Pages

dimanche 15 novembre 2020

La blockchain et la gouvernance publique

Monsieur Jean Michel MIS, député de la Loire (LREM) et co-rapporteur du rapport sur la blockchain est intervenu le Mardi 10 novembre 2020 devant le Club Européen de la Gouvernance des Systèmes d’Information de 2018 pour faire le point sur l'action publique n France dans le domaine de la blockchain. Vous trouverez ensuite un post de Gilbert Reveillon, Conseiller du Commerce Extérieur, sur "la blockchain : est-il encore temps de choisir son camp ?" sur les enjeux politiques de la blockchain et le rôle particulier de la Chine.

 Mesdames, Messieurs,

Merci pour votre invitation à cette session du club européen de la gouvernance des systèmes d’information.

Je suis heureux de réaliser cette intervention et d’échanger avec vous sur la blockchain qui est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je suis, vous le savez, depuis plusieurs années, particulièrement investi sur ce sujet : d’abord en tant que rapporteur de la mission d’information parlementaire qui a rendu ses conclusions en 2018 à l’Assemblée nationale, ensuite en tant que Président d’honneur de la Fédération française des professionnels de la blockchain. Notre première réunion publique de lancement s’est tenue tout récemment en présence de Cédric Ô et des professionnels du secteur.

Je sais qu’au début, les directeurs des systèmes d’information, c’est-à-dire ceux qui ont la meilleure connaissance des infrastructures techniques socles de la transformation numérique, n’ont pas tous été convaincu par la blockchain, en raison de sa faible maturité technologique. C’est une attitude prudente et légitime. Néanmoins, un consensus émerge aujourd’hui sur les avantages qu’elle présente en termes de sécurité, de rapidité et de gains de productivités associés.

Alors que la blockchain était au départ annoncée comme un bouleversement technologique garant d’une plus grande horizontalisation du monde, elle est aujourd’hui au même titre que l’intelligence artificielle un enjeu de gouvernance publique. Elle transforme la manière dont s’exerce l’autorité politique, économique et administrative et in fine le pilotage des politiques publiques.

D’abord dans le champ économique où la France, après avoir raté le virage de la nouvelle économie dans les années 2000, souhaite agir rapidement dans la course aux innovations de rupture face à ses concurrents américains et chinois. La création d’un cadre réglementaire favorable à l’innovation et le lancement d’une stratégie industrielle ont vocation à combler cet écart.

Ensuite dans le champ monétaire, où plusieurs banques centrales mettent en place leurs propres monnaies digitales pour prendre de vitesse le projet de cryptoactif Libra initié par Facebook. L’euro numérique permettrait à la France et à l’Europe de disposer, avec un temps d’avance sur l’étranger, d’un puissant levier d’affirmation de souveraineté́.

Je suis convaincu que la question notre souveraineté dans l’espace numérique est décisive pour les années à venir. C’est la raison pour laquelle, en tant que vice-Président de la mission parlementaire relative à la souveraineté numérique, j’appelle à faire de la blockchain l’un des piliers de notre stratégie économique et monétaire. C’est sur ces deux points que je vais intervenir. 

 1)      La première étape pour les gouvernements qui veulent soutenir le développement de la blockchain est de créer un cadre législatif et réglementaire favorable à l’innovation et de formaliser une stratégie industrielle pour les technologies de rupture.

a.        En établissant un cadre juridique clair, nous permettrons à nos entrepreneurs de recourir à la blockchain et nous sécuriserons les investisseurs qui soutiennent l’essor de cette technologie.

 La France a été en la matière particulièrement exemplaire : elle a su mettre très tôt en place un cadre juridique favorable à l’essor de la blockchain pour renforcer notre attractivité et améliorer la compétitivité de nos entreprises à l’international.

 Ainsi le cadre juridique français a été progressivement clarifié pour permettre aux entrepreneurs d’utiliser la blockchain sans casser la dynamique d’innovation. Par exemple avec la loi PACTE, nous avons instauré un cadre pour les levées de fonds par émissions de jetons afin de sécuriser les émissions et de garantir l’intégrité du marché en fournissant une information fiable aux investisseurs.

