Par Laurent Chiozzotto
Le développement
rapide du numérique se traduit par l’apparition de nouveaux business modèles
radicalement différents des anciens. Tout se passe comme ce qui avait jadis fait
le succès des entreprises traditionnelles se retourne contre elles. De nouveaux
entrants, venus de nulle part, ont profondément changé la manière de réaliser
des affaires. Leur business modèle repose sur des offres de nature très
différente de celles faites par les entreprises les ayant précédées.
Toutes ces
nouvelles entreprises ont en commun de mettre le client au centre de leur
démarche. Ceux-ci sont à la fois les clients et les fournisseurs. Ceci se
traduit par un changement profond du modèle traditionnel et a pour conséquence de
développer de nouvelles relations de ces entreprises avec leur environnement.
On assiste depuis
quelques années à une multiplication du nombre de ces nouvelles organisations.
Ce sont des entreprises d’un type nouveau qui sont en fait des plateformes. Elles
vont rapidement changer la manière de développer leur activité. A terme,
presque tous les secteurs seront concernés par ces nouveaux business modèles.
Les limites des anciens modèles
Les opérateurs
classiques d’Internet réussissent car ils ont su détecter les failles dans les
stratégies des intervenants traditionnels et proposer des approches nouvelles.
Ce sont essentiellement quatre failles structurelles :
§
La fragmentation
des marchés et la dispersion des acteurs. Des sites comme Groupon ont
regroupé de nombreuses offres ponctuelles. Aux clients, ils proposent des
remises conséquentes et aux fournisseurs de leur amener de nouveaux clients
contre des remises massives. Mais ce business modèle est fragile car les
remises exigées sont très élevées et il est très difficile de fidéliser les
nouveaux clients.
§
La complexité
de l’offre et l’opacité des prix. L’exemple le plus parfait de ces
stratégies est celle adoptée par Free. Avant son arrivée, les opérateurs de téléphonie
mobile proposaient des offres complexes et opaques, difficiles à comprendre.
Free est arrivé avec une offre simple : un prix imbattable offrant tous
les services sans option.
§
La focalisation
sur le produit plutôt que sur le client. Dans de nombreux secteurs, les
entrepreneurs s’intéressent plus au produit qu’à leurs clients. C’était le cas
des opérateurs de téléphonie mobile traditionnels.
§
L’empilement
de couches d’intermédiaires avec une valeur ajoutée peu visible. C’est le
cas des chaînes d’approvisionnement traditionnelles dans les produits frais
comme les fruits et légumes ou encore la viande. Les consommateurs trouvent que
les prix augmentent de plus en plus alors que les producteurs n’arrivent plus à
gagner leur vie du fruit de leur travail. On voit ainsi apparaître des
plateformes de « circuits courts » qui mettent directement en
relation des producteurs et des consommateurs via Internet.
Face à ces
opérateurs « classiques » de nouveaux intervenants surgissent et
proposent une nouvelle manière de faire le business. Ce sont Uber, Airbnb,
Blablacar, …. Ces sites ont en commun d’être particulièrement faciles à
utiliser et d’un emploi très fluide. Ils constituent des communautés de
personnes intéressées par un produit ou un service particulier : le
transport en ville, le logement de courte durée, le partage de frais de voyage,
… Le but de ces plateformes est de mettre en relation des particuliers offreurs
et des particuliers demandeurs.
C’est un
changement profond de l’organisation classique des entreprises.
Traditionnellement, on commence par créer un produit ou un service puis on
définit son plan marketing pour ensuite chercher à le vendre. Dans ces nouveaux
business modèles, on change profondément de logique. C’est une démarche en
trois temps :
·
Dans un premier temps le fournisseur commence
par proposer une expérience originale comme c’est le cas d’Uber. C’est une
autre manière d’appeler un taxi.
·
Dans une deuxième phase, il va s’efforcer de généraliser
l’emploi de son application comme l’a si bien réussi Gmail ou Facebook. Ce
service repose sur une plateforme puissante offrant des services de qualité.
