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lundi 22 janvier 2024

La véritable stratégie de Facebook et des réseaux sociaux

 Jusqu’où ira Facebook dans un océan informatique où se succèdent les déferlantes

par Pierre Berger.

 Facebook, c’est avant tout un homme : Marc Zuckerberg. Il a une personnalité étonnante. Aujourd’hui il a 40 ans et il est à la tête d’une fortune de 120 milliards de dollars. L’entreprise comprend 86.000 salariés mais il la dirige entouré par une petite équipe comprenant seulement une dizaine de collaborateurs de haut niveau.

Après deux années difficiles 2022 et 2023 est-ce que l’entreprise va reprendre la rapide croissance qu’elle a connu dans le passé. Que va-t-il se passer dans les années à venir ? Il est impossible de le prédire étant donné les évolutions très rapides du secteur et notamment l’impact de l’Intelligence Artificielle et en particulier les progrès sidérants constatés depuis un an l’IA Générative, sans parler des évolutions erratiques de la situation internationale et les contraintes dues à la transition de l’écologie.

Des milliards d’utilisateurs à travers le monde se servent quotidiennement des réseaux sociaux et en particulier de Facebook. Ainsi dans ma ville, à Maison Lafitte, il existe un site d’échange ouvert à tous les habitants. 12 000 membres fréquentent ce groupe, ce qui fait beaucoup pour une ville de 25 000 habitants. C’est un moyen très performant pour informer les gens La véritable stratégie de Facebook et des réseaux sociaux »

Jusqu’où ira Facebook dans un océan informatique où se succèdent les déferlantes aussi pour résoudre les mille et un petits problèmes du quotidien comme les chiens recherchés ou les objets perdus. C’est aussi un moyen d’échanger entre les participants sur des sujets d’intérêt communs comme les décisions ou les non-décisions de la Mairie, les nouveaux permis de construire... En fait, seule une petite minorité est vraiment active et le reste des utilisateurs se contente de s’informer et, le cas échéant, de cliquer des « like ».

Le projet d’origine de Marc Zuckerberg était ambitieux et généreux. Il voulait donner la parole aux gens afin que chacun puisse s’exprimer librement et gratuitement. C’est une forme absolue de la démocratie. Mais il y a loin des intentions à la réalité. Depuis deux décennies, il a manifesté en toutes circonstances un pragmatisme assez éloigné des considérations théoriques ou des grands principes éthiques. En fait son véritable objectif est la croissance de Facebook et le profit à tout prix. En effet ce réseau social est un support de publicité très efficace et plus le trafic est important plus les gains de l’entreprise sont importants. Pour cela il suffit d’inciter les participants à échanger et très vite à polémiquer. Très vite le ton monte et les invectives arrivent. C’est la porte ouverte au défoulement de tous les frustrés du monde.

Dans ces conditions les efforts de modération deviennent marginaux. Normalement tout message mensonger, choquant ou haineux devrait être rapidement supprimé. Mais, compte tenu du nombre de sites dans de très nombreuses langues cela devient très vite « mission impossible ». Les équipes chargées de faire ce travail ont été réduites au profit d’algorithmes à base d’Intelligence Artificielle avec des résultats incertains.  

Techniquement, Marc Zuckerberg pousse ses développeurs à aller le plus vite possible pour passer de l’idée à la mise en production avec, par exemple, la volonté d’effectuer tous les développements en DevOps plutôt que de recourir à des développements méthodiques effectués dans le cadre des projets : « Done is better than perfect ». C’est le « vite fait, bien fait sur le coin du gaz ». Cette stratégie technique est audacieuse et originale dans le cadre d’un site ayant un si grand nombre d’utilisateurs et un trafic aussi important mais on retrouve ce type de politique dans un nombre croissant de sites de commerce électronique. C’est une stratégie risquée notamment à cause des risques de dégradation des performances mais ça marche et c’est le principal.