 L’évolution de la réglementation dans un sens favorable aux technologies de rupture est un véritable enjeu pour renforcer l’attractivité de la France à l’international. En effet, il existe une forte concurrence sur le segment des technologies de rupture. La Chine a par exemple très clairement annoncé son intention de devenir leader sur la blockchain et aménage son cadre juridique pour soutenir des acteurs chinois, comme le rappelait le directeur général de Blockchain Partner lors de son audition au Sénat.

 C’est pour répondre à cet enjeu que j’ai préconisé à l’Assemblée de mener une revue générale des normes qui conditionnent encore l’essor de la blockchain.

b.      Mais créer un cadre juridique favorable est insuffisant. Nous devons aller plus loin en mettant en place une stratégie industrielle aussi bien en France qu’au niveau de l’Union européenne afin de favoriser le développement de la blockchain.

 La stratégie nationale blockchain répond en partie à cet objectif, en créant un écosystème alimenté par des financements publics de soutien à la R&D sur le modèle de l’intelligence artificielle. Dans le même sens, pas moins de sept milliards ont été annoncés sur les technologies de rupture dans le cadre de France Relance.

 Si je salue l’ensemble de ces initiatives, elles sont encore insuffisantes pour permettre à la France de se positionner comme leader sur la blockchain au niveau international et ainsi retrouver sa souveraineté.

 C’est à nous d’encourager le développement de solutions souveraines sur blockchain avec des infrastructures régaliennes et d’aider nos acteurs économiques à émerger. Je me réjouis à ce titre de la création de la Fédération françaises des professionnels de la blockchain qui a pour objectif de mettre en relation les acteurs privés afin qu’ils parlent d’une seule voix au niveau national et européen.

La France et l’Europe doivent assumer un soutien direct aux technologies de rupture et créer des écosystèmes favorables aux acteurs privés. Le principal obstacle est le renoncement généralisé alors qu’il faut faire de la souveraineté numérique un enjeu stratégique européen. C’est tout l’enjeu du mandat de la nouvelle Commission, comme le rappelait très récemment Thierry Breton : « Il faut désormais assurer la souveraineté numérique de l’Europe ».

2)      C’est également un enjeu décisif en matière monétaire, où il en va de la survie de notre gouvernance publique face aux GAFAM. Les gouvernements qui souhaitent soutenir l’essor de la blockchain doivent concurrencer les initiatives privées comme le Libra en créant en premier une monnaie digitale de banque centrale pour renforcer notre souveraineté

a.       L’annonce du lancement du Libra, un cryptoactif privé qui a pour objectif de servir de moyen de paiement sur les applications du groupe Facebook, a été très critiqué au niveau international au cours de l’année 2019.

 Le G7 et les gouvernements européens ont refusé en bloc le déploiement du Libra dans les conditions actuelles et rappellent aujourd’hui leur attachement à la souveraineté monétaire.

  J’avais en ce sens interpelé Bruno le Maire en juin dernier sur les dangers du Libra. En effet si différents risques ont toujours été associés à l’existence de monnaies digitales privées, leurs récents développements technologiques (les stablecoins, adossés à un panier de devises pour en stabiliser la valeur) impliquent des menaces spécifiques.

 Le rapport présenté par Benoit Coeuré, à qui le G7 avait confié la direction d’un groupe de travail sur le Libra, met en avant un risque systémique pour la stabilité des monnaies et une menace particulière en matière de blanchiment d’argent. Plus encore, ce sont les risques en matière de souveraineté monétaire qui alertent les gouvernements et les organisations internationales.

b.      C’est pour freiner ces initiatives privées qui menacent notre souveraineté que les banques centrales mettent en place leurs propres monnaies numériques sous forme de monnaie digitale de banque centrale.

 Il existe plusieurs projets de ce type au niveau international. Aux États-Unis le lancement de Fedcoins convertibles à parité avec le dollar est envisagé par la FED. De la même manière la banque centrale suédoise, confrontée à une diminution de l’utilisation du cash, envisage la mise en place d’une monnaie digitale officielle. Enfin en Chine, le projet de renminbi numérique est un élément déterminant de l’internalisation monétaire.