·
La troisième étape va consister à créer une communauté
d’utilisateurs dont l’exemple parfait est
Airbnb qui, en quelques années, s’est imposé dans le monde entier.
C‘est une
nouvelle façon de concevoir et de faire des affaires.
Peu importe le
produit pourvu qu’on ait le client
En fait, sans le
dire, on est en train de passer de l’économie du produit à l’économie du
client. C’est un changement radical. Le but de ces nouvelles entreprises et
d’offrir à quiconque qui le souhaite la meilleure expérience possible pour
bénéficier d’un service particulier. Leur but est d’attirer l’attention de tout
un chacun par la qualité de la prestation.
Ensuite il faut
réussir la transformation de l’utilisateur occasionnel en un consommateur
régulier. Les GAFA et notamment Google sont devenus les experts dans la fidélisation
de leurs clients. Même s’il n’y a pas eu de transaction financière, chaque
utilisateur est un client ou plus précisément un apporteur d’informations.
Celles-ci seront ensuite revendues à des commerçants intéressés par la connaissance
des goûts et des attentes de leurs futurs prospects. En fait, ce sont les informations fournies par les utilisateurs eux-mêmes qui
est, en quelque sorte, la matière première de ce nouveau type d’entreprise.
Les nouveaux
entrants cherchent à construire des relations solides avec ces visiteurs, basées
sur la confiance et la simplicité d’emploi de leur application. Lorsqu'on est
sur leur site, on ne se pose aucune question. Tout s’enchaîne sans peine et on
a la réponse à toutes les questions qu’on se pose au moment où on s’interroge.
L’exemple parfait de cette approche est le « One clic » d’Amazon.
Le modèle
économique des GAFA est de type asymétrique. Après avoir lancé en 2001 le
baladeur numérique iPod, Apple a proposé en 2003 l’iTunes Store offrant un
choix de chansons et d’airs de musique quasiment illimité. Ainsi Apple fournit
le matériel d’écoute et le service de fourniture de la musique. C’est une
captation presque parfaite du marché. Les Majors du disque ont ainsi en
quelques années été réduites à la portion congrue.
Google a procédé
de la même façon en matière de système d’exploitation. En 2005 Google rachète
une start-up du nom d’Android qui, à partir d’un noyau de Linux, a développé un
système d’exploitation pour appareil photo. Google l’a ensuite adapté aux
téléphones portables et en 2008 l’a proposé gratuitement aux fabricants de
téléphones mobiles au moment où le smartphone est apparu. Ce fut un
raz-de-marée. Simultanément Google ouvrait l’Android Market qui est devenu
depuis la Google Play Store offrant des centaines de milliers d’applications
dont une grande partie sont gratuites. Google a ainsi cadenassé le marché et
pris près de 80 % du marché des systèmes d’exploitation de smartphones et des
tablettes.
Une mécanique économique redoutable
Le modèle
économique de ces entreprises est simple et d’une remarquable efficacité.
·
Dans un premier temps il faut créer et
développer la base de consommateurs. Cela se fait grâce à la proposition de
quelques innovations gratuites et simples à utiliser. Elle commence par séduire
quelques pionniers qui vont ensuite faire venir, par l’effet du bouche à
oreille, la grande masse des utilisateurs.
·
Dans un deuxième temps l’opérateur va réaliser
son chiffre d’affaires en faisant du « cross-selling » et en vendant
des services à des vendeurs de produits ou de services. Il va notamment vendre
les informations qu’il a collectées sur les comportements des utilisateurs de
ses services.
·
Ensuite, dans un troisième temps, il va
s’efforcer d’accroitre le taux de fidélité des utilisateurs de ses services
notamment en leur offrant de nombreux autres services voisins. Cette
intégration est très utile car elle permet de mieux connaître les besoins et
les attentes des utilisateurs et donc d’améliorer le revenu par personne.
Comme on le voit,
le secteur de ces nouvelles entreprises est très particulier. Il faut trouver
un service ou un produit très différent de ce qu’offrent les autres sites.
Ensuite, il faut le rendre accessible à tous puis arriver à faire masse et
ensuite le monétiser, puis pérenniser cette relation en l’intégrant dans une
série d’autres services.