En fait Marc Zuckerberg, malgré ses discours officiels, rejette les grands principes de « qualité » ou de « vérité ». Ce qui compte, c’est la mobilisation des utilisateurs. Pour cela il faut mesurer cet « engagement ». Les équipes spécialisées de Facebook ont dans ce but développé un indicateur majeur : le MSI (Meaningful Social Interaction). Il permet d’évaluer la dynamique des échanges entre les participants en mesurant les interactions, le degré de participation, les attitudes des intervenants et le niveau de sécurité perçues par les personnes. Cet indicateur est notamment utilisé pour alimenter le « newfeed » qui affiche en permanence à l’écran des informations choisies par les algorithmes pour attirer l’attention des utilisateurs. Il est très utile mais, l’expérience montre qu’il a tendance à accroitre l’agressivité des intervenants. Ce n’était peut-être pas l’objectif recherché mais c’est le résultat obtenu.

A cela s’ajoute le poids des puissants. Ce sont des personnalités ayant une grande visibilité, des groupes de pression puissants ou des états comme les Etats-Unis, l’Inde ou le Myanmar, n’hésitent pas à faire pression sur Facebook. Face à ce type de « problèmes » il existe des solutions mais Marc Zuckerberg les a toutes rejetées. Ces attitudes opportunistes montrent bien toutes les ambiguïtés de l’entreprise.

Cependant rien n’est définitif dans le domaine des réseaux sociaux. Chaque jour on constate que de nouveaux « breakthroughs » surviennent sans prévenir et qui vont influencer les évolutions du système notamment dans le domaine de l’Intelligence Artificielle. Nous surferons sur de véritables déferlantes …

Ce texte est un résumé de la conférence que Pierre Berger a fait au Club de la Gouvernance des Systèmes d’Information le Mercredi 10 Janvier 2024 sur le thème : « La véritable stratégie de Facebook et des réseaux sociaux. Jusqu’où ira Facebook dans un océan informatique où se succèdent les déferlantes ». Elle a permis de faire le point sur ce sujet et de répondre à quelques questions clés :

-        Quelles sont les raisons du succès des réseaux sociaux ?

-        Quelles sont les utilisations pratiques possibles ?

-        Quelles sont les vrais objectifs de Facebook ?  

-        De manière pratique comment les utilisateurs se servent des réseaux sociaux ?

-        Comment lutter contre les comportements perturbateurs ?

-        Après les années difficiles de 2022 et 2023 va-t-on assister en 2024 à un redémarrage ?

-        Peut-on améliorer la qualité des échanges ou doit-on prioriser la liberté d’expression ?

-        Comment contrôler les contenus sans censurer ?

-        ….

Lire ci-dessous le support de présentation de l’exposé de Pierre Berger :

                                                                                                          Slide

1 – La force de l’âge et les moyens d’agir                              2

2 – Le site de Maisons-Lafitte sur Facebook                          4

3 – La croissance avant tout                                                  12

4 – La gouvernance des contenus                                         15

5 – Modération                                                                      17

6 – Les puissants ont tous les droits                                      21

7 – Conclusion                                                                       27

 

 

 

jeudi 18 août 2022

Les enjeux des Métavers

 Par Philippe Nieuwbourg.

Toutes les grandes entreprises et les principaux acteurs de l’Internet s’intéressent aux métavers. Que recherchent ils dans cette nouvelle technologie, ou plutôt dans une nouvelle forme de compiler des applications existantes ? N’est-on pas en train de nous « refiler » des vieilles applications qui ont déjà échouées ? Pourtant de nombreuses entreprises se sont lancées dans le métavers. L’annonce la plus spectaculaire a été celle de Facebook qui a changé son nom en Meta et annonce investir 10 milliards de dollars par an dans les métavers.  

De nombreuses entreprises comme Carrefour, Louis Vuitton, Gucci, Balenciaga, Adidas, Coca-Cola, MacDonald, Disney, Lego, Zara, Clinique (produits de beauté), Telefonica, ... investissent dans cette technologie. Dans l’ombre, les autres acteurs du secteur se préparent activement comme Apple, Microsoft, Baidu, Tencent… A cela s’ajoutent les nombreuses start-ups qui développent un grand nombre d’applications comme des jeux multi-joueurs, des outils de simulation basés sur des jumeaux numérique, des systèmes de conception architecturale, des environnements de travail en équipe, des dispositifs de socialisation, …

