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vendredi 29 juillet 2016

Les entrepreneurs de la génération Y sont-ils plus doués que les autres ?

Par Bernard Quinio

Parmi les jeunes de la génération Y apparaissent des entrepreneurs qui semblent différents de leurs prédécesseurs. Leurs comportements surprennent et ils bâtissent des entreprises qui se distinguent des entreprises traditionnelles. Ces nouveaux entrepreneurs sont-ils réellement différents et leurs entreprises sont-elles plus performantes dans l’environnement actuel ? En passant par un point sur la génération Y et un rapide coup d’œil sur l’entrepreneuriat, on s’attachera à répondre à ces deux question.

Se retrouver dans le fatras de la génération Y

On a beaucoup écrit sur la génération Y notamment face aux nouvelles technologies. Mais beaucoup de choses sont inexactes. On attribue à une classe d’âge, la fameuse génération Y, des traits caractéristiques sans aucune approche scientifique. On affirme, sans s’inquiéter des contradictions, qu’ils sont à la fois égoïstes, altruistes, indépendants, éduqués, matures, technophiles, fainéants, etc. Cette approche des caractéristiques (dite approche par les traits) de la génération Y est basée sur des traits de caractères ou de comportements présumés mais non prouvés (voir à ce sujet ce que dit Jean Pralong dans FocusRH).
Dans les entreprises cohabitent actuellement trois générations (les plages de dates varient selon les auteurs) :
-          La génération des baby-boomeurs sont des personnes nées entre 1940 et 1960 (en fait ceux encore présents dans les entreprises sont nées après 1950). Ils ont connu l’après-guerre et les trente glorieuses.
-          La génération X sont des personnes nées entre 1960 et 1980. Elles ont été marquées par la guerre froide, puis ont assisté à la chute du mur de Berlin et ont plongé dans le chômage masse. Cette génération a été imprégnée par le culte de la performance du trader ou de l’entrepreneur star.
-          La génération Y sont des personnes nées entre 1990 et 2000. Ils sont numériques à la naissance, « nés avec un smartphone dans les mains ». Ils ont beaucoup voyagés notamment grâce au programme Erasmus. La gestion de l’environnement est une de leur préoccupation majeure et ils ont vu leurs parents mis brutalement au chômage.
Ce sont trois générations avec des histoires et des expériences différentes. Une génération est composée de personnes ayant à peu près le même âge et qui ont vécu en même temps les mêmes évènements significatifs. De par ce vécu commun au même âge, elles peuvent avoir des comportements génériques similaires.
Par exemple, les baby-boomers, ayant connu la fin de la guerre et les Trente Glorieuses, sont souvent très sensibles à la réussite matérielle (confort) et sociale (progression par rapport à leurs parents).
La génération Y, née avec Internet, a comme moyen d’échange naturel Facebook qui permet peu ou prou de faire « ce que je veux, avec qui je veux quand je veux ». La mobilité leur est naturelle et elle est souvent associée au goût des voyages facilités par l’Europe. Lorsqu’ils ont besoin d’un logiciel ils vont sur Internet, font une recherche sur Google et chargent le programme capable de faire le job sans se poser des questions de virus. Ils peuvent difficilement se passer de la technologie et ils sont pour certains dépendants d’elle. Mais une étude scientifique que j’ai réalisée il y a quelques années avec mon collègue Bruno Carpentier de l’ESCP Europe a montré qu’ils n’étaient pas du tout technophiles. La vision de leurs parents, mis brutalement à la porte ou n’arrivant pas à toucher une retraite suffisante, leur fait préférer le plaisir du jour aux promesses d’avenirs radieux à condition de souffrir dans un premier temps au travail.
Donc oui, la génération Y a quelques comportements qui sont différents de ceux des autres générations. Ce ne sont pas des traits de caractères tombés du ciel mais des réactions au contexte social dans lesquels ces jeunes ont grandis.

Le récent développement de l’entrepreneuriat étudiant en France

Dès la sortie de l’Université ou de l’école et même parfois alors qu’ils y sont encore, des étudiants créent leur propre start-up. Il existe de nombreux dispositifs pour les aider notamment le statut Etudiants Entrepreneurs porté pas les 29 Pépites de France. Selon certains, en France, il y aurait 1,5 % d’étudiants-entrepreneurs alors qu’aux Etats-Unis ils seraient près de 10 % ; la marge de progrès est bien là.
Il est vrai qu’on est parti de très loin (absence de dispositif d’aide, lourdeur, manque de lieux de création). Le pire était l’inhibition face à la crainte de l’échec, la valorisation de la conformité (logique d’examens et de concours) et une suspicion face à l’innovation. Sur ces derniers points, il reste encore beaucoup de travail à faire dans notre pays.
Mais la France commence à devenir un pays sérieux pour les startups et les résultats sont là. A Paris on assiste à la multiplication des créations et des incubateurs. La Halle Freycinet, qui est en cours de finition, devrait regrouper 1.000 start-ups.
Une vraie énergie de création est là et de nombreux nouveaux enhtrepreneurs Y sont aux manettes.