 En France la Banque de France a lancé en janvier 2020 son premier appel à projet pour expérimenter une monnaie digitale de banque centrale. Si elle avait déjà dans le passé réalisé des expérimentations blockchain, il s’agit du premier test d’envergure pour une monnaie digitale de gros, c’est-à-dire destinée au secteur financier.

 S’il convient d’anticiper les risques associés à l’émission d’une monnaie digitale de banque centrale, elle est une formidable opportunité pour retrouver notre souveraineté qui a été contestée par le lancement des monnaies privées. Les résultats permettront en outre à la France de contribuer à la réflexion plus globale conduite par l’Eurosystème sur la mise en place d’un euro numérique à l’échelle européenne.  

Nous avons aujourd’hui la possibilité de rebattre les cartes sur la blockchain en imposant de nouvelles règles qui s’accorderont mieux avec nos intérêts économiques et stratégiques et nos valeurs. La France doit être un moteur sur le développement d’infrastructures régaliennes indispensables au développement d’une blockchain souveraine et à la mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale européenne.

Blockchain : est-il encore temps de choisir son camp ?

 Par Gilbert Réveillon

L'intervention de Gilbert Réveillon, Conseiller du Commerce Extérieur, lors de la conférence du Club du 10 Novembre 2020, fait suite à celle de Jean-Michel Mis. Elle permet de situer les enjeux stratégiques de la blockchain et notamment le rôle particulièrement actif de la Chine. Face aux hésitations de la France et de l'Europe en matière de blockchain il expose les faits et montre l'importance de l'engagement chinois en sa faveur.


On n’a pas encore vu la vague de la blockchain mais elle est là. En France, comme en Europe, on s’interroge encore sur l’intérêt de cette innovation mais pendant ce temps-là la Chine développe à vive allure les applications de la blockchain. Cinq exemples parmi des dizaines :

·         11 grandes villes chinoises ayant chacune quelques 25 millions d’habitants ont mis en œuvre la blockchain pour faire fonctionner toutes les applications de services publiques, de paiement ainsi que différents services quotidiens. Ceci concerne plus de 300 millions de personnes et quelques millions d’entreprises, des très grandes mais aussi des myriades de PME (les SOE « State Owned Enterprise »).

·         La banque centrale de Chine, la People’s Bank of China, est en train de mettre en place une monnaie électronique reposant sur la blockchain et les cryptoactifs : le Rimini Digital ou Yuan Digital. L’objectif est de concurrencer le dollar non seulement en Chine mais surtout dans les 130 pays faisant partie de la Route de la Soie (la BRI :Belt & Road Initiative ou OBOR).

·         Le dernier smartphone de Huawei : le P40 est vendu en Chine avec en standard un « wallet » gérant des Yuans Digital reposant sur la blockchain. Cette application est opérationnelle après avoir été testée dans plusieurs villes chinoises sous le contrôle de l’administration.

·         Alibaba a développé pour ses clients une galaxie d’applications. Elle intègre depuis quelques années différentes interfaces avec des blockchains notamment pour effectuer des micro-paiements et des micro-dons le système AliPay après avoir concrétisés de nombreuses réalisations dans les domaines de l’agro-alimentaire et le « remittance » ([1]).

·         A Shenzhen, capitale montante de la technologie chinoise, Tencent, qui est un des plus grands sites chinois avec les messageries QQ et WeChat et surtout les jeux électroniques on-line, a mis sur la blockchain la gestion des titres de transports du métro de la ville ainsi que la gestion de ses milliers fournisseurs avec des gains de productivité et des possibilités de traçabilité impressionnants.

Manifestement les chinois ne nous ont pas attendu. Mais ils ne sont pas les seuls.