McKinsey estime le total des investissements en 2022 dans le métavers dans le monde à 120 milliards de dollars ([1]). Une partie représente des investissements internes aux entreprises pour développer des applications fonctionnant dans le métavers. Ce montant est évalué entre 15 et 20 milliards de dollars. Mais la plus grosse part correspond aux investissements fait par les ventures capitalistes et les fonds d’investissement dans de nouvelles entreprises ou le rachat d’entreprises existantes pour des montants compris entre 90 et 100 milliards de dollars. C'est la « Ruée vers l'Or Virtuel ! »

En effet, les enjeux potentiels des métavers sont considérables et il ne faut pas évaluer une technologie aux échecs du passé. Tout le monde se souvient de la déconfiture de Second Life. Elle proposait, il y a une vingtaine d’année, d’acheter des terrains virtuels sur des iles virtuelles, pour construire des maisons virtuelles. On pouvait visiter des boutiques virtuelles et acheter des vêtements virtuels qu’on payait à l’aide d’une monnaie virtuelle, le dollar Linden, pour finalement recevoir ses amis dans un café virtuel sous forme d’avatars afin de déguster des cocktails virtuels ([2]). C’était en 2003. Après un premier engouement, son déploiement à grande échelle fut un échec. C’était trop tôt. En ce temps-là les PC et les serveurs n’étaient pas assez puissants et la bande passante Internet disponible était insuffisante. De plus qui a envie de passer ses vacances sur une île virtuelle avec des avatars.

Depuis tout a changé. La petite industrie du jeu vidéo s’est rapidement développée et a atteint en 2021 un chiffre d’affaires mondial de 165 milliards de dollars ([3]). Or une partie importante de cette activité sont des “massively multiplayer online role-playing game”, les MMORPG, ce sont - en français - des jeux de rôle en ligne massivement multi-joueur. Une grande partie de ces jeux font appel à des espaces virtuels comme Fornite, World of Warcraft, Lineage II, EverQuest, RuneScape, … qui compte des millions, voir des dizaines de millions d’utilisateurs dans le monde. Ce sont en fait des métavers. La meilleure preuve en est le succès des casques de réalité virtuelle, qui ont pratiquement doublé en 2021, utilisés pour l’essentiel pour pratiquer des jeux virtuels. La base installée de casques fin 2022, serait de presque 20 millions d’unités dans le monde ([4]). Et tout cela avant qu’Apple ne vienne, sans doute en 2023, donner un coup de pied dans la fourmilière et tenter de vendre à lui seul plusieurs dizaines de millions d’unités.

Les métavers intéressent tous les commerçants car c’est une manière originale et efficace de communiquer et d’échanger avec leurs clients et de séduire les prospects. Ils peuvent montrer et démontrer leurs produits mieux qu’avec une simple vidéo. Ceci intéresse d’abord l’industrie de luxe comme PPR ou LVMH. Mais, de manière générale, tous les secteurs de la mode comme l’habillement, la chaussure, la bijouterie, … sont concernées. A terme il est probable que la grande distribution, l’automobile, les voyages, … s’intéresseront au métavers.

La pandémie, les confinements successifs, la fermeture des frontières ont démontré l’intérêt des visio-conférences pour avoir des échanges avec les autres sans risquer d’être contaminé. Le succès de Zoom, Teams, Skype, … montrent l’importance des échanges interpersonnels. Les métavers sont une autre manière de répondre à cette attente. Ceci concerne les relations amicales et familiales mais aussi les relations de travail notamment pour maintenir la cohésion des équipes.

Du point de vue technologique, l'assemblage des briques de la réalité virtuelle, du big data, de l'intelligence artificielle, et des protocoles d'échanges décentralisés (comme la blockchain ou les NFT (Jeton Non Fongible)), permettent de créer des mondes virtuels, dans lesquels les marques, les consommateurs, les professionnels et le grand public, permettent de se rencontrer, comme dans la vie réelle. Il est possible d’envisager de très nombreuses modalités différentes dont certains miment la vie réelle mais d’autres s’en éloignent, et innovent.

Du point de vue des usages, les jumeaux numériques et la réalité augmentée utilisent ces mêmes technologies, et, demain, elles seront probablement regroupées dans des métavers professionnels différents de ceux utilisés pour rencontrer des amis ou pour travailler en groupe. 

Que sont exactement les métavers ? Qui les crée et les développe ? Comment y accéder ? Que peut-on en faire ? Quels sont les modèles économiques sous-jacents ?

