Pages

lundi 9 juillet 2012

La gouvernance des projets de système d’information

Trop souvent on confond la notion de projet informatique et celle de projet de système d’information. En réalité ce sont deux démarches très différentes. Un projet de système d’information comprend un projet informatique. C’est une approche plus large.
Le projet informatique comprend le développement et la mise en place d’une application. Il est pour cela nécessaire de la concevoir, de la réaliser, de la tester et de la mettre en œuvre. Mais la notion de projet de système d’information va plus loin car non seulement il est nécessaire de concevoir et de réaliser une application mais il est surtout nécessaire de modifier l’organisation en place, de faire évoluer les compétences et de former le personnel. C’est un projet plus large et plus complexe. Un projet de système d’information c’est un projet majeur de l’organisation accompagné d’un volet plus technique concernant l’évolution de son application informatique.
Les projets de système d’information concernent un domaine beaucoup plus large que ceux concernant le seul périmètre informatique. Ils sont donc assez différents les uns des autres. Les objets à produire sont très différents et les règles de gouvernance à mettre en œuvre sont, elles aussi très différentes.

Des enjeux considérables

Les investissements réalisés par les entreprises et les administrations dans les systèmes d’information sont considérables. Aux investissements informatiques à proprement parler s’ajoutent le temps des mangers et des utilisateurs mais surtout la charge de travail nécessaire pour assurer l’évolution de l’organisation en place. Depuis quelques années on assiste à l’augmentation régulière de cette partie qui tend à devenir presque aussi importante que celle des développements.
Malheureusement on ne dispose d’aucune statistique concernant le coût des projets de système d’information ([1]). Globalement on peut estimer qu’en France le montant global des investissements de l’ordre de 50 milliards d’euros par an ([2]). C’est une somme conséquente. Ce montant représente la moitié du total des dépenses informatiques qui doivent être de l’ordre de 100 milliards d’euros par an.
Les investissements informatiques représentent une part importante des investissements annuels faits par les entreprises et les administrations est en France qui est de l’ordre de 265 milliards d’euros par an ([3]). Les investissements informatiques représentent entre 15 % et 20 % du total des investissements. A cela s’ajoute la charge de travail assurée par les maîtrises d’ouvrages et les utilisateurs. On peut estimer ces dépenses à un montant compris entre 10 et 20 milliards d’euros par an ([4]).
Ce sont des investissements importants, mais bien gérés, ils ont d’une rentabilité élevée, voir très élevée. Généralement les investissements industriels ont des retours (les pay-backs) compris entre 4 et 8 ans. Or, les investissements informatiques ont des retours compris entre 2 et 4 ans. Ceci explique l’intérêt accordé par le management par ces opérations. Faut-il encore les maitriser convenablement ! Aujourd’hui l’ensemble de ces investissements ont un impact significatif sur la rentabilité et l’efficacité des entreprises. Plus le temps passe, plus cet effet est significatif. Ceci explique qu’ils sont aujourd’hui devenus un facteur clé de la croissance économique.

Un puissant levier de croissance

Ces faits expliquent l’importance accordée par les pouvoirs politiques à l’économie numérique. Son importance croissante est dû à la conjonction de deux mécanismes économiques fondamentaux :
-        Les gains de productivité. C’est l’impact classique des investissements informatiques. Elle consiste à dépenser moins de ressources pour effectuer les mêmes opérations comme la saisie d’un dossier client, l’émission d’une facture,… Il existe encore une réserve importante de gains de productivité qui seront dégagés dans les années à venir grâce au développement des systèmes d’information.
-        Les gains de l’efficacité. Ils sont liés à une augmentation du chiffre d’affaires de l’entreprise et à une augmentation significative des marges dégagées. C’est le domaine d’excellence du commerce électronique mais aussi d’applications développées à l’aide de serveurs Web. C’est le cœur des développements à venir.
Pour ces raisons il est important d’être sélectif dans le choix des projets de façon à concentrer ses efforts sur les opérations les plus intéressantes. Il ne s’agit pas pour autant d’éliminer tous les projets à rentabilité faible ou incertaine mais de privilégier les opérations les plus intéressantes.
Autre facteur clé : la capacité de l’entreprise à gérer les projets informatiques. Il y a des entreprises très performantes et d’autres ayant plus de mal dans ce domaine. CMMI a montré qu’il y a des écarts importants entre les entreprises situées au niveau 2 et celles se trouvant au niveau 5.
Mais au-delà de ces constatations il est nécessaire de prendre en compte la capacité de l’entreprise à gérer un projet de système d’information. La maturité du processus de gestion de projet se traduit par une capacité à mieux maîtriser les délais, les budgets et les performances attendues du futur système d’information. Pour les entreprises cette meilleure maîtrise des systèmes d’information est un enjeu vital car les systèmes d’information constituent une partie croissante des produits ou des services vendus. Les clients sont acheteurs de systèmes d’information de plus en plus sophistiqués. Par exemple, quand on envoie un colis où un pli important on trouve normal de pouvoir le suivre jusqu’au moment de sa livraison. De même, le fait de pouvoir consulter à tout instant des catalogues électroniques de produit avec photos et plan à jour semble aujourd’hui une opération naturelle.

Le rôle des bonnes pratiques en matière de systèmes d’information

La maturité des systèmes d’information est pour chaque entreprise un objectif stratégique. Elle permet de mesurer l’aptitude des entreprises à mettre en œuvre des systèmes d’information contribuant de manière significative à leur rentabilité et leur efficacité. Elle est, en grande partie, liée à la capacité de mettre en œuvre un certain nombre de bonnes pratiques. Elles concernent quatre domaines particuliers :
-        La conception des systèmes d’information. Un système mal conçu, quelque soit la qualité des autres opérations effectuées, ne donnera jamais des résultats satisfaisants. A l’inverse un système bien conçu sera facile à mettre en œuvre et se mettra en place sans peine. La qualité de la conception est un facteur clé de réussite des systèmes d’information. Pour être efficace elle doit reposer sur une architecture et une organisation clairement définies. Il est pour cela important de prendre en compte l’organisation préexistante. C’est la base de la conception du futur système. Une bonne conception doit permettre d’avoir une organisation évolutive. Celle-ci doit être capable d’évoluer et de s’adapter à des changements du contexte.
-        Le fonctionnement des systèmes d’information doit être régulier et performant. Les opérations doivent se dérouler sans problèmes avec régularité et sans interruption. Un ou plusieurs responsables doivent être chargés de les surveiller et d’intervenir en cas de nécessité. Ce peut être un responsable du métier, de processus ou un maître d’ouvrage. Des indicateurs de performances regroupés dans un tableau de bord régulièrement mis à jour. Le système informatique doit fournir, de manière régulière, les informations nécessaires pour exercer cette surveillance. permettent de piloter les opérations, Ces indicateurs doivent permettre d’améliorer la productivité et d’accroître l’efficacité du système d’information.  
-        L’adaptation des systèmes d’information. Ils doivent s’adapter aux évolutions du contexte de l’entreprise : apparition de nouvelles fonctions, changement de réglementation, renforcement des contrôles, évolution du contenu des tâches,… Les systèmes d’information ne sont pas des systèmes statiques, ils sont évolutifs. Pour éviter toute dérive importante ces changements doivent être gérés en mode projet. Ceci concerne la partie informatique des systèmes d’information mais aussi les changements d’organisation. Ces démarches comportent des mesures ponctuelles, des refontes partielles ou des refontes totales. Ce sont des opérations délicates à mener et elles demandent de mettre en place un pilotage rigoureux.
-        Le pilotage des évolutions des systèmes d’information. Ces changements doivent être pilotés par une personne ayant une vision d’ensemble du système d’information. Pour réussir il est très important d’avoir la confiance des différentes parties prenantes concernées. De plus il faut mettre en place un dispositif de pilotage adapté capable de réagir rapidement à des changements du contexte. Toutes ces évolutions doivent être suivies et toute dérive doit être rapidement détectée. Pour cela le pilote a la responsabilité d’établir des plannings et des budgets et de les suivre.
Il existe, comme on le voit, un certain nombre de bonnes pratiques concernant la gouvernance des systèmes d’information. Elles reposent sur le degré de maturité des systèmes d’information. L’expérience montre qu’il existe des situations où l’évolution des systèmes d’information est correctement maîtrisée et des cas où ces opérations sont plus délicates. C’est un enjeu important. Il est, pour ces raisons, important de s’assurer de l’application des bonnes pratiques.

