par Catherine Gapaillard
Depuis des années, les entreprises cherchent à
améliorer leurs schémas directeurs informatiques et le déroulement des projets.
Elles constatent qu’elles ont souvent du mal à rapprocher leurs objectifs de la
stratégie globale de l’entreprise. Lorsqu’on pousse l’analyse on s’aperçoit que
cette situation est très souvent liée à des problèmes relationnels entre les
informaticiens, la direction générale et les responsables des métiers. Elle est
due notamment à des différences de culture,
de formation d’origine et des manières différentes de s’exprimer. Le cœur de
ces difficultés tient à la manière dont se déroulent les relations entre la DSI,
la direction générale et les métiers.
Ce n’est pas
uniquement un problème français. On le retrouve ces mêmes difficultés problèmes
dans tous les pays du monde. Une association internationale a été créée en 2013
pour améliorer cette situation. Elle s’appelle le BRM Institute, pour Business
Relationship Management. Voir le site du BRM Institute, voir aussi sur Wikipedia la définition du Business relationship management en anglais. En deux ans près de 15.000 personnes ont déjà adhéré à cette association. Elle
a défini un corpus de connaissance (Vous pouvez lire gratuitement les 21 premières pages du document sur 125), mis en place un programme de développement professionnel et assure la
certification des professionnels.
Les enjeux des relations DSI-Métiers
A la base des
difficultés rencontrées il y a le comportement des informaticiens. Certains
sont des introvertis, c’est-à-dire qu’ils ont tendance à traiter seuls les
problèmes. D’autres sont des extravertis car ils cherchent à les résoudre en
interagissant avec d’autres. Selon une étude d’IDG Connect Research 53 % des
DSI se considèrent comme des introvertis et seulement 20 % sont des
extravertis. Notons que 24 % estiment être à la fois les deux et 3 % ne se prononcent pas.
De par leur nature les extravertis développent plus de compétences relationnelles que les introvertis. Ils sont
capables d’échanger avec les autres. Ils ont naturellement tendance à aller spontanément
au-devant des métiers. Ils anticipent les problèmes et vont vers les métiers
pour essayer de les résoudre.
Les DSI et les
informaticiens sont la plupart du temps des ingénieurs. C’est un type de
formation qui pousse à avoir des comportements plutôt introvertis.
La culture de certaines entreprises n’arrange pas les choses. Dans
l’administration les relations sont formalisées et chacun tend à rester dans
son domaine en ignorant ce que font les autres. Mais n’accablons pas le secteur
public car dans certaines entreprises ce
n’est pas mieux.
Selon une étude
de Devoteam seulement un DSI sur trois a mis en place une stratégie de
communication avec les métiers. Selon une autre étude du Gartner Research
Circle, la moitié des directeurs généraux
maîtrisent mal ou très mal des problématiques liées à l’informatique ([1]).
Ces deux faits expliquent en grande partie les difficultés rencontrées par les
DSI.
Il y a quelques
années McKinsey et le CIGREF ont effectués trois études successives sur les
relations de la DSI avec les directions générales et les directions métiers.
(Cliquer ici pour lire les rapport publiées en 2002, 2004 et 2008).
Première
constatation : les DSI attendent d’avoir un positionnement formel, notamment en termes de rattachement à la direction générale et de participation au
comité de direction. A l’inverse,
les directeurs généraux privilégient un dialogue
informel avec les métiers car ils confièrent que le positionnement n’est
pas si important. Ce sont bien deux visions
différentes.
Autre facteur de désaccord :
90 % des DSI considèrent qu’ils doivent participer à l’élaboration de la
stratégie de l’entreprise. Les directeurs généraux pensent que leur rôle est plus technique et opérationnel. Dans
ces conditions, ont
comprend les fréquentes tensions observées au tour
de la DSI et des projets.
Les relations entre la DSI et les
responsables des métiers
De même, on constate un très nette écart entre les DSI et les
directions métiers. Ces derniers attendent une contribution significative des
systèmes d’information, malheureusement ils ne la trouvent pas dans la
pratique. Cette déception est très nette en ce qui concerne la gestion des
projets. Ceci est dû à la conjonction de trois facteurs :
·
Le manque d’implication des managers des métiers
dans les projets de système d’information à cause de leur manque de connaissance
du mode projet.
·
La faiblesse de l’analyse des investissements
dans les systèmes d’information.
·
L’absence d’analyse des conditions de réussite
des projets. Comme ils ignorent les raisons des échecs,
ils répètent de projet en projet les mêmes erreurs.
Notons que la
plupart des directions métiers sont conscientes de leurs ignorances mais ils
pensent que ce n’est pas très important. Comprenne qui peut ! En fait, les
directions métiers ont une vision
traditionnelle du rôle de la DSI au sein de l’entreprise. Pour eux leur rôle se
limiterait uniquement à l’automatisation des opérations, le soutien des
activités de gestion et la fourniture des indicateurs de pilotage. Mais ils
n’ont pas la moindre idée sur les notions de système d’information et de
gestion de projet.
Les enjeux de la gouvernance des systèmes d’information
Depuis longtemps, de nombreux décideurs se sont interrogés sur la rentabilité de
l’informatique. De nombreuses études ont été faites pour essayer de la
démontrer comme celles faites par Paul Strassmann, Erick Brynjolfsson, Stephen
Oliner et Daniel Sichet, Jack Triplett. Ils n’y sont pas arrivés. Le prix
Nobel d’économie Robert Solow a même douté qu’il n’y ai jamais eu des gains de
productivité liés à l’informatique. Or des travaux de recherche récents ont
démontré toute l’importance de la maturité informatique des organisations et les
performances financières de l’entreprise :
·
Effectivement, les entreprises qui ont
une gouvernance informatique faible ne retirent pas de bénéfices de leurs
investissements informatiques. A contrario, celles qui ont un niveau élevé de
gouvernance génèrent des bénéfices deux à trois fois supérieurs que celles qui
présentent un score moyen. Ceci montre la forte responsabilité des directions
générales et des métiers dans l’impact économique de ces investissements.( Pour lire cet article de Bing Gu, Ling Xue et Ray Gautam cliquez ici ).
·
Plus la DSI est rattachée à un niveau
hiérarchique élevé au sein de l’organisation, meilleures
sont les performances financières de l’entreprise. Ceci est dû à la capacité
des DSI à amener de nouveaux débats et à proposer de nouvelles solutions. Il
est pour cette raison important que les DSI soient membres du comité de
direction. La composition de l’équipe dirigeante a une influence sur les stratégies
déployées et sur les résultats obtenus, y compris financiers. Il existe une relation forte entre le niveau de maturité
managériale de l’informatique des entreprises et leurs performances financières.
(Pour lire cet article de C. Ranganathan et Sanjeev Jha cliquez ici
)
On le sait, les
comités de direction les plus efficaces sont hétérogènes. Cela veut dire qu’ils
ne doivent pas être composé exclusivement d’hommes, de 45-50 ans, ayant fait la
même grande école. Ils doivent au contraire comprendre un équilibre entre les
hommes et des femmes, des personnes d’âges différents et des formations
différentes. Les DSI sont un facteur d’hétérogénéité et ils apportent plus
grand dynamisme au comité de direction.
Les 5 éléments clés de la relation
DSI-Métiers
On a longtemps
cherché à améliorer la relation entre les informaticiens et les différents décideurs
des métiers. La meilleure approche est celle développée par deux chercheurs
britanniques : John Peppard et John Ward, qui travaillaient à la Cranfield University [2] . Cette université est mondialement connue pour sa spécialisation dans
l’aéronautique. Au départ ils pensaient que les difficultés rencontrées étaient
liées à un problème culturel mais en poussant les analyses et les entretiens
ils se sont aperçus que le problème était plus complexe qu’ils ne le pensaient. Ils ont constaté que
cinq facteurs interdépendants doivent être pris en compte pour établir des
relations efficaces entre la DSI et ses différentes parties prenantes (Pour lire cet article cliquez ici ) :
·
Le leadership du DSI. C’est un facteur lié à sa propre
personnalité. Elle a un impact très fort dont le reste de l’organisation perçoit
les systèmes d’information. Elle lui permet d’avoir la reconnaissance des
métiers et de la direction générale.
·
Le rôle joué par la DSI au sein de
l’organisation. Il est fondamental que les métiers et la DSI doivent avoir la
même vision du rôle que doivent jouer les systèmes d’information au sein de
l’organisation. Si leurs visions sont divergentes les projets risquent d’avoir
du mal à arriver à leur terme dans de bonnes conditions.
·
La structure organisationnelle et les processus
d’interaction avec les métiers. Les relations entre la DSI et les métiers doivent
être clairement définies. Les opérations doivent être
pilotées. Les rôles et les responsabilités de chacun doivent être formalisés.
·
Les critères d’évaluation de la performance de
la DSI par rapport aux attentes. Les engagements de niveaux de service doivent
être contrôlés. Il est nécessaire de mesurer la qualité de service. Les délais,
les budgets, le périmètre du projet doivent être suivis.
·
Les valeurs et les croyances de l’entreprise concernant
la DSI. C’est l’ensemble des mythes,
des histoires, des rituels qui existent au sein d’une entreprise,
souvent hérités des échecs passées
et qui ont un impact important sur la
réputation et finalement sur la crédibilité de la DSI.
Modèle de Peppard-Ward |
Le haut du schéma
est plutôt "soft" alors que le bas est plus concret et touche au cœur des processus mis en œuvre par
la DSI.
Mise en œuvre d’une relation DSI-Métiers
efficace
Pour améliorer la situation de la DSI John Peppard et
John Ward proposent une démarche permettant de construire une relation de partenariat
avec les métiers en 6 étapes :
1.
Bâtir des fondations
solides. Il est nécessaire que les fonctions de base fonctionnent
régulièrement et présentent des
performances satisfaisantes.
2.
Sensibiliser le
directeur général et repositionner la DSI. Il est nécessaire de parler
régulièrement avec les personnes concernées. Il est pour cela nécessaire de créer
un réseau au sein des décideurs et notamment des métiers.
3.
Construire la
crédibilité de la DSI. L’objectif est de lutter contre les croyances,
les mythes et les légendes qui dégradent l’image de la DSI. Il est pour cela
nécessaire de développer la communication. C’est une opération de long terme.
4.
Intervenir en amont des
projets. Il est important de travailler les projets. Au lieu de se
concentrer sur les coûts il est préférable de mettre en avant la valeur créée.
Pour cela il est souhaitable que la DSI intervienne le plutôt possible dans le
projet au lieu d’attendre que la fin de l’analyse fonctionnelle soit
terminée.
5.
Responsabiliser la direction
générale sur la gestion des systèmes d’information. C’est le cœur de leur
gouvernance. Il est pour cela indispensable de mettre en place une structure de
gouvernance adaptée.
6.
Entretenir la relation
partenariale. Il est ensuite nécessaire de continuer les actions
entamées et notamment la communication de la DSI avec les métiers.
Ces étapes constituent une feuille de route pour toute les DSI qui souhaitent gagner la confiance des métiers et optimiser la valeur des investissements
informatiques effectués. A noter que chaque étape constitue un prérequis pour l’étape suivante. (Pour lire cet article cliquez ici )
Les six étapes de Peppard-Ward |
Cette démarche
est une approche de Business Relationship Management. Le BRM Institute le
définit le BRM de la manière suivante :
« Le Business
Relationship Management stimule, identifie, et façonne la demande des Métiers
en produits et services et s’assure que la valeur de ces produits et services
est réalisée, optimisée et reconnue »
En amont le BRM a pour but de stimuler la demande des
métiers et en aval il a pour objectif d’optimiser la valeur générée par le
projet. C’est un dispositif permettant de créer de la valeur. C’est son rôle
essentiel.
Le BRM est à la fois un rôle assuré par une personne et
une discipline définissant une organisation efficace :
·
Le rôle : le BRM est un gestionnaire des
relations entre la DSI et les métiers.
·
La discipline : le BRM s’appuie sur un
ensemble de connaissances, de compétences et de comportements qui favorise la
mise en place de relations efficaces entre la DSI et les métiers.
C’est un métier proche de celui du PMO,
mais les BRM interviennent en amont et en aval des projets .
Il est en surplomb des projets. En fait il est au centre de la zone des
conflits. Il doit assurer trois rôles :
·
Le connecteur : sa mission est d'identifier les besoins des métiers et de s'assurer qu'ils peuvent être satisfait par la DSI.
·
L’orchestrateur : son rôle consiste à s'assurer que les
ressources nécessaires sont identifiés et correctement utilisées pour satisfaire ces besoins.
·
Le navigateur : le BRM doit connaitre à la
fois les métiers et la DSI. Son rôle est de les guider sur
le chemin de la valeur.
Le rôle du BRM au sein de l'entreprise |
Le BRM travaille à
partir d’un modèle décrivant les activités de la DSI : le Normative
Capability Model. Il permet de s’assurer que toutes les fonctions nécessaires
sont en place. Il s’inspire des modèles comme CMMI ou COBIT.
Le « Normative Capability Model » |
Le BRM Institute définit également un modèle de maturité des relations entre la DSI et les métiers. 5 niveaux de maturité sont décrits :
§
Ad Hoc : la demande n’est pas gérée. Les
rôles et les responsabilités entre la DSI et les métiers ne sont pas clairs ou
pas adaptés. Il n’existe pas de véritable gestion des services. L’entreprise n’a
pas de vision claire sur les coûts et la valeur du système d’information.
§
Preneur d’ordre : la demande est priorisée par la DSI à partir des quelques
informations qu’elle possède, en générale plutôt subjectives. De nombreux
malentendus rendent les métiers méfiants vis-à-vis de la DSI, qui agit dans
l’urgence et ne remet pas en question les demandes des métiers. Il n’existe pas
de données suffisamment fiables pour mesurer les coûts et la valeur du système
d’information.
§
Fournisseur de service : le processus de
gestion des demandes est formalisé et opérationnel, au moins pour les services
de base qui fonctionnent correctement. En revanche, la gestion des programmes
et des projets est aléatoire. Les coûts sont connus mais la mesure de la création
de valeur reste subjective.
§
Partenaire de confiance : il existe une
compréhension mutuelle des besoins et des enjeux. La DSI fournit des services
adaptés aux besoins des métiers, et elle est impliquée en amont des projets.
Les métiers ont conscience de la valeur créée à partir des investissements informatiques.
§
Partenaire stratégique : la DSI et les métiers
partagent les objectifs et les responsabilités de création de valeur à partir
des investissements informatiques. Les données sont suffisamment fiables pour
permettre une analyse de la valeur.
A noter que le BRM s’opère à 2 niveaux distincts :
·
Niveau
stratégique. Il est nécessaire d’organiser les interactions avec les
personnes influentes de l’entreprise afin de garantir la réussite des projets
et la réalisation des bénéfices attendus. Dans ce cas le rôle de BRM est assuré
par le DSI, le DSI adjoint et les responsables de domaines. Il peut aussi constituer
une fonction à temps plein. Le BRM est en relation avec les directeurs des métiers
et la direction générale. Il se concentre sur la création de valeur à travers
le système d’information et la recherche d’opportunités stratégiques pour
l’organisation.
Pour réussir la
fonction de BRM il est nécessaire de disposer des compétences suivantes :
·
Développer le partenariat stratégique.
·
Connaitre le métier et des affaires.
·
Savoir gérer le portefeuille des projets.
·
Connaitre la DSI et les métiers.
·
Gérer les changements.
·
Avoir l’art de la communication.
Conclusion
Les démarches
proposées par John Peppard et John Ward et par BRM Institute sont en fait assez proches. L’objectif commun est de mettre en place des procédures et des règles de
comportement permettant de rapprocher les informaticiens, la direction générale
et les responsables des métiers, avec pour finalité la création de valeur à partir des investissements informatiques. John Peppard et John Ward cherchent
à améliorer progressivement ces relations alors que le BRM Institute cherche à
mettre en place une nouvelle fonction chargée de mettre en œuvre de bonnes
pratiques en matière de relation entre les différentes parties prenantes.
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