Lors d’une conférence du Club Européen de la Gouvernance des Système d’Information, qui s’est tenue le 22 Juin 2022, Philippe Nieuwbourg, expert reconnu en data et en gouvernance, a dressé un bilan, certes provisoire, mais néanmoins très positif sur ce que sont les métavers et de ce qu’ils deviendront :

  • -        Les cas d’usage des métavers en service dès aujourd’hui (slides 4 à 12),
  • -        Qu’est-ce que le métavers ? (slides 13 à 19),
  • -        Où en sont les grands fournisseurs d’infrastructures (Méta, Apple, Microsoft, …) (slides 20 à 25),
  • -        Les briques technologiques (slides 26 à 30),
  • -        Les marques aujourd’hui dans le métavers : quelques études de cas (slides 31 à 37),
  • -        Les trois étapes à venir (slides 38 à 43),
  • -        Questions d’éthique : big data et métavers (slides 44 à 45),
  • -        Questions environnementales (slides 46 à 47),
  • -        Comment se positionner (slides 48 à 51),
  • -        Vers le Web3 (slides 52 à 53).

 Lire ci-dessous le support de présentation de l’exposé de Philippe Nieuwbourg : 

 



[1] _ McKinsey – Value création in the metaver, Juillet 2022, 75 pages

[2] - On se rappellera que la plupart des candidats à l’élection présidentiel de 2007 : Nicolas Sarkozy, Ségolène Royale, Jean-Marie Le Pen, François Bayrou, Marie-George Buffet, José Bové, Dominique Voynet avaient ouvert des permanences électorales dans Second Life. Depuis les candidats ont oublié les mondes virtuels. Peut-être qu’en 2027 les campagnes électorales se feront dans de nouveau dans le métavers.

[3] - Par comparaison le chiffre d'affaires mondial annuel du cinéma est de 42,5 milliards de dollars et celui de la musique et des variétés est de 20,2 milliards de dollars. Et c’était les chiffres avant la crise du Covid.

[4] - https://www.statista.com/statistics/677096/vr-headsets-worldwide/



dimanche 15 novembre 2020

La blockchain et la gouvernance publique

Monsieur Jean Michel MIS, député de la Loire (LREM) et co-rapporteur du rapport sur la blockchain est intervenu le Mardi 10 novembre 2020 devant le Club Européen de la Gouvernance des Systèmes d’Information de 2018 pour faire le point sur l'action publique n France dans le domaine de la blockchain. Vous trouverez ensuite un post de Gilbert Reveillon, Conseiller du Commerce Extérieur, sur "la blockchain : est-il encore temps de choisir son camp ?" sur les enjeux politiques de la blockchain et le rôle particulier de la Chine.

 Mesdames, Messieurs,

Merci pour votre invitation à cette session du club européen de la gouvernance des systèmes d’information.

Je suis heureux de réaliser cette intervention et d’échanger avec vous sur la blockchain qui est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je suis, vous le savez, depuis plusieurs années, particulièrement investi sur ce sujet : d’abord en tant que rapporteur de la mission d’information parlementaire qui a rendu ses conclusions en 2018 à l’Assemblée nationale, ensuite en tant que Président d’honneur de la Fédération française des professionnels de la blockchain. Notre première réunion publique de lancement s’est tenue tout récemment en présence de Cédric Ô et des professionnels du secteur.

Je sais qu’au début, les directeurs des systèmes d’information, c’est-à-dire ceux qui ont la meilleure connaissance des infrastructures techniques socles de la transformation numérique, n’ont pas tous été convaincu par la blockchain, en raison de sa faible maturité technologique. C’est une attitude prudente et légitime. Néanmoins, un consensus émerge aujourd’hui sur les avantages qu’elle présente en termes de sécurité, de rapidité et de gains de productivités associés.

Alors que la blockchain était au départ annoncée comme un bouleversement technologique garant d’une plus grande horizontalisation du monde, elle est aujourd’hui au même titre que l’intelligence artificielle un enjeu de gouvernance publique. Elle transforme la manière dont s’exerce l’autorité politique, économique et administrative et in fine le pilotage des politiques publiques.