Les trois dimensions du système d’information

Ces bonnes pratiques reposent sur trois grandes règles de management des projets adaptées au contexte des systèmes d’information :
-        La définition du périmètre du système d’information. C’est un enjeu majeur. Face à un besoin donné on peut envisager plusieurs solutions possibles : fixer un périmètre large ou au contraire envisager une solution minimale. Il est alors possible de choisir celle qui est le plus adaptée notamment en ce qui concerne le périmètre fonctionnel de l’application informatique mais aussi sur l’organisation à mettre en place.
-        Le coût du projet et les coûts de fonctionnement du système d’information. Il faut d’abord maîtriser le montant total des investissements nécessaires. Ce sont d’abord le coût du développement mais aussi l’achat des progiciels. Mais, c’est aussi le matériel nécessaire et surtout l’organisation qu’il est nécessaire de mettre en œuvre. Il est aussi nécessaire de suivre de près le coût de fonctionnement du système d’information. Ce montant comprend les frais de personnel, les coûts des locaux nécessaires, l’amortissement des investissements de matériels et de logiciels, les quotes-parts de direction,… Sur cette base il est possible de calculer les coûts unitaires par opération qui sont des indicateurs intéressants à suivre.   
-        L’efficacité du dispositif. C’est un point important. Il est nécessaire de mesurer la contribution du système d’information au fonctionnement de l’entreprise. Est-ce qu’il contribue de manière significative à l’amélioration de la productivité et de l’efficacité de l’entreprise ? Les investissements effectués dans les systèmes d’information doivent se traduire par des gains significatifs et mesurables comme des réductions de coûts, des augmentations de chiffre d’affaires ou des améliorations significatives de la marge nette. Si non ce sont des investissements sans contrepartie directe.
Une maîtrise insuffisante du périmètre fonctionnelle du projet de système d’information se traduit généralement par une dérive significative de son budget. De même, l’accumulation de gains insuffisants se traduit, tôt ou tard, par une pression croissante sur la rentabilité globale de l’entreprise.

Quelques points clés

Dans ces conditions il est nécessaire d’être très attentifs à un certain nombre de points clés qui sont autant de facteurs de succès comme :
-        Avoir une vision globale des systèmes d’information. Trop souvent on développe les applications informatiques au coup par coup sans les mettre en perspective. Cela se traduit par une forte hétérogénéité des systèmes d’information. Il est nécessaire de lutter contre cette dispersion en ayant une approche globale des systèmes d’information.
-        Lier les systèmes d’information à la stratégie de l’entreprise. Pour éviter les dérives il est nécessaire de positionner les différents systèmes d’information à la stratégie générale de l’entreprise. Trop souvent on note qu’ils s’éloignent de ces orientations et cette dispersion se traduit par une perte d’efficacité.
-        Placer les systèmes d’information au cœur de l’entreprise. Or, ce n’est pas ce qui est observé. Trop souvent l’informatique est encore conçue comme une activité en marge de l’entreprise. Les systèmes d’information sont alors considérés comme des fonctions de service. Il faut inverser cette approche et considérer qu’ils constituent le cœur de l’activité de l’entreprise ([5]).
-        Définir clairement la responsabilité de chaque système d’information. Il est important de préciser le rôle de chacun et notamment de définir qui fixe les principales orientations le concernant. Il doit définir les évolutions nécessaires, les planifier et ensuite s’assurer qu’elles sont mises en œuvre dans de bonnes conditions. Il est possible que cette responsabilité soit collective mais dans ce cas il est nécessaire de définir des règles de fonctionnement permettant d’éviter tout blocage.
-        Orienter les systèmes d’information vers les processus. Traditionnellement les systèmes d’information ont été conçus pour gérer les différentes fonctions de l’entreprise. Depuis quelques années les ERP ont permis de mettre en place des systèmes d’information orientés vers les processus. C’est une évolution majeure qui va se traduire par des changements de l’organisation des entreprises.
-        Piloter les projets de systèmes d’information. Comme il est nécessaire de piloter les projets informatiques on doit piloter les projets de système d’information. C’est un objectif complexe car on doit d’abord gérer le projet informatique puis ensuite prendre en charge le projet organisationnel et humain. Son pilotage est toujours délicat et nécessite des personnes expérimentées.
-        Assurer l’évolution régulière des systèmes d’information. Ils évoluent par étape car il est toujours délicat de les faire changer. L’expérience montre que les sauts trop importants peuvent mener à des situations délicates. Il est, pour cela, nécessaire de planifier ces opérations dans le temps en veillant à éviter d’avoir des étapes trop lourdes et trop longues.
Ces différents points clés montrent l’importance des bonnes pratiques en matière de gestion de projets des systèmes d’information. Or, la mise en œuvre efficace des systèmes d’information est un enjeu majeur pour les entreprises. Malheureusement, ils sont, trop souvent, laissés à l’initiative des bonnes volontés. Dans certains cas les résultats sont satisfaisants, mais dans de nombreux autres cas ils laissent à désirer. C’est une affaire de gouvernance.

