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mercredi 29 décembre 2021

Des systèmes aux écosystèmes? Gouvernance et information

 

par Pierre Berger 

Le concept de système d'information a aujourd'hui près de soixante ans. Il a rendu de grands services et il est toujours aussi efficace. Cependant il est, aujourd'hui envisageable de se demander s'il n'est pas opportun de l'enrichir en le situant dans un cadre plus général comme celui d'écosystèmes. Il est ainsi possible de prendre en compte de manière plus pertinente sa complexité et les interactions entre ses différentes parties. Pierre Berger, qui a jadis joué un grand rôle dans la diffusion du concept de système d'information en étant le rédacteur en chef d'une remarquable revue, Informatique et Gestion, hélas aujourd'hui disparue, s'interroge sur l'évolution des concepts.

 

Pour commencer définissons les concepts :

- Un système est ensemble fini de processeurs (ou de fonctions)  organisé de manière essentiellement hiérarchique et déterministe. On le pilote à partir d’un tableau de bord et de paramètres (KPI).

- Un écosystème est un milieu qui comporte un nombre indéfini (mais élevé) d’acteurs à la fois autonomes, connectés et interagissants. On ne peut pas vraiment le piloter, mais on le fait vivre. Du gouvernement on passe à la gouvernance, c’est à dire à l’organisation des relations entre « parties prenantes ».

Dans les années 1970, on croyait avoir trouvé dans le concept de système, appuyé par l’informatique, le bon cadre pour comprendre et pour développer le monde « moderne ». On pouvait le décrire par des systèmes d’équations,  par une modélisation assez simple (Forrester, Industrial Dynamics, par exemple) et bien sûr par la planification (PPBS Planning Programming Budgeting Systems) ou plus simplement les MIS (Management Integrated Systems) et plus tard des ERP (Enterprise Resource Planning).

En France on atteignit un sommet en 1979 au congrès Afcet de Versailles « Modélisation et maîtrise des systèmes ».  Mais déjà le mathématicien Thom y jetait un zeste de suspicion.  Les rêves du contrôle déterministe cédèrent alors devant la montée d’une systémique plus molle, celle d’un Edgar Morin par exemple, pour qui la « causalité circulaire »  invalide toute pensée et toute organisation trop hiérarchique.

Or les boucles, c’est l’affaire de l’informatique. Un ordinateur, c’est un « cycle de base » un automate.  Et les machines deviennent de plus en plus autonomes.  Une autonomie des machines nécessaire aussi bien à leur propre efficacité qu’à nos capacités limitées de les conduire. Fille des systèmes, l’informatique en a montré les limites.

Alors, le mot « écosystème », évoquant au départ le monde naturel et l’auto-régulation des biotopes, décrit bien mieux le mode de relation que nous pouvons avoir avec les machines, comme d’ailleurs avec les autres humains.  Du gouvernement on passe désormais à la gouvernance, c’est à dire à l’organisation des relations entre des parties prenantes qui ont toutes une forme d’autonomie.

En informatique, cela conduit aujourd’hui à des organisations sophistiquées.

Déjà, ce qu’on appelle « système d’exploitation » est plutôt un écosystème.  Sur tout téléphone ou ordinateur personnel un nombre élevé d’applications coopèrent tout en se disputant la puissance de calcul et l’attention du ou des utilisateurs. Et des intervenants extérieurs ne se privent pas d’y intervenir aussi. On ne peut pratiquement plus travailler sans être connecté et, depuis le fournisseur même de l’appareil jusqu’à nos correspondants en messagerie ou en réseaux sociaux, il faut un peu de volonté pour se concentrer sur ce qu’on fait.

Symétriquement, notre activité contribue à la vie d’écosystèmes plus vastes. Y compris nos  pures consommation, qui vont nourrir les banques de données de nos fournisseurs grâce aux cookies, et plus encore si nous donnons notre avis sur la qualité d’un produit ou d’une prestation. Sans oublier bien sûr les profits liés à la publicité.

Entre les machines connectées elles-mêmes, la gestion hiérarchisée du « maitre-esclave » a depuis longtemps fait place au client-serveur quand ce n’est pas au peer-to-peer.

 Les développements informatiques eux-mêmes ne peuvent plus avoir la rigidité des processus « waterfall ». On déterminait au départ les spécifications, le budget et les délais. Et les équipes de développement n’avaient plus qu’à réaliser un projet conçu pour répondre aux besoins des métiers.

Aujourd’hui, le Devops associe les métiers au développement, étape par étape. Et si l’on avait fixé au départ un budget et des délais, les spécifications se préciseront progressivement. Ici encore, au lieu d’un « système » préconçu, on travaille en écosystème entre acteurs différents ; et il faut orchestrer souplement leurs exigences, leurs contraintes et leurs contributions complémentaires.

Salesforce fait coopérer des développeurs indépendants à son offre, d’une manière moins dominatrice que les banques d’applications des GAFAM.

Quant au cloud, il fait par définition coopérer des acteurs différents : le prestataire et ses multiples utilisateurs. Le « time-sharing », simpliste, existait dès les années 1970. Aujourd’hui, les fournisseurs proposent des architectures complexes. Le Cloud Satellite d’IBM comporte l’intégration d’une machine spécifique dans le parc on-premise, pour combiner la puissance du calcul à distance avec le maintien en local des données sensibles. Et on se perd un peu dans les combinaisons sophistiquées proposées par l’hyperconvergence de Hewlett-Packard.

Peut-être, justement, que cette hyper-complication contribue à pousser nos contemporains vers les simplismes sécurisants du complotisme ou d’un retour réactionnaire à des régimes plus autoritaires.

Jouer les écosystèmes,  serait-ce alors un engagement militant autant ou plus qu’une conviction technique ?

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