D’abord dans le champ économique où la France, après avoir raté le virage de la nouvelle économie dans les années 2000, souhaite agir rapidement dans la course aux innovations de rupture face à ses concurrents américains et chinois. La création d’un cadre réglementaire favorable à l’innovation et le lancement d’une stratégie industrielle ont vocation à combler cet écart.

Ensuite dans le champ monétaire, où plusieurs banques centrales mettent en place leurs propres monnaies digitales pour prendre de vitesse le projet de cryptoactif Libra initié par Facebook. L’euro numérique permettrait à la France et à l’Europe de disposer, avec un temps d’avance sur l’étranger, d’un puissant levier d’affirmation de souveraineté́.

Je suis convaincu que la question notre souveraineté dans l’espace numérique est décisive pour les années à venir. C’est la raison pour laquelle, en tant que vice-Président de la mission parlementaire relative à la souveraineté numérique, j’appelle à faire de la blockchain l’un des piliers de notre stratégie économique et monétaire. C’est sur ces deux points que je vais intervenir. 

 1)      La première étape pour les gouvernements qui veulent soutenir le développement de la blockchain est de créer un cadre législatif et réglementaire favorable à l’innovation et de formaliser une stratégie industrielle pour les technologies de rupture.

a.        En établissant un cadre juridique clair, nous permettrons à nos entrepreneurs de recourir à la blockchain et nous sécuriserons les investisseurs qui soutiennent l’essor de cette technologie.

 La France a été en la matière particulièrement exemplaire : elle a su mettre très tôt en place un cadre juridique favorable à l’essor de la blockchain pour renforcer notre attractivité et améliorer la compétitivité de nos entreprises à l’international.

 Ainsi le cadre juridique français a été progressivement clarifié pour permettre aux entrepreneurs d’utiliser la blockchain sans casser la dynamique d’innovation. Par exemple avec la loi PACTE, nous avons instauré un cadre pour les levées de fonds par émissions de jetons afin de sécuriser les émissions et de garantir l’intégrité du marché en fournissant une information fiable aux investisseurs.

 L’évolution de la réglementation dans un sens favorable aux technologies de rupture est un véritable enjeu pour renforcer l’attractivité de la France à l’international. En effet, il existe une forte concurrence sur le segment des technologies de rupture. La Chine a par exemple très clairement annoncé son intention de devenir leader sur la blockchain et aménage son cadre juridique pour soutenir des acteurs chinois, comme le rappelait le directeur général de Blockchain Partner lors de son audition au Sénat.

 C’est pour répondre à cet enjeu que j’ai préconisé à l’Assemblée de mener une revue générale des normes qui conditionnent encore l’essor de la blockchain.

b.      Mais créer un cadre juridique favorable est insuffisant. Nous devons aller plus loin en mettant en place une stratégie industrielle aussi bien en France qu’au niveau de l’Union européenne afin de favoriser le développement de la blockchain.

 La stratégie nationale blockchain répond en partie à cet objectif, en créant un écosystème alimenté par des financements publics de soutien à la R&D sur le modèle de l’intelligence artificielle. Dans le même sens, pas moins de sept milliards ont été annoncés sur les technologies de rupture dans le cadre de France Relance.

 Si je salue l’ensemble de ces initiatives, elles sont encore insuffisantes pour permettre à la France de se positionner comme leader sur la blockchain au niveau international et ainsi retrouver sa souveraineté.

 C’est à nous d’encourager le développement de solutions souveraines sur blockchain avec des infrastructures régaliennes et d’aider nos acteurs économiques à émerger. Je me réjouis à ce titre de la création de la Fédération françaises des professionnels de la blockchain qui a pour objectif de mettre en relation les acteurs privés afin qu’ils parlent d’une seule voix au niveau national et européen.

La France et l’Europe doivent assumer un soutien direct aux technologies de rupture et créer des écosystèmes favorables aux acteurs privés. Le principal obstacle est le renoncement généralisé alors qu’il faut faire de la souveraineté numérique un enjeu stratégique européen. C’est tout l’enjeu du mandat de la nouvelle Commission, comme le rappelait très récemment Thierry Breton : « Il faut désormais assurer la souveraineté numérique de l’Europe ».