La révolution de la blockchain est en marche

Aux Etats-Unis, le congrès américain reconnaissait en décembre 2018 dans son rapport annuel les vertus de la blockchain sur les enjeux de la cybersécurité. Dans un autre domaine Walmart, qui est le plus grand distributeur mondial, a profondément réduit les délais de ses processus de logistique et de paiement. Aux États-Unis l'entreprise gère plusieurs centaines de milliers de fournisseurs. Grâce à la blockchain les délais sont passés de 7 jours à 2 secondes. De son côté IBM, qui est un acteur majeur de la blockchain, l’utilise pour sécuriser les architectures informatiques contre les cyberattaques. Elle s’en sert aussi pour effectuer la gestion de ses fournisseurs. Fort de ces expériences ses équipes développent des applications destinées au secteur de la finance.

En Europe un petit Etat, l’Estonie, est très en avance en matière de blockchain. Ils ont mis une grande partie des applications publiques concernant toute la vie des citoyens sur la blockchain allant de la tenue du registre des naissances, aux mariages, à la mort ainsi que le cadastre. Cela marche si bien qu’ils vendent des modules de leur système eGOV aux pays qui sont intéressés.

En France Carrefour a développé une application pour tracer les produits alimentaires grâce à la blockchain. C’est intéressant mais, comme on le voit, on ne joue pas dans la cour des grands. On fait des PoC, Proof of Concept, mais on hésite à aller plus loin en structurant la démarche et en mobilisant les ressources financières nécessaires. 

L’excellent rapport du député Jean-Michel Mis sur la blockchain publié en 2018 ([2]) a été une étape essentielle qui a permis de sensibiliser les décideurs publics de haut niveau aux bénéfices attendus de la blockchain et des cryptoactifs. C’est bien, mais aujourd’hui les enjeux sont devenus européens. Dans de nombreux pays on l’a bien compris et on a observé de nombreuses initiatives mais on est un peu « fleur au fusil ». Ceci est dû au fait que les décideurs ont actuellement tendance à sous-estimer l’ampleur de la menace.

Cependant il existe des entreprises qui réagissent. Ainsi une entreprise française de logistique de produits agricoles, Foodgates, a décidé de d’adopter le standard chinois de sécurisation BSN (Blockchain Service Network) ([3]) en avance sur tous ses concurrents européens (cf. Voir son communiqué de presse ([4])).

La cour des grands

AliPay, qui est la filiale financière d’Alibaba, compte un milliard de clients ([5]). Or à l’origine de ce mastodonte numérique il y a le fait que 60 % d’entre eux ne sont pas bancarisés et n’ont donc pas de carte de crédit et de compte bancaire traditionnel. Il n’était pas possible de leur faire des prêts car il n’était pas possible de leur appliquer les scores de risque traditionnels. Ils sont en effet totalement inappropriés à une masse aussi importante d’usagers AliPay a, dans un premier temps, développé pour ces clients une application de « wallet » fonctionnant sur tous les smartphones et reposant ainsi sur une blockchain native et « seamless », c’est-à-dire qu’il est possible d’y accéder sans interruption de charges ou de flux. Elle permet de faire toute sorte de paiements.

Ils ont ensuite développé une application de micro-crédit avec son propre système de scoring. Il applique strictement la réglementation chinoise de calcul du score de risques sociaux et comportementaux. Cette application est aussi basée sur la blockchain en utilisant ses possibilités d’interopérabilité ([6]). Cette opération a tellement réussi qu’aujourd’hui AliPay est devenu le 1er émetteur de crédit au monde. Cette activité est devenue tellement importante que le gouvernement chinois a perçu qu’elle comportait des risques systémiques et vient de mettre un sérieux coup de frein à cette expansion en imposant à AliPay de respecter les règles prudentielles appliquées par les banques et d’avoir suffisamment de fonds propres dédiés ([7]).

Mais Tencent n’est pas en reste et agit sur les mêmes domaines qu’Alibaba mais avec en plus un rôle important dans les logiciels de jeux on-line fonctionnant sur mobile qui représente un chiffre d’affaires de 18 milliards de dollars devant Sony qui, avec ses consoles de jeux, réalise 12 milliards de dollars et aussi tous les autres. Tencent a aussi une politique d’acquisition internationale qui se fait à un rythme phénoménal. Il a développé autour de Wechat un grand nombre de micro-services. Ils sont de l’ordre d’un million. Cette application ressemble à Facebook qui est interdit en Chine. Tencent a aussi développé ainsi un système de paiement mