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vendredi 2 juin 2017

Est-ce que les robots tuent des emplois



Est-ce que les robots (ou l’IA) suppriment des emplois ?


Le débat est ancien mais il a été remis au gout du jour par l’élection présidentielle. Il est étonnant de voir la diversité des études, les différences dans les résultats et les grands écarts dans les interprétations. Essayons d’y voir clair et de comprendre les points essentiels.

Les études
L’étude mise en lumière par Benoit Hamon est celle de Frey et Osborne (2013) qui est résumée brutalement dans la presse par « les robots vont supprimer 47% des emplois ». Comme il est dit dans le titre elle porte sur les emplois susceptibles d’être fortement impactés voir supprimés par la technologie dans 20 ans. Les auteurs font un remarquable travail de décomposition d’emplois et d’analyse de l’impact de la technologie sur ces derniers. Avec cette méthode, dans d’autres pays, le pourcentage résultant est différent. En janvier 2017 et en France, le Conseil pour Orientation et l’emploi a repris ce principe pour une étude sur les tâches et non plus sur les emplois et là le pourcentage de disparition tombe à 9%.
Ces deux études sont très sérieuses et bien faites, elles ne sont pas appuyées uniquement sur un modèle mathématique et elles sont prospectives : « comment les technologies peuvent supprimer ou impacter fortement des emplois ou des tâches » en revanche, elles ne disent rien de ce qui se passe à côté (emplois créés ailleurs par la technologie) et elles raisonnent toujours « toutes choses égales par ailleurs » c’est-à-dire sans prise en compte des nouveaux secteurs, des développements de pays ou de nouvelle donnes écologiques.

Une étude du MIT relance le débat en mars 2017 : chaque robot détruit 6 emplois. Il s’agit ici d’une étude rétrospective et mathématique qui observe l’évolution du marché du travail de 1990 à 2007 dans chaque secteur d’activité qui a été robotisé. Un solide modèle mathématique est mis au point de manière sérieuse en prenant soin d’éviter les effets perturbateurs des autres facteurs de destruction d’emplois (importation ou offshoring). Mais comme les deux premières études prospectives, une faiblesse est la même : on regarde à un endroit (ce qui est entré dans le modèle mathématique) et pas partout. De plus, avec ce raisonnement (un robot détruit 6 emplois) nous devrions avoir en France moins de chômage qu’en Allemagne car nous avons beaucoup moins de robots.

Enfin le 3 avril 2017, une autre étude sérieuse prétend que les robots créent de l’emploi en Grande Bretagne ! Mais il s’agit là uniquement de déclaratif de responsables d’entreprises et c’est plus l’analyse sur la formation et l’impact social qui est ici pertinente.

Enfin n’oublions pas qu’une étude, même économique, mathématique et sérieuse, peut donner des résultats faux. On se souvient du bel exemple de l’étude de 2013 liant dette publique et récession.

Un vieux débat
Comme me l’a appris mon ami Claude Salzman, économiste et spécialistes de l’informatique, le débat sur l’impact des technologies sur l’emploi date de la révolte des luddites qui a précédée celle des Canuts en France. En modernisant les outils, on augmente la productivité donc a priori on supprime des emplois. Là où il fallait 3 ouvriers, s’il n’en faut plus que un, on a donc supprimé 2/3 des emplois : CQFD. Mais il faut tenir compte de la fabrication de ces outils modernisés (les métiers à tisser pour les Canuts) qui va demander de nouveaux ouvriers. De plus, l’augmentation de la productivité va (ou peut) créer de la richesse qui va augmenter la consommation et donc créer de l’emploi. La pure logique mathématique qui semble si évidente n’est donc pas toujours correcte.

Le même mode de raisonnement s’applique aux travaux agricoles où la taille des exploitations augmente, la main d’œuvre agricole diminue et la productivité augmente. Donc un homme seul peut cultiver toujours plus d’hectares en utilisant toujours plus de technologies (du tracteur jusqu’aux drones). La question de l’impact sur la santé et l’environnement est là si évidente qu’elle ne peut être oblitérée.

On voit sur ces exemples, que des emplois sont détruits mais que d’autres sont créés et que l’augmentation de la productivité est à prendre en compte. Quatre questions sont alors toujours posées par l’utilisation de la technologie sur l’emploi :
1.      Combien de créations d’emplois pour combien de destruction ?
2.      Quelles sont les compétences requises pour occuper ces nouveaux emplois ? Les ouvriers de l’ancien système peuvent-ils, en étant formés, travailler sur le nouveau système ? A-t’on le système de formation continue adéquate ?
3.      Où sont créés les nouveaux emplois ? Les ouvriers licenciés pourront-ils physiquement occuper ces emplois ? Quels est l’impact à l’international ?
4.      Si la technologie augmente la productivité et crée de la valeur ajoutée, quel est l’impact positif sur l’emploi ?

De nouvelles questions sont posées en 2017
On parle de technologie, d’informatique, de robots et d’Intelligence Artificielle (IA) en mettant tout dans le même sac. Est-ce exact ? L’IA n’a-t ’elle pas des caractéristiques différentes ? Combien d’emplois peuvent être supprimés dans un Call Center par l’utilisation d’un système intelligent de SAV ? D’un autre côté, combien de personnes sont capables de fabriquer un agent intelligent basé sur du « deep learning » ou du « quantum learning ».

La vision sociale et écologique est toujours absente de ces débats comme si on n’avait pas le choix et qu’il fallait forcement et toujours privilégier le robot à l’humain si c’est possible et moins cher. N’a-t’on vraiment pas le choix ? Ne peut-on écarter des nouveautés technologiques si elles produisent plus de dégâts que d’améliorations. N’y a-t-il pas d’autres solutions aussi innovantes mais moins couteuses pour l’environnement. On peut voir, par exemple, les expérimentations de permaculture dans le domaine agricole.

Enfin la taxe sur les robots est-elle vraiment une idée absurde ? La taxe carbone si difficilement et parcimonieusement mise en œuvre a aussi été jugée absurde dans les premiers débats. L’idée de taxer ce qui détruit un bien de la société n’est pas à rejeter à priori et sans autre argument que « c’est absurde » ou « cela va grever la compétitivité ». Et quand Bill Gates défend cette idée, on est en droit juste de réfléchir sans a priori.

En étant un peu plus intelligent, j’ose croire qu’on peut faire bouger les lignes et ne pas subir l’équation qui semble implacable : la technologie tue ou va tuer l’emploi.
Bernard Quinio

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