Française, Comptes et Dossier, Edition 2019, La productivité en France de 2000 à 2015 : poursuite du ralentissement et hausse modérée de la dispersion des entreprises

[10] - Contrairement à ce qui est souvent répété il n’y a pas de baisse de la productivité mais une baisse du taux de croissance de la productivité. Elle est faible mais elle reste positive.

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