2)      C’est également un enjeu décisif en matière monétaire, où il en va de la survie de notre gouvernance publique face aux GAFAM. Les gouvernements qui souhaitent soutenir l’essor de la blockchain doivent concurrencer les initiatives privées comme le Libra en créant en premier une monnaie digitale de banque centrale pour renforcer notre souveraineté

a.       L’annonce du lancement du Libra, un cryptoactif privé qui a pour objectif de servir de moyen de paiement sur les applications du groupe Facebook, a été très critiqué au niveau international au cours de l’année 2019.

 Le G7 et les gouvernements européens ont refusé en bloc le déploiement du Libra dans les conditions actuelles et rappellent aujourd’hui leur attachement à la souveraineté monétaire.

  J’avais en ce sens interpelé Bruno le Maire en juin dernier sur les dangers du Libra. En effet si différents risques ont toujours été associés à l’existence de monnaies digitales privées, leurs récents développements technologiques (les stablecoins, adossés à un panier de devises pour en stabiliser la valeur) impliquent des menaces spécifiques.

 Le rapport présenté par Benoit Coeuré, à qui le G7 avait confié la direction d’un groupe de travail sur le Libra, met en avant un risque systémique pour la stabilité des monnaies et une menace particulière en matière de blanchiment d’argent. Plus encore, ce sont les risques en matière de souveraineté monétaire qui alertent les gouvernements et les organisations internationales.

b.      C’est pour freiner ces initiatives privées qui menacent notre souveraineté que les banques centrales mettent en place leurs propres monnaies numériques sous forme de monnaie digitale de banque centrale.

 Il existe plusieurs projets de ce type au niveau international. Aux États-Unis le lancement de Fedcoins convertibles à parité avec le dollar est envisagé par la FED. De la même manière la banque centrale suédoise, confrontée à une diminution de l’utilisation du cash, envisage la mise en place d’une monnaie digitale officielle. Enfin en Chine, le projet de renminbi numérique est un élément déterminant de l’internalisation monétaire.

 En France la Banque de France a lancé en janvier 2020 son premier appel à projet pour expérimenter une monnaie digitale de banque centrale. Si elle avait déjà dans le passé réalisé des expérimentations blockchain, il s’agit du premier test d’envergure pour une monnaie digitale de gros, c’est-à-dire destinée au secteur financier.

 S’il convient d’anticiper les risques associés à l’émission d’une monnaie digitale de banque centrale, elle est une formidable opportunité pour retrouver notre souveraineté qui a été contestée par le lancement des monnaies privées. Les résultats permettront en outre à la France de contribuer à la réflexion plus globale conduite par l’Eurosystème sur la mise en place d’un euro numérique à l’échelle européenne.  

Nous avons aujourd’hui la possibilité de rebattre les cartes sur la blockchain en imposant de nouvelles règles qui s’accorderont mieux avec nos intérêts économiques et stratégiques et nos valeurs. La France doit être un moteur sur le développement d’infrastructures régaliennes indispensables au développement d’une blockchain souveraine et à la mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale européenne.

vendredi 29 juillet 2016

Les entrepreneurs de la génération Y sont-ils plus doués que les autres ?

Par Bernard Quinio

Parmi les jeunes de la génération Y apparaissent des entrepreneurs qui semblent différents de leurs prédécesseurs. Leurs comportements surprennent et ils bâtissent des entreprises qui se distinguent des entreprises traditionnelles. Ces nouveaux entrepreneurs sont-ils réellement différents et leurs entreprises sont-elles plus performantes dans l’environnement actuel ? En passant par un point sur la génération Y et un rapide coup d’œil sur l’entrepreneuriat, on s’attachera à répondre à ces deux question.