Ces nouveaux dirigeants sont-ils différents de leurs prédécesseurs ?

A partir d’entretien avec une vingtaine d’étudiants lançant leur start-up, il a été possible de mieux comprendre ce qui les pousse à créer leur entreprise et quels sont leurs principaux leviers. Leur premier objectif pour créer une entreprise est … de ne pas s’ennuyer ; ils veulent faire tous les jours des choses nouvelles dans des endroits variés.
Pour eux, les principaux leviers d’action sont :
-          Les contacts via Facebook ou d’autres réseaux sociaux. Ce ne sont plus les contacts avec les anciens de l’école et encore moins le simple label du diplôme ou la formation reçue.
-          Etre au plus proche de celui qui fait car c’est lui qui sait et qui doit être sollicité. C’est la « do-ocratie » des fab-lab
-          La confiance, le feeling, et le regard sont très essentiels : c’est l’intelligence émotionnelle qui prévaut.
-          Le leadership et la capacité de convaincre sont des leviers importants (ce point est commun à toute démarche d’entrepreneuriat).
-          Le partage, la collaboration et le rôle de l’équipe sont centraux. La mise en commun est fondamentale, la réussite forcement collective.
Pour préciser ces comportements quelques verbatim tirés des entretiens permettent d’illustrer la mutation introduite par les entrepreneurs Y :
-          « Je veux embaucher des gens plus intelligents que moi ».
-          « Patron c’est un mot négatif ».
-          « Le créateur c’est celui qui entraîne, celui qu’on suit ».
-          « On sait que tout se périme vite ».
-          « Il faut prendre de tout partout tout le temps et sans hésiter ».
-           « Fais ce qu’il te plait, tout de suite ».
-          « Il faut aller voir dans tous les autres pays ce qui marche et y prendre des idées »
Pour apprécier les différences entre ces nouveaux dirigeants et les anciens nous avons noté sur le tableau ci-dessous les comportements et les attitudes des uns et des autres.

Les nouveaux dirigeants
Les anciens dirigeants
Structure Horizontale / collaboration
Structure verticale / hiérarchie
Diffuser l’information
Garder l’information pour soi, c’est le pouvoir
Expliquer le pourquoi
Expliquer le comment
Prendre l’information où elle est
Faire confiance au label du diplôme et des pairs
Le pouvoir c’est entraîner
Le pouvoir c’est savoir
Le terrain de jeu est le monde
Le terrain de jeu c’est la France
Le numérique est naturel
Le numérique est une contrainte
Travailler où on veut quand on veut
Travailler de 9h à 20h dans une tour
Travailler en équipe, le collectif prime
Travailler avec un groupe réduit de gens sélectionnés

Comme tout comparatif, celui-ci a ses limites et peut être réducteur, mais il semble parlant. Les différences entre les nouveaux et les anciens dirigeants viennent essentiellement des éléments vécus au même moment par l’ensemble de cette génération. La structure horizontale prônée est celle de Facebook. Le pouvoir ne peut plus venir de l’information car elle est disponible partout pour tous. Le « comment » va se trouver sur le Web alors que le « pourquoi » n’y sera pas. La mobilité est naturelle et elle se retrouve dans les manières de travailler. Le numérique et l’international (même si des différences sociales sont forte sur ce point) sont naturels.

Ils sont donc bien différents, sont-ils pour autant plus performants ?

Ces nouveaux entrepreneurs créent des entreprises par essence digitales et qui n’ont donc pas nécessité de se transformer pour s’adapter au nouvel environnement numérique. Dans un précédent post, nous présentions les deux voies de la transformation digitale : 1) création de valeur sur les produits et services et 2) performance des activités et du management.
La génération Y a bien évidemment une avance considérable sur la deuxième voie et sans doute peu sur la première. Leur manière de travailler est naturellement digitale. Dans nos espaces de coworking ou dans nos incubateurs, nous savons qu’il est inutile de prévoir des bureaux ou des ordinateurs. Ils ne travaillent qu’avec leurs propres outils dans des espaces ouverts. Le réseau social avec son chat ou une plateforme collaborative est leur mode de coordination en lieu et place du mail chronophage. Ils savent travailler à distance, à plusieurs et de manière très efficace. Le management digital c’est pour eux le management tout court.
C’est cette avance culturelle qui peut les rendre plus performants. C’est pour cela, je pense, que le groupe Accor a imaginé une solution originale en créant un Comex bis composé exclusivement de personnes de moins de 30 ans.


Donc oui, les entreprises portées par ces entrepreneurs Y ont une avance sur les nouveaux modes de management et de travail digital. En revanche, rien ne dit que leurs stratégies, leurs tactiques, leurs modes de développement et la définition de leurs produits ou services soient plus performants que ceux des entreprises dirigées par des « anciens » entrepreneurs.

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