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lundi 7 décembre 2015

Les relations DSI-Métiers Le BRM : Business Relationship Management

par Catherine Gapaillard
  
Depuis des années, les entreprises cherchent à améliorer leurs schémas directeurs informatiques et le déroulement des projets. Elles constatent qu’elles ont souvent du mal à rapprocher leurs objectifs de la stratégie globale de l’entreprise. Lorsqu’on pousse l’analyse on s’aperçoit que cette situation est très souvent liée à des problèmes relationnels entre les informaticiens, la direction générale et les responsables des métiers. Elle est due notamment à des différences de culture, de formation d’origine et des manières différentes de s’exprimer. Le cœur de ces difficultés tient à la manière dont se déroulent les relations entre la DSI, la direction générale et les métiers.
Ce n’est pas uniquement un problème français. On le retrouve ces mêmes difficultés problèmes dans tous les pays du monde. Une association internationale a été créée en 2013 pour améliorer cette situation. Elle s’appelle le BRM Institute, pour Business Relationship Management. Voir le site du BRM Institute, voir aussi sur Wikipedia la définition du Business relationship management en anglais. En deux ans près de 15.000 personnes ont déjà adhéré à cette association. Elle a défini un corpus de connaissance (Vous pouvez lire gratuitement les 21 premières pages du document sur 125), mis en place un programme de développement professionnel et assure la certification des professionnels.

Les enjeux des relations DSI-Métiers 

A la base des difficultés rencontrées il y a le comportement des informaticiens. Certains sont des introvertis, c’est-à-dire qu’ils ont tendance à traiter seuls les problèmes. D’autres sont des extravertis car ils cherchent à les résoudre en interagissant avec d’autres. Selon une étude d’IDG Connect Research 53 % des DSI se considèrent comme des introvertis et seulement 20 % sont des extravertis. Notons que 24 % estiment être à la fois les deux et 3 % ne se prononcent pas.
De par leur nature les extravertis développent plus de compétences relationnelles que les introvertis. Ils sont capables d’échanger avec les autres. Ils ont naturellement tendance à aller spontanément au-devant des métiers. Ils anticipent les problèmes et vont vers les métiers pour essayer de les résoudre.
Les DSI et les informaticiens sont la plupart du temps des ingénieurs. C’est un type de formation qui pousse à avoir des comportements plutôt introvertis. La culture de certaines entreprises n’arrange pas les choses. Dans l’administration les relations sont formalisées et chacun tend à rester dans son domaine en ignorant ce que font les autres. Mais n’accablons pas le secteur public car dans certaines entreprises ce n’est pas mieux.
Selon une étude de Devoteam seulement un DSI sur trois a mis en place une stratégie de communication avec les métiers. Selon une autre étude du Gartner Research Circle, la moitié des directeurs généraux maîtrisent mal ou très mal des problématiques liées à l’informatique ([1]). Ces deux faits expliquent en grande partie les difficultés rencontrées par les DSI.
Il y a quelques années McKinsey et le CIGREF ont effectués trois études successives sur les relations de la DSI avec les directions générales et les directions métiers. (Cliquer ici pour lire les rapport publiées en 2002, 2004 et 2008).
Première constatation : les DSI attendent d’avoir un positionnement formel, notamment en termes de rattachement à la direction générale et de participation au comité de direction. A l’inverse, les directeurs généraux privilégient un dialogue informel avec les métiers car ils confièrent que le positionnement n’est pas si important. Ce sont bien deux visions différentes.
Autre facteur de désaccord : 90 % des DSI considèrent qu’ils doivent participer à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise. Les directeurs généraux pensent que leur rôle est plus technique et opérationnel. Dans ces conditions, ont comprend les fréquentes tensions observées au tour de la DSI et des projets.