Google est l’archétype
de l’entreprise plate-forme opérant sur un marché biface : les internautes effectuant
des recherches sur Google laissent des informations, mais ils laissent des
traces quand ils consultent des sites à l’aide de Chrome ou envoient et
reçoivent des emails. Google vend ensuite aux annonceurs ces informations pour qu’ils
puissent mettre en ligne des publicités mieux ciblées. Aujourd'hui, Google et
d’autres sont allés plus loin et appliquent une recette qui leur garantit le
succès :
1.
Trouver des marchés complémentaires à ceux que l’opérateur
couvre déjà avec ses offres qui constituent son cœur de métier.
2.
Développer la demande concernant ces marchés en
proposant des services ou des produits beaucoup moins chers ou plus faciles à
utiliser pour les clients, quitte à perdre de l’argent.
3.
Ménager un avantage concurrentiel immédiat en
établissant un lien fort entre les offres cœur de métier et cette nouvelle
demande.
4.
Créer une expérience utilisateur incomparable et
irremplaçable pour garder le client le plus longtemps possible.
C’est très
exactement ce que font Amazon, Apple, Facebook, Airbnb, Uber, …
L’âge de la multitude
Deux auteurs français, Nicolas Colin et Henri Verdier,
ont bien compris la nature de cette mutation dans leur ouvrage :
« L’âge de la multitude ». Une nouvelle ère commence.
Traditionnellement, la création de valeur se fait à l’intérieur de l’entreprise
dans ses ateliers, ses entrepôts, ses bureaux d’études, … Désormais la création
de valeur se fait massivement hors des murs de l’entreprise. C’est un
changement profond qui est le cœur des transformations numériques en cours.
Dans ce nouveau
monde, chacun d’entre nous est à la fois client et fournisseur. C’est le
crowdsourcing dont l’exemple parfait est le crowdfunding. Mais il existe à côté
de nombreux autres aspects de ce type de changement de relation.
Tous investisseurs
Dans la démarche
du crowfunding, chacun peut devenir investisseur comme les grands Ventures
Capitalists. Cette démarche consiste à mettre en contact des porteurs de
projets qui cherchent un financement et des particuliers intéressés au
financement de start-up. Cette idée est née en Allemagne en 2006 grâce au site pionnier (Pour voir sa fiche Wikipedia) qui proposait de faciliter le lancement de nouveaux artistes musicaux en
finançant leur premier CD. En 2009, l'américain Kickstarter (Pour en savoir plus) reprend
cette idée en la généralisant à tous les domaines de la création. Très vite, c’est
un réel engouement. En quelques années il a recueilli plus de 558 millions de
dollars. En 2013, le premier site français de crowfunding, KissKissBankBank
(KKBB) (Pour en savoir plus) est lancé. En trois ans il a collecté 43 millions d’euros grâce à 780.00 souscripteurs et a financé 72.000 projets.
Selon les
chiffres du site Statista.com, 16,2 milliards de dollars ont été levés en 2014
tous pays confondus. On enregistre une augmentation exponentielle de cette
activité chaque année (2,7 milliards en 2012, 6,1 milliards en 2013).
Cependant, cette
activité n’est pas sans risques. Aux Etats-Unis, le “JOBS Act”, le “Jumpstart
Our Business Startups Act”, a été adopté en 2012 et réglemente de façon très
étroite le secteur. En Europe, l’absence de réglementation claire expose les
investisseurs à des risques qui ne sont jamais mis en évidence. De plus, un
certain nombre de critiques peuvent être faites tenant à la complexité et aux difficultés
rencontrées dans le cadre de cette démarche.
Tous contributeurs aux sites
Créer un site Web
est une tâche complexe. Ouvrir un blog est plus simple mais nécessite une
certaine expérience. Le succès de sites comme Facebook ou You Tube montre que
des millions d’utilisateurs sont prêts à contribuer à condition que le travail
soit simplifié. Grâce au « User Generated Content » (Pour en savoir plus sur Wikipédia) , une entreprise peut faire
appel à ses clients ou à ses utilisateurs pour créer des contenus et ainsi gagner
un temps précieux ou multiplier les offres. Selon cette nouvelle approche, chacun
peut devenir un contributeur. Elle repose sur l’idée simple que chacun veut créer
son image sur Internet. C’est une démarche narcissique qui est, on le sait
bien, un puissant moteur d’action pour de nombreuses personnes comme l’a démontré
le succès mondial de Facebook.
Tous créateurs
Mais on peut
aller plus loin en permettant à tous les amateurs de bricolage de développer eux
–même des systèmes complexes et puissants. Ceci est dû à la conjonction de
trois facteurs :
§
L’explosion du do it yourself et
des kits de développement hardware pour développer soi-même des objets
connectés low-cost, et qui donne naissance à une génération de "makers"
aussi innovante que les centres de recherche et développement des grandes
entreprises :
-
les cibles principales semblent les enfants et
les novices,
- un
mouvement de "punk" anticonsumériste, le DIY, Do IT Yourself (Pour en savoir plus sur Wikipédia), s’est fixé comme objectif d’entrer en compétition avec le processus classique
de recherche et développement,
- l’esprit
DIY a aussi un impact significatif
sur le processus d’innovation dans les industries traditionnelles : c’est la
démarche des « makers ».
§
On note la multiplication des kits de
programmation low-cost comme :
- le
kit MbientLab (Pour en savoir plus) qui
permet de gérer des objets connectés du type « wearables » de la taille d’une pièce de monnaie à
l’aide de smartphones,
- les
nano-ordinateurs proposés par Raspberry PI (Pour en savoir plus en anglais et en français) dont le petit dernier, le Raspberry
PI Zero coûte la modique somme de 5 dollars (Pour en savoir plus). Raspberry a vendu plus de 5
millions d’exemplaires des modèles précédents !
- la
technologie qui permet de tracer les données émis !es par le corps humain
est désormais standardisée,
- dans
le domaine de l’IoT, SamLabs (Pour en savoir plus) fournit des kits permettant de construire une plateforme et de réaliser
rapidement le hardware et le software d’un système.
§
Les "makers" sont souvent meilleurs
que les équipes traditionnelles de R&D.
- Le
système Tiny-Circuits de KickStarter (Pour en savoir plus) propose une petite carte mère que les "makers" peuvent intégrer à
tous leurs objets du quotidien.
- Tiny
Circuits propose aussi plusieurs dizaines de produits complémentaires comme des
capteurs, des accélérateurs, des gyroscopes, des moteurs, des écrans oled, des leds,
...
Grâce à ces
outils chaque bricoleur amateur peut devenir le créateur d’un système original.
Tous commerçants
De même chacun
peut devenir commerçant. N’importe qui peut désormais fabriquer ses produits et
les vendre dans le monde entier grâce à Internet. Il suffit d’ouvrir un site
mais il est aussi possible de devenir un partenaire des sites d’échange ou de
petites annonces comme eBay ou leboncoin.fr.
Tous hôteliers
Il est aussi
possible de devenir hôtelier grâce à[CS2]
Airbnb (Pour en savoir plus) (Voir aussi sur Wikipédia) en louant son appartement. Ce site a été créé en 2008. Il propose plus d’1,5 million
d’appartements pour un jour ou pour plus. Il est présent de 192 pays et dans 34.000
villes. Pour gérer cette activité elle emploie 500 personnes. L’entreprise est
valorisée aujourd’hui 25 milliards de dollars.
Par comparaison,
le groupe Accor, qui est un des plus grands groupes hôteliers du monde, est un
nain économique. Sa valorisation boursière n’est que 9,4 milliards d’euros,
soit moins de la moitié d’Airbnb. Or ce groupe a près de 50 ans. Il a été créé
en 1967. Il gère 3.717 hôtels qui offrent 482.296 chambres dans 92 pays. Et pour
cela il emploie 170.000 collaborateurs.
Comme on le voit,
ce sont deux business modèles radicalement différents et il ne fait aucun doute
qu’Airbnb a une supériorité économique telle qu’il menace les positions des
plus grands groupes hôteliers mondiaux.
Or ces nouveaux
intervenants comme Airbnb viennent de nulle part. Ils sont créés et dirigés par
des geeks (Pour en savoir plus sur Wikipédia) ([1])
maîtrisant parfaitement la technologie informatique mais ignorant tout du métier
d’hôtelier. Sans rien connaître, ils réinventent le métier et proposent une
solution qui satisfait les voyageurs et les loueurs tout en leur permettant de
dégager une marge à faire pâlir de jalousie tous les hôteliers du monde.
Tous entrepreneurs
Mais la rupture
qui a fait le plus de vagues est celle de Uber (Pour en savoir plus sur Wikipédia). Maurice Levy, PDG de Publicis, a même inventé le terme d’uberisation pour décrire le processus qui est en train de laminer la rente des taxis du
monde entier.
L’histoire de
cette société est exemplaire. Trois américains, Garrett Camp, Travis
Kalanick et Oscar Salazar, étaient à Paris en 2008 pour participer à la
conférence LeWeb. Ils cherchaient à prendre un taxi et n'en trouvaient
pas. Ils firent la constatation que le système de taxis parisiens est aussi
inefficace que celui de San Francisco. Ils ont alors l’idée de proposer un
service de chauffeur privé à la demande nommé UberCab qu’il est possible
d’appeler avec un simple smartphone. Très vite leur offre rencontre le succès.
Mais très vite aussi Uber doit faire face à deux types
de contestation :
•
Les taxis traditionnels se révoltent dans la
plupart des pays où ils offrent leur service contre cette concurrence.
•
En Californie les chauffeurs Uber ne veulent pas
être des indépendants mais des salariés afin de bénéficier des avantages
sociaux.
Fort de ce
premier succès, Uber a ouvert un nouveau service avec des chauffeurs
non-professionnels cherchant à améliorer leurs fins de mois avec leur propre
véhicule. C’est UberPOP. Cette annonce a provoqué une véritable insurrection des
chauffeurs de taxis. Il est possible que ce service soit pour les chauffeurs une
sorte d’esclavage déguisé, une sorte de servitude librement consentie, mais
c’est encore un succès. En quelques semaines, il y a eu plus de 1.000 chauffeurs UberPOP en
France, principalement à Paris. Mais très vite la justice a été saisie et le
Conseil Constitutionnel a déclaré le service UberPOP illégal.
En septembre 2015, Uber, est présent dans 55 pays et plus de 250 villes et sa folle croissance
continue. L’entreprise n’est pas encore cotée mais elle est valorisée par les
derniers investisseurs 50 milliards
de dollars. On se rappellera que Google a investi 260 millions de dollars dans Uber en 2013. Une belle affaire.
Tous économes
De nouveaux
modèles d’affaires sont rendus possibles grâce aux TIC, notamment la location
de voiture entre particuliers et l’auto-partage (ou car-sharing). L’idée est de
valoriser des actifs dormants. Ce marché est apparu à Paris en 1999, il
est actuellement en rapide expansion.
A côté des premiers arrivés comme Buzzcar,
CityZenCar, BlaBlaCar…. on constate aujourd’hui l’apparition d’une série de nouveaux
acteurs comme Autolib, Avis On Demand, Carbox, ConnectbyHertz, Okigo, ou Drivy
(ex-Voiturlib’).
Buzzcar
a été lancé en 2011 par Robin Chase et Mobivia Groupe (ex-Norauto). En
juin 2013, elle annonce l’acquisition de la start-up CityZenCar spécialisée
dans la location en BtoC. Ce rachat permet de mutualiser leurs communautés de
membres et d’offrir un parc de plus de 7.000 véhicules présents dans 2.000
villes en
France. Plus de 50.000 membres sont inscrits sur le site de Buzzcar. Dernier
épisode, en 2015 Drivy rachète Buzzcar.
L’entreprise dispose maintenant d’un parc de 28.000 véhicules et compte
aujourd’hui 500.000 utilisateurs.