Conclusion

Il est pour cela nécessaire de développer les règles de gouvernance des systèmes d’information. Il faut aller au-delà des concepts de gouvernance de l’informatique vers une approche plus élargie de la gouvernance adaptée aux systèmes d’information. Cette évolution est en cours. Il faut la renforcer et la systématiser.
Il est notamment fondamental d’arriver à aligner les projets de systèmes d’information sur la stratégie de l’entreprise. C’est un enjeu majeur. La rentabilité et même la pérennité des entreprises en dépendent.


[1] - Même le montant des investissements informatiques globaux est souvent ignoré. L’INSEE comme les cabinets de marketing tel que Gartner, IDC, PAC,… ont du mal à les chiffrer et proposent que des vues partielles tendant à sous-estimer ce montant.
[2] - Le montant annuel des investissements informatiques comprend :
-        Les achats de progiciels pour environ 10 milliards d’euros,
-        La réalisation de développements spécifiques pour environ 20 milliards d’euros dont la moitié est dépensé en interne et l’autre moitié est prise en charge par les sociétés de service,
-        Les achats de matériels pour environ 20 milliards d’euros dont la moitié correspond à la vente de logiciels systèmes, de base de données,… et le reste en hardware à proprement parler.
[3] - Le montant des investissements se composent de 193 milliards d’euros fait par les entreprises non-financières, 12 milliards d’euros pour les entreprises financières et 59 milliards d’euros pour les administrations publiques.
[4] - La charge de travail des maitrises d’ouvrages et des utilisateurs correspond au travail de conception des applications et de tests des programmes. A cela s’ajoute les coûts de formation, de réorganisation et de mise en place liés à la mise en œuvre des systèmes d’information.
[5] - A ce jour très peu d’entreprises ont réalisé cette révolution copernicienne. Elles ne font que commencer leur processus de « googelisation ». C’est une mutation majeure à venir. 

1 commentaire:

Bernard Quinio a dit…

Je suis très en phase avec cette vision des projets de système d'information.
Un élément simple à calculer est significatif : faites le rapport entre le nombre de jours MOE et le nombre de jours MOA sur un projet, vous verrez qu'il souvent proche de 1 !
L'impact sur l'organisation demande généralement autant de travail que le développement informatique.
Pour les bonnes pratiques de management de projet appliquées aux SI, j'en citerai deux.
Premièrement, ne pas oubliez le moyen terme que représente l'architecture et les référentiels. On observe trop souvent des "petits" projets traités en urgence qui viennent abîmer des mois de travail d'intégration globale.
Deuxièmement, évaluer chaque projet de SI avant, pendant et après en prenant en compte systématiquement 3 dimensions : l’aspect financier, les risques et les gains qualitatifs. Il me semble que c'est la seule manière de progresser, d'apprendre et de tendre vers plus de maturité dans la gouvernance.
Bernard Quinio