Les relations entre la DSI et les responsables des métiers

En revanche, les DSI et les directeurs généraux s’accordent à considérer le rôle transversal des systèmes d’information. Mais si on pousse l’analyse on constate une certaine divergence. En effet, les directions générales considèrent que cette mission est explicitée n’a pas besoin d’être formalisée, Pour les DSI, ce rôle est implicite. Ils regrettent que cette fonction soit officieuse et ils souhaitent qu’elle soit officialisée.
De même, on constate un très nette écart entre les DSI et les directions métiers. Ces derniers attendent une contribution significative des systèmes d’information, malheureusement ils ne la trouvent pas dans la pratique. Cette déception est très nette en ce qui concerne la gestion des projets. Ceci est dû à la conjonction de trois facteurs :
·       Le manque d’implication des managers des métiers dans les projets de système d’information à cause de leur manque de connaissance du mode projet.
·       La faiblesse de l’analyse des investissements dans les systèmes d’information.
·       L’absence d’analyse des conditions de réussite des projets. Comme ils ignorent les raisons des échecs, ils répètent de projet en projet les mêmes erreurs.
Notons que la plupart des directions métiers sont conscientes de leurs ignorances mais ils pensent que ce n’est pas très important. Comprenne qui peut ! En fait, les directions métiers ont une vision traditionnelle du rôle de la DSI au sein de l’entreprise. Pour eux leur rôle se limiterait uniquement à l’automatisation des opérations, le soutien des activités de gestion et la fourniture des indicateurs de pilotage. Mais ils n’ont pas la moindre idée sur les notions de système d’information et de gestion de projet.

Les enjeux de la gouvernance des systèmes d’information

Depuis longtemps, de nombreux décideurs se sont interrogés sur la rentabilité de l’informatique. De nombreuses études ont été faites pour essayer de la démontrer comme celles faites par Paul Strassmann, Erick Brynjolfsson, Stephen Oliner et Daniel Sichet, Jack Triplett. Ils n’y sont pas arrivés. Le prix Nobel d’économie Robert Solow a même douté qu’il n’y ai jamais eu des gains de productivité liés à l’informatique. Or des travaux de recherche récents ont démontré toute l’importance de la maturité informatique des organisations et les performances financières de l’entreprise :
·       Effectivement, les entreprises qui ont une gouvernance informatique faible ne retirent pas de bénéfices de leurs investissements informatiques. A contrario, celles qui ont un niveau élevé de gouvernance génèrent des bénéfices deux à trois fois supérieurs que celles qui présentent un score moyen. Ceci montre la forte responsabilité des directions générales et des métiers dans l’impact économique de ces investissements.( Pour lire cet article de Bing Gu, Ling Xue et Ray Gautam cliquez ici  ).
·       Plus la DSI est rattachée à un niveau hiérarchique élevé au sein de l’organisation, meilleures sont les performances financières de l’entreprise. Ceci est dû à la capacité des DSI à amener de nouveaux débats et à proposer de nouvelles solutions. Il est pour cette raison important que les DSI soient membres du comité de direction. La composition de l’équipe dirigeante a une influence sur les stratégies déployées et sur les résultats obtenus, y compris financiers. Il existe une relation forte entre le niveau de maturité managériale de l’informatique des entreprises et leurs performances financières. (Pour lire cet article de C. Ranganathan et Sanjeev Jha cliquez ici   )
On le sait, les comités de direction les plus efficaces sont hétérogènes. Cela veut dire qu’ils ne doivent pas être composé exclusivement d’hommes, de 45-50 ans, ayant fait la même grande école. Ils doivent au contraire comprendre un équilibre entre les hommes et des femmes, des personnes d’âges différents et des formations différentes. Les DSI sont un facteur d’hétérogénéité et ils apportent plus grand dynamisme au comité de direction.