De son côté, BlaBlaCar (Pour en savoir plus sur Wikipédia) qui est un système de co-voiturage a mis longtemps à trouver son modèle. Mais
il a tenu et il a même récemment racheté son concurrent européen Carpooling. Il
détient désormais 90% de parts de marché
du co-voiturage en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie. Il est
présent dans 19 pays et à transporté cette année 20 millions de personnes.
Tous solidaires
Le business
des « petits boulots » évolue. Pendant longtemps, les demandeurs et
les offreurs de service affichaient des annonces chez les commerçants du
quartier. Il existe maintenant des plates-formes de « coups de main
collaboratifs ». Le premier a été TaskRabbit (Pour en savoir plus sur Wikipédia) qui a été lancé en 2008 à Boston par Leah Busque. Elle a eu l’idée de ce
service car elle n’avait pas le temps d’aller acheter de la nourriture pour son
chien et voulait trouver un voisin qui puisse lui donne un coup de main. Le
principe de fonctionnement du site était que les « réalisateurs » (les
« taskers ») faisaient des offres sur la base d’une liste de demandes
de travaux qui étaient affichées sur le site.
En juillet 2014, TaskRabbit a dû changer de stratégie
après avoir constaté une baisse drastique du nombre d’enchères sur les tâches à
effectuer. Aujourd’hui, l’outil de mise en relation est une application mobile
qui envoie des messages aux « réalisateurs » dès qu’une demande de
service est faite en fonction de leurs préférences, de leur localisation et de
leurs domaines de compétence. Certains « réalisateurs » gagnent jusqu’à
8.000 dollars par mois en réalisant 3 à 5 tâches par jour ! C’est probablement
une autre forme de servitude mais les site rend des services appréciés. Pour
l’instant, TaskRabbit est uniquement disponible aux Etats-Unis.
L’entreprise plate-forme
Comme le montrent
ces exemples, on est face à un changement profond. L’entreprise devient une plateforme d’échange entre des demandeurs et des offreurs de services. Pour fonctionner,
elle doit comprendre trois éléments de base :
§
Le
logiciel. Il pénètre inexorablement toutes les activités humaines et
transforme tous les produits et les services existants. On parle de « Software
Defined Economy ». C‘est une évolution considérable qui est le principal
moteur de la transformation numérique. Dans un article prémonitoire paru dans le Wall Street Journal du 20 août 2011 : « Why
Software is eating the World » Marc
Andreessen ([2]) montre que les start-up qui
réussissent sont des « software compagnies ». (Pour lire ce texte cliquez ici).
§
La
mobilité. Le développement des nouvelles applications donne désormais la
priorité à l’informatique mobile basée sur les smartphones. C’est la
« Mobile App Economy ». Elle repose fondamentalement sur les systèmes
d’exploitation Android et iOS qui dominent largement le marché.
§
L’économie
programmable. Elle recourt largement aux API. Ce sont des interfaces
simples à mettre en œuvre qui permettent de créer rapidement des applications
offrant de nombreuses fonctions. Elles sont proposées à tous les développeurs
par les grands opérateurs comme Google, Salesforce, Facebook, …. C’est le
succès de l’open-source. De plus, la plupart des API sont puissantes et facilitent
les évolutions à venir. Ce sont les nouvelles briques de l’économie numérique.
Le nouveau modèle de l’entreprise
plate-forme
La mise en place
de ce nouveau type d’organisation va se traduire par une nouvelle approche de
l’informatique des entreprises. Selon l’approche traditionnelle, chaque
fonction de l’entreprise dispose de son système d’information. Le développement
des ERP a permis de les faire communiquer entre elles et de partager les bases
de données.
Avec l’approche
de type plateforme, le système d’information gère les clients, les produits,
les services et les fournisseurs. Il devient le cœur de l’entreprise numérique.
C’est une restructuration en profondeur des systèmes existants. La gestion
financière et comptable n’est plus le cœur des systèmes d’information. Elle devient
un des systèmes satellites de la plate-forme d’échange qui va devenir le
nouveau noyau du système d’information.
Organisation du système d’information traditionnel et organisation en mode plateforme |
Nous sommes au
début d’une profonde évolution des entreprises. Elles vont devoir s’adapter à
marche forcée à ce nouveau paradigme du système d’information de façon à éviter
les risques « d’uberisation ». Dans ces conditions, on va
probablement assister à un déclin des entreprises qui restent attachées à leur
approche traditionnelle et au développement rapide des entreprises s’inspirant
du modèle des plateformes.
Tous les
secteurs sont touchés
Il ne faut pas
s’imaginer que seuls certains secteurs sont concernés par la transformation
numérique. Elle est engagée à des degrés divers dans tous les secteurs.
Certains sont très avancés comme le tourisme (notamment la réservation aérienne
et ferroviaire, l’hôtellerie), les médias, la banque, la distribution (notamment
tout le secteur du commerce électronique). D’autres secteurs sont plus longs à
évoluer comme le secteur des biens de consommation, la santé, le secteur public
(malgré la mise en place des déclarations et du paiement des impôts en ligne)
et la construction.
Mais ce n’est
qu’une question de temps et d’opportunité. Toutes les entreprises, quel que
soit leur secteur d’activité, vont devoir changer leur business modéle et
s’adapter à cette nouvelle donne.
Pour s’en assurer,
il est possible d’analyser les évolutions constatées dans quelques secteurs.
L’automobile est sortie de l’industrie
automobile
Un des secteurs
qui va rapidement évoluer est le secteur automobile.
Le changement le plus spectaculaire concerne bien sur l’arrivée imminente de la
voiture sans chauffeur. Mais ce n’est qu’une partie de la mutation en cours.
§
Tous les métiers de l’automobile sont concernés
en transformant les technologies, les usages et le business modèle.
§
À l’image des changements introduits par le smartphone
dans le secteur de l’informatique et des télécommunications, l’industrie
automobile est en train de se transformer progressivement en plate-forme
logicielle dont le véhicule n’est que la partie visible et dont le cœur est le
logiciel. Cette évolution va bouleverser la technologie, mais aussi les usages,
le modèle économique, les processus industriels, les compétences nécessaires, le
mode de commercialisation, …
§
Les smartphones et les tablettes vont remplacer
les autoradios, les GPS, les systèmes de diffusion vidéo, …. Ils vont permettre
de trouver une place de parking ou d’identifier le restaurant le plus proche.
Ils permettront de connecter le véhicule – et ses passagers – à la route, au
dépanneur, à la compagnie d’assurances, ... Les liens entre le constructeur et
son client se distendent au profit des différents acteurs du numérique qui s’attachent
à engranger des masses de données.
§
L’Open data, le Big Data, le Crowdsourcing, les Fab
Labs, … vont entrer dans la boîte à outils de l’automobile.
Mais la grande
question est de savoir s’il faut acheter la voiture ou s’il faut la louer le
temps de son utilisation. Dans les jeunes générations, on constate que la
voiture a perdu une bonne partie de son rôle affectif et social. Dans ces
conditions, pourquoi s’endetter pour un bien qui perd de la valeur au fil du
temps ?
La santé du
futur
Les systèmes médicaux de diagnostic et de soins se
numérisent et produisent un nombre croissant de données. Les médecins n’ont
plus les moyens de maîtriser cette masse d’information. Demain, ils recourront
au Big Data et à l’intelligence artificielle. Le système Watson d’IBM a de
nombreuses applications médicales. Grâce aux développements des objets
connectés il va être possible de développer des outils de diagnostic rapides et
peu coûteux. C’est un changement majeur car le patient reste chez lui et n’a
plus besoin de l’intervention d’un spécialiste. Le médecin risque de devenir
accessoire.
Ainsi Butterfly Network (Pour en savoir plus) est une start-up qui a développé en 18
mois un appareil portatif ne coûtant que 100 dollars. Il repose sur une technologie d’imagerie médicale par ultrason avec
une représentation des organes en 3D. Il fonctionne en temps réel sur un simple
smartphone (pour en savoir plus lire l’article de Antonio Regalado dans MIT
Technology Review du 3 novembre 2014 . (Pour lire l'article cliquez ici). Mieux, il est capable d’effectuer un diagnostic
grâce à une technologie d’Intelligence Artificielle. Ce système est
destiné aux patriciens mais aussi aux patients. Point important : il
sera très utile dans les pays en voie de développement souffrant d’une pénurie
de médecins.
