Monsieur Jean Michel MIS, député de la Loire (LREM) et co-rapporteur du rapport sur la blockchain est intervenu le Mardi 10 novembre 2020 devant le Club Européen de la Gouvernance des Systèmes d’Information de 2018 pour faire le point sur l'action publique n France dans le domaine de la blockchain. Vous trouverez ensuite un post de Gilbert Reveillon, Conseiller du Commerce Extérieur, sur "la blockchain : est-il encore temps de choisir son camp ?" sur les enjeux politiques de la blockchain et le rôle particulier de la Chine.
Mesdames, Messieurs,
Merci pour votre invitation à cette session du club européen de la gouvernance des systèmes d’information.
Je suis heureux de réaliser cette intervention et d’échanger avec vous sur la blockchain qui est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je suis, vous le savez, depuis plusieurs années, particulièrement investi sur ce sujet : d’abord en tant que rapporteur de la mission d’information parlementaire qui a rendu ses conclusions en 2018 à l’Assemblée nationale, ensuite en tant que Président d’honneur de la Fédération française des professionnels de la blockchain. Notre première réunion publique de lancement s’est tenue tout récemment en présence de Cédric Ô et des professionnels du secteur.
Je sais qu’au début, les directeurs des systèmes d’information, c’est-à-dire ceux qui ont la meilleure connaissance des infrastructures techniques socles de la transformation numérique, n’ont pas tous été convaincu par la blockchain, en raison de sa faible maturité technologique. C’est une attitude prudente et légitime. Néanmoins, un consensus émerge aujourd’hui sur les avantages qu’elle présente en termes de sécurité, de rapidité et de gains de productivités associés.
Alors que la blockchain était au départ annoncée comme un bouleversement technologique garant d’une plus grande horizontalisation du monde, elle est aujourd’hui au même titre que l’intelligence artificielle un enjeu de gouvernance publique. Elle transforme la manière dont s’exerce l’autorité politique, économique et administrative et in fine le pilotage des politiques publiques.
D’abord dans le champ économique où la France, après avoir raté le virage de la nouvelle économie dans les années 2000, souhaite agir rapidement dans la course aux innovations de rupture face à ses concurrents américains et chinois. La création d’un cadre réglementaire favorable à l’innovation et le lancement d’une stratégie industrielle ont vocation à combler cet écart.
Ensuite dans le champ monétaire, où plusieurs banques centrales mettent en place leurs propres monnaies digitales pour prendre de vitesse le projet de cryptoactif Libra initié par Facebook. L’euro numérique permettrait à la France et à l’Europe de disposer, avec un temps d’avance sur l’étranger, d’un puissant levier d’affirmation de souveraineté́.
Je suis convaincu que la question notre souveraineté dans l’espace numérique est décisive pour les années à venir. C’est la raison pour laquelle, en tant que vice-Président de la mission parlementaire relative à la souveraineté numérique, j’appelle à faire de la blockchain l’un des piliers de notre stratégie économique et monétaire. C’est sur ces deux points que je vais intervenir.
1) La première étape pour les gouvernements qui veulent soutenir le développement de la blockchain est de créer un cadre législatif et réglementaire favorable à l’innovation et de formaliser une stratégie industrielle pour les technologies de rupture.
a. En établissant un cadre juridique clair, nous permettrons à nos entrepreneurs de recourir à la blockchain et nous sécuriserons les investisseurs qui soutiennent l’essor de cette technologie.
La France a été en la matière particulièrement exemplaire : elle a su mettre très tôt en place un cadre juridique favorable à l’essor de la blockchain pour renforcer notre attractivité et améliorer la compétitivité de nos entreprises à l’international.
Ainsi le cadre juridique français a été progressivement clarifié pour permettre aux entrepreneurs d’utiliser la blockchain sans casser la dynamique d’innovation. Par exemple avec la loi PACTE, nous avons instauré un cadre pour les levées de fonds par émissions de jetons afin de sécuriser les émissions et de garantir l’intégrité du marché en fournissant une information fiable aux investisseurs.
L’évolution de la réglementation dans un sens favorable aux technologies de rupture est un véritable enjeu pour renforcer l’attractivité de la France à l’international. En effet, il existe une forte concurrence sur le segment des technologies de rupture. La Chine a par exemple très clairement annoncé son intention de devenir leader sur la blockchain et aménage son cadre juridique pour soutenir des acteurs chinois, comme le rappelait le directeur général de Blockchain Partner lors de son audition au Sénat.