Les 5 éléments clés de la relation DSI-Métiers

On a longtemps cherché à améliorer la relation entre les informaticiens et les différents décideurs des métiers. La meilleure approche est celle développée par deux chercheurs britanniques : John Peppard et John Ward, qui travaillaient à la Cranfield University [2] . Cette université est mondialement connue pour sa spécialisation dans l’aéronautique. Au départ ils pensaient que les difficultés rencontrées étaient liées à un problème culturel mais en poussant les analyses et les entretiens ils se sont aperçus que le problème était plus complexe qu’ils ne le pensaient. Ils ont constaté que cinq facteurs interdépendants doivent être pris en compte pour établir des relations efficaces entre la DSI et ses différentes parties prenantes (Pour lire cet article cliquez ici ) :
·       Le leadership du DSI. C’est un facteur lié à sa propre personnalité. Elle a un impact très fort dont le reste de l’organisation perçoit les systèmes d’information. Elle lui permet d’avoir la reconnaissance des métiers et de la direction générale.
·       Le rôle joué par la DSI au sein de l’organisation. Il est fondamental que les métiers et la DSI doivent avoir la même vision du rôle que doivent jouer les systèmes d’information au sein de l’organisation. Si leurs visions sont divergentes les projets risquent d’avoir du mal à arriver à leur terme dans de bonnes conditions.
·       La structure organisationnelle et les processus d’interaction avec les métiers. Les relations entre la DSI et les métiers doivent être clairement définies. Les opérations doivent être pilotées. Les rôles et les responsabilités de chacun doivent être formalisés.
·       Les critères d’évaluation de la performance de la DSI par rapport aux attentes. Les engagements de niveaux de service doivent être contrôlés. Il est nécessaire de mesurer la qualité de service. Les délais, les budgets, le périmètre du projet doivent être suivis.
·       Les valeurs et les croyances de l’entreprise concernant la DSI. C’est l’ensemble des mythes, des histoires, des rituels qui existent au sein d’une entreprise, souvent hérités des échecs passées et qui ont un impact important sur la réputation et finalement sur la crédibilité de la DSI. 

Modèle de Peppard-Ward

Le haut du schéma est plutôt "soft" alors que le bas est plus concret et touche au cœur des processus mis en œuvre par la DSI.

Mise en œuvre d’une relation DSI-Métiers efficace

Pour améliorer la situation de la DSI John Peppard et John Ward proposent une démarche permettant de construire une relation de partenariat avec les métiers en 6 étapes :
1.     Bâtir des fondations solides. Il est nécessaire que les fonctions de base fonctionnent régulièrement et présentent des performances satisfaisantes.
2.     Sensibiliser le directeur général et repositionner la DSI. Il est nécessaire de parler régulièrement avec les personnes concernées. Il est pour cela nécessaire de créer un réseau au sein des décideurs et notamment des métiers.
3.     Construire la crédibilité de la DSI. L’objectif est de lutter contre les croyances, les mythes et les légendes qui dégradent l’image de la DSI. Il est pour cela nécessaire de développer la communication. C’est une opération de long terme.
4.     Intervenir en amont des projets. Il est important de travailler les projets. Au lieu de se concentrer sur les coûts il est préférable de mettre en avant la valeur créée. Pour cela il est souhaitable que la DSI intervienne le plutôt possible dans le projet au lieu d’attendre que la fin de l’analyse fonctionnelle soit terminée. 
5.     Responsabiliser la direction générale sur la gestion des systèmes d’information. C’est le cœur de leur gouvernance. Il est pour cela indispensable de mettre en place une structure de gouvernance adaptée.
6.     Entretenir la relation partenariale. Il est ensuite nécessaire de continuer les actions entamées et notamment la communication de la DSI avec les métiers.
Ces étapes constituent une feuille de route pour toute les DSI qui souhaitent gagner la confiance des métiers et optimiser la valeur des investissements informatiques effectués. A noter que chaque étape constitue un prérequis pour l’étape suivante. (Pour lire cet article cliquez ici )