La numérisation de la santé va
permettre de développer des outils connectés et accessibles à tous. Ils vont
permettre de largement diffuser des technologies d’imagerie médicale qui vont
permettre d’améliorer la qualité des diagnostics. Ils sont de plus accessibles
aux pays émergents. Cependant ils posent des problèmes analogues à ceux posés
par l’automédication. C’est un point d’éthique à prendre en compte.
L’industrie du futur
On assiste à une
évolution rapide de l’industrie. Une des mutations clés est le développement
des imprimantes 3D.
§
L'impression
3D ou impression tridimensionnelle sont les termes couramment
utilisés pour parler des procédés de fabrication additive. Initialement,
en raison de leurs défauts originels, ces procédés ont été développés pour
le prototypage rapide, mais maintenant ils sont de plus en plus utilisés
pour la fabrication de pièces détachées opérationnelles.
§
MultiFab,
l’imprimante 3D mise au point par le MIT,
est capable d’utiliser simultanément jusqu’à 10 matériaux différents et offre une précision d’impression de 40 microns. Il devient possible de
créer un objet ayant des textures, des couleurs et des niveaux de transparence
différents ou encore une pièce d’un seul tenant dont certaines parties sont
souples et d’autres rigides.
La construction du futur
La manière de
construire des logements va profondément changer dans les prochaines années
grâce à des imprimantes 3D de grande taille. L’entreprise de Shanghai « WinSun
Decoration Design Engineering » a présenté en au début de 2015 une
première construction réalisée en moins de 24 heures en utilisant une grande
imprimante 3D projetant un mélange de ciment et différents composants. Ce
procédé est couvert par plus de 77 brevets.
La distribution du futur
Le monde de la distribution a été bouleversé depuis
plusieurs années déjà avec l’apparition du e-commerce et de son acteur le plus
influent, Amazon. Aujourd’hui,
la distribution est condamnée à se réinventer autour de nouveaux modèles
logistique et de nouveaux outils. Pendant ce temps, de nouveaux modèles de
consommation collaborative s’installent progressivement dans notre quotidien. Les
exemples de ces nouvelles formes de distribution sont nombreux comme « La
ruche qui dit oui » (Pour en savoir plus) ou de messagerie comme « Piggy Bee » (Pour en savoir plus).
Conclusion
Comme on le voit,
un nouveau monde est en train de surgir devant nos yeux. Il repose sur un
nouveau type d’entreprise qui est, pour l’essentiel, organisé autour d’un puissant
système d’information reposant sur une plate-forme constituée principalement
par du logiciel. Ce sont les « Software Compagnies » annoncées par
Marc Andreessen. Elles reposent sur un système d’information ouvert. Chacun peut
connecter ses propres applications et ajouter des fonctions. De plus en plus,
les clients vont devenir mobiles et interagir avec les entreprises grâce à
leurs smartphones à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et depuis
n’importe où.
C’est un
changement considérable. Une nouvelle économie est en train d’émerger. Pendant
ce temps, des pans entiers de l’économie traditionnelle sont en train de disparaître.
En tant que consommateur, on ne peut qu’être enthousiasmé par ces innovations
qui changent la vie, mais en tant que citoyen on ne peut qu’être partagé car les
destructions de secteurs entiers de l’économie risquent d’avoir des
conséquences profondes sur notre modèle social et sociétal. Comme on le voit nos
intérêts sont de plus en plus antagonistes.
[1]
- Un geek est une personne passionnée souvent par la technologie. En néerlandais
« gek » désigne quelque chose de fou. Un geek est donc un fou de la technique.
[2]
- En 1993 Marc Andreessen fut le développeur
du premier navigateur Web Mosaic en 1993 alors qu’il était encore étudiant à
l’Université de l’Illinois et fut un des fondateurs de Netscape,