Se retrouver dans le fatras de la génération Y

On a beaucoup écrit sur la génération Y notamment face aux nouvelles technologies. Mais beaucoup de choses sont inexactes. On attribue à une classe d’âge, la fameuse génération Y, des traits caractéristiques sans aucune approche scientifique. On affirme, sans s’inquiéter des contradictions, qu’ils sont à la fois égoïstes, altruistes, indépendants, éduqués, matures, technophiles, fainéants, etc. Cette approche des caractéristiques (dite approche par les traits) de la génération Y est basée sur des traits de caractères ou de comportements présumés mais non prouvés (voir à ce sujet ce que dit Jean Pralong dans FocusRH).
Dans les entreprises cohabitent actuellement trois générations (les plages de dates varient selon les auteurs) :
-          La génération des baby-boomeurs sont des personnes nées entre 1940 et 1960 (en fait ceux encore présents dans les entreprises sont nées après 1950). Ils ont connu l’après-guerre et les trente glorieuses.
-          La génération X sont des personnes nées entre 1960 et 1980. Elles ont été marquées par la guerre froide, puis ont assisté à la chute du mur de Berlin et ont plongé dans le chômage masse. Cette génération a été imprégnée par le culte de la performance du trader ou de l’entrepreneur star.
-          La génération Y sont des personnes nées entre 1990 et 2000. Ils sont numériques à la naissance, « nés avec un smartphone dans les mains ». Ils ont beaucoup voyagés notamment grâce au programme Erasmus. La gestion de l’environnement est une de leur préoccupation majeure et ils ont vu leurs parents mis brutalement au chômage.
Ce sont trois générations avec des histoires et des expériences différentes. Une génération est composée de personnes ayant à peu près le même âge et qui ont vécu en même temps les mêmes évènements significatifs. De par ce vécu commun au même âge, elles peuvent avoir des comportements génériques similaires.
Par exemple, les baby-boomers, ayant connu la fin de la guerre et les Trente Glorieuses, sont souvent très sensibles à la réussite matérielle (confort) et sociale (progression par rapport à leurs parents).
La génération Y, née avec Internet, a comme moyen d’échange naturel Facebook qui permet peu ou prou de faire « ce que je veux, avec qui je veux quand je veux ». La mobilité leur est naturelle et elle est souvent associée au goût des voyages facilités par l’Europe. Lorsqu’ils ont besoin d’un logiciel ils vont sur Internet, font une recherche sur Google et chargent le programme capable de faire le job sans se poser des questions de virus. Ils peuvent difficilement se passer de la technologie et ils sont pour certains dépendants d’elle. Mais une étude scientifique que j’ai réalisée il y a quelques années avec mon collègue Bruno Carpentier de l’ESCP Europe a montré qu’ils n’étaient pas du tout technophiles. La vision de leurs parents, mis brutalement à la porte ou n’arrivant pas à toucher une retraite suffisante, leur fait préférer le plaisir du jour aux promesses d’avenirs radieux à condition de souffrir dans un premier temps au travail.
Donc oui, la génération Y a quelques comportements qui sont différents de ceux des autres générations. Ce ne sont pas des traits de caractères tombés du ciel mais des réactions au contexte social dans lesquels ces jeunes ont grandis.

Le récent développement de l’entrepreneuriat étudiant en France

Dès la sortie de l’Université ou de l’école et même parfois alors qu’ils y sont encore, des étudiants créent leur propre start-up. Il existe de nombreux dispositifs pour les aider notamment le statut Etudiants Entrepreneurs porté pas les 29 Pépites de France. Selon certains, en France, il y aurait 1,5 % d’étudiants-entrepreneurs alors qu’aux Etats-Unis ils seraient près de 10 % ; la marge de progrès est bien là.
Il est vrai qu’on est parti de très loin (absence de dispositif d’aide, lourdeur, manque de lieux de création). Le pire était l’inhibition face à la crainte de l’échec, la valorisation de la conformité (logique d’examens et de concours) et une suspicion face à l’innovation. Sur ces derniers points, il reste encore beaucoup de travail à faire dans notre pays.
Mais la France commence à devenir un pays sérieux pour les startups et les résultats sont là. A Paris on assiste à la multiplication des créations et des incubateurs. La Halle Freycinet, qui est en cours de finition, devrait regrouper 1.000 start-ups.
Une vraie énergie de création est là et de nombreux nouveaux enhtrepreneurs Y sont aux manettes.

Ces nouveaux dirigeants sont-ils différents de leurs prédécesseurs ?

A partir d’entretien avec une vingtaine d’étudiants lançant leur start-up, il a été possible de mieux comprendre ce qui les pousse à créer leur entreprise et quels sont leurs principaux leviers. Leur premier objectif pour créer une entreprise est … de ne pas s’ennuyer ; ils veulent faire tous les jours des choses nouvelles dans des endroits variés.
Pour eux, les principaux leviers d’action sont :
-          Les contacts via Facebook ou d’autres réseaux sociaux. Ce ne sont plus les contacts avec les anciens de l’école et encore moins le simple label du diplôme ou la formation reçue.
-          Etre au plus proche de celui qui fait car c’est lui qui sait et qui doit être sollicité. C’est la « do-ocratie » des fab-lab
-          La confiance, le feeling, et le regard sont très essentiels : c’est l’intelligence émotionnelle qui prévaut.
-          Le leadership et la capacité de convaincre sont des leviers importants (ce point est commun à toute démarche d’entrepreneuriat).
-          Le partage, la collaboration et le rôle de l’équipe sont centraux. La mise en commun est fondamentale, la réussite forcement collective.
Pour préciser ces comportements quelques verbatim tirés des entretiens permettent d’illustrer la mutation introduite par les entrepreneurs Y :
-          « Je veux embaucher des gens plus intelligents que moi ».
-          « Patron c’est un mot négatif ».
-          « Le créateur c’est celui qui entraîne, celui qu’on suit ».
-          « On sait que tout se périme vite ».
-          « Il faut prendre de tout partout tout le temps et sans hésiter ».
-           « Fais ce qu’il te plait, tout de suite ».
-          « Il faut aller voir dans tous les autres pays ce qui marche et y prendre des idées »
Pour apprécier les différences entre ces nouveaux dirigeants et les anciens nous avons noté sur le tableau ci-dessous les comportements et les attitudes des uns et des autres.

Les nouveaux dirigeants
Les anciens dirigeants
Structure Horizontale / collaboration
Structure verticale / hiérarchie
Diffuser l’information
Garder l’information pour soi, c’est le pouvoir
Expliquer le pourquoi
Expliquer le comment
Prendre l’information où elle est
Faire confiance au label du diplôme et des pairs
Le pouvoir c’est entraîner
Le pouvoir c’est savoir
Le terrain de jeu est le monde
Le terrain de jeu c’est la France
Le numérique est naturel
Le numérique est une contrainte
Travailler où on veut quand on veut
Travailler de 9h à 20h dans une tour
Travailler en équipe, le collectif prime
Travailler avec un groupe réduit de gens sélectionnés

Comme tout comparatif, celui-ci a ses limites et peut être réducteur, mais il semble parlant. Les différences entre les nouveaux et les anciens dirigeants viennent essentiellement des éléments vécus au même moment par l’ensemble de cette génération. La structure horizontale prônée est celle de Facebook. Le pouvoir ne peut plus venir de l’information car elle est disponible partout pour tous. Le « comment » va se trouver sur le Web alors que le « pourquoi » n’y sera pas. La mobilité est naturelle et elle se retrouve dans les manières de travailler. Le numérique et l’international (même si des différences sociales sont forte sur ce point) sont naturels.

Ils sont donc bien différents, sont-ils pour autant plus performants ?

Ces nouveaux entrepreneurs créent des entreprises par essence digitales et qui n’ont donc pas nécessité de se transformer pour s’adapter au nouvel environnement numérique. Dans un précédent post, nous présentions les deux voies de la transformation digitale : 1) création de valeur sur les produits et services et 2) performance des activités et du management.
La génération Y a bien évidemment une avance considérable sur la deuxième voie et sans doute peu sur la première. Leur manière de travailler est naturellement digitale. Dans nos espaces de coworking ou dans nos incubateurs, nous savons qu’il est inutile de prévoir des bureaux ou des ordinateurs. Ils ne travaillent qu’avec leurs propres outils dans des espaces ouverts. Le réseau social avec son chat ou une plateforme collaborative est leur mode de coordination en lieu et place du mail chronophage. Ils savent travailler à distance, à plusieurs et de manière très efficace. Le management digital c’est pour eux le management tout court.
C’est cette avance culturelle qui peut les rendre plus performants. C’est pour cela, je pense, que le groupe Accor a imaginé une solution originale en créant un Comex bis composé exclusivement de personnes de moins de 30 ans.


Donc oui, les entreprises portées par ces entrepreneurs Y ont une avance sur les nouveaux modes de management et de travail digital. En revanche, rien ne dit que leurs stratégies, leurs tactiques, leurs modes de développement et la définition de leurs produits ou services soient plus performants que ceux des entreprises dirigées par des « anciens » entrepreneurs.