Les six étapes de Peppard-Ward
 Le Business Relationship Management

Cette démarche est une approche de Business Relationship Management. Le BRM Institute le définit le BRM de la manière suivante :
« Le Business Relationship Management stimule, identifie, et façonne la demande des Métiers en produits et services et s’assure que la valeur de ces produits et services est réalisée, optimisée et reconnue »
En amont le BRM a pour but de stimuler la demande des métiers et en aval il a pour objectif d’optimiser la valeur générée par le projet. C’est un dispositif permettant de créer de la valeur. C’est son rôle essentiel.
Le BRM est à la fois un rôle assuré par une personne et une discipline définissant une organisation efficace :
·       Le rôle : le BRM est un gestionnaire des relations entre la DSI et les métiers.
·       La discipline : le BRM s’appuie sur un ensemble de connaissances, de compétences et de comportements qui favorise la mise en place de relations efficaces entre la DSI et les métiers.
C’est un métier proche de celui du PMO, mais les BRM interviennent en amont et en aval des projets . Il est en surplomb des projets. En fait il est au centre de la zone des conflits. Il doit assurer trois rôles :
·       Le connecteur : sa mission est d'identifier les besoins des métiers et de s'assurer qu'ils peuvent être satisfait par la DSI. 
·       L’orchestrateur : son rôle consiste à s'assurer que les ressources nécessaires sont identifiés et correctement utilisées pour satisfaire ces besoins.
·       Le navigateur : le BRM doit connaitre à la fois les métiers et la DSI. Son rôle est de les guider sur le chemin de la valeur. 
Le rôle du BRM au sein de l'entreprise
Le BRM travaille à partir d’un modèle décrivant les activités de la DSI : le Normative Capability Model. Il permet de s’assurer que toutes les fonctions nécessaires sont en place. Il s’inspire des modèles comme CMMI ou COBIT.
Le « Normative Capability Model »
Le BRM Institute définit également un modèle de maturité des relations entre la DSI et les métiers. 5 niveaux de maturité sont décrits :
§  Ad Hoc : la demande n’est pas gérée. Les rôles et les responsabilités entre la DSI et les métiers ne sont pas clairs ou pas adaptés. Il n’existe pas de véritable gestion des services. L’entreprise n’a pas de vision claire sur les coûts et la valeur du système d’information.
§  Preneur d’ordre : la demande est priorisée par la DSI à partir des quelques informations qu’elle possède, en générale plutôt subjectives. De nombreux malentendus rendent les métiers méfiants vis-à-vis de la DSI, qui agit dans l’urgence et ne remet pas en question les demandes des métiers. Il n’existe pas de données suffisamment fiables pour mesurer les coûts et la valeur du système d’information.
§  Fournisseur de service : le processus de gestion des demandes est formalisé et opérationnel, au moins pour les services de base qui fonctionnent correctement. En revanche, la gestion des programmes et des projets est aléatoire. Les coûts sont connus mais la mesure de la création de valeur reste subjective.
§  Partenaire de confiance : il existe une compréhension mutuelle des besoins et des enjeux. La DSI fournit des services adaptés aux besoins des métiers, et elle est impliquée en amont des projets. Les métiers ont conscience de la valeur créée à partir des investissements informatiques.
§  Partenaire stratégique : la DSI et les métiers partagent les objectifs et les responsabilités de création de valeur à partir des investissements informatiques. Les données sont suffisamment fiables pour permettre une analyse de la valeur.

A noter que le BRM s’opère à 2 niveaux distincts :
·       Niveau stratégique. Il est nécessaire d’organiser les interactions avec les personnes influentes de l’entreprise afin de garantir la réussite des projets et la réalisation des bénéfices attendus. Dans ce cas le rôle de BRM est assuré par le DSI, le DSI adjoint et les responsables de domaines. Il peut aussi constituer une fonction à temps plein. Le BRM est en relation avec les directeurs des métiers et la direction générale. Il se concentre sur la création de valeur à travers le système d’information et la recherche d’opportunités stratégiques pour l’organisation.
· Niveau tactique. Il s’agit de gérer l’équilibre entre les demandes des métiers et l’offre de services de la DSI. Le BRM est un rôle assuré par les responsables de domaines de la DSI, les gestionnaires d’applications et les chefs de projet. Mais cela peut aussi être une fonction exercée à temps plein. Le BRM est en relation avec les responsables des métiers et leurs équipes.
        
Pour réussir la fonction de BRM il est nécessaire de disposer des compétences suivantes :
·       Développer le partenariat stratégique.
·       Connaitre le métier et des affaires.
·       Savoir gérer le portefeuille des projets.
·       Connaitre la DSI et les métiers.
·       Gérer les changements.
·       Avoir l’art de la communication.

Conclusion

Les démarches proposées par John Peppard et John Ward et par BRM Institute sont en fait assez proches. L’objectif commun est de mettre en place des procédures et des règles de comportement permettant de rapprocher les informaticiens, la direction générale et les responsables des métiers, avec pour finalité la création de valeur à partir des investissements informatiques. John Peppard et John Ward cherchent à améliorer progressivement ces relations alors que le BRM Institute cherche à mettre en place une nouvelle fonction chargée de mettre en œuvre de bonnes pratiques en matière de relation entre les différentes parties prenantes. 





[1] - Mais, à l’inverse on peut se féliciter que l’autre moitié des directeurs généraux disent parfaitement maîtriser l’informatique.
[2] - Signalons que l'Université de Cranfild est la seule université au monde qui a un piste d'aviation sur son campus. 

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