C’est pour répondre à cet enjeu que j’ai préconisé à l’Assemblée de mener une revue générale des normes qui conditionnent encore l’essor de la blockchain.
b. Mais créer un cadre juridique favorable est insuffisant. Nous devons aller plus loin en mettant en place une stratégie industrielle aussi bien en France qu’au niveau de l’Union européenne afin de favoriser le développement de la blockchain.
La stratégie nationale blockchain répond en partie à cet objectif, en créant un écosystème alimenté par des financements publics de soutien à la R&D sur le modèle de l’intelligence artificielle. Dans le même sens, pas moins de sept milliards ont été annoncés sur les technologies de rupture dans le cadre de France Relance.
Si je salue l’ensemble de ces initiatives, elles sont encore insuffisantes pour permettre à la France de se positionner comme leader sur la blockchain au niveau international et ainsi retrouver sa souveraineté.
C’est à nous d’encourager le développement de solutions souveraines sur blockchain avec des infrastructures régaliennes et d’aider nos acteurs économiques à émerger. Je me réjouis à ce titre de la création de la Fédération françaises des professionnels de la blockchain qui a pour objectif de mettre en relation les acteurs privés afin qu’ils parlent d’une seule voix au niveau national et européen.
La France et l’Europe doivent assumer un soutien direct aux technologies de rupture et créer des écosystèmes favorables aux acteurs privés. Le principal obstacle est le renoncement généralisé alors qu’il faut faire de la souveraineté numérique un enjeu stratégique européen. C’est tout l’enjeu du mandat de la nouvelle Commission, comme le rappelait très récemment Thierry Breton : « Il faut désormais assurer la souveraineté numérique de l’Europe ».
2) C’est également un enjeu décisif en matière monétaire, où il en va de la survie de notre gouvernance publique face aux GAFAM. Les gouvernements qui souhaitent soutenir l’essor de la blockchain doivent concurrencer les initiatives privées comme le Libra en créant en premier une monnaie digitale de banque centrale pour renforcer notre souveraineté
a. L’annonce du lancement du Libra, un cryptoactif privé qui a pour objectif de servir de moyen de paiement sur les applications du groupe Facebook, a été très critiqué au niveau international au cours de l’année 2019.
Le G7 et les gouvernements européens ont refusé en bloc le déploiement du Libra dans les conditions actuelles et rappellent aujourd’hui leur attachement à la souveraineté monétaire.
J’avais en ce sens interpelé Bruno le Maire en juin dernier sur les dangers du Libra. En effet si différents risques ont toujours été associés à l’existence de monnaies digitales privées, leurs récents développements technologiques (les stablecoins, adossés à un panier de devises pour en stabiliser la valeur) impliquent des menaces spécifiques.
Le rapport présenté par Benoit Coeuré, à qui le G7 avait confié la direction d’un groupe de travail sur le Libra, met en avant un risque systémique pour la stabilité des monnaies et une menace particulière en matière de blanchiment d’argent. Plus encore, ce sont les risques en matière de souveraineté monétaire qui alertent les gouvernements et les organisations internationales.
b. C’est pour freiner ces initiatives privées qui menacent notre souveraineté que les banques centrales mettent en place leurs propres monnaies numériques sous forme de monnaie digitale de banque centrale.
Il existe plusieurs projets de ce type au niveau international. Aux États-Unis le lancement de Fedcoins convertibles à parité avec le dollar est envisagé par la FED. De la même manière la banque centrale suédoise, confrontée à une diminution de l’utilisation du cash, envisage la mise en place d’une monnaie digitale officielle. Enfin en Chine, le projet de renminbi numérique est un élément déterminant de l’internalisation monétaire.
En France la Banque de France a lancé en janvier 2020 son premier appel à projet pour expérimenter une monnaie digitale de banque centrale. Si elle avait déjà dans le passé réalisé des expérimentations blockchain, il s’agit du premier test d’envergure pour une monnaie digitale de gros, c’est-à-dire destinée au secteur financier.
S’il convient d’anticiper les risques associés à l’émission d’une monnaie digitale de banque centrale, elle est une formidable opportunité pour retrouver notre souveraineté qui a été contestée par le lancement des monnaies privées. Les résultats permettront en outre à la France de contribuer à la réflexion plus globale conduite par l’Eurosystème sur la mise en place d’un euro numérique à l’échelle européenne.
Nous avons aujourd’hui la possibilité de rebattre les cartes sur la blockchain en imposant de nouvelles règles qui s’accorderont mieux avec nos intérêts économiques et stratégiques et nos valeurs. La France doit être un moteur sur le développement d’infrastructures régaliennes indispensables au développement d’une blockchain souveraine et à la mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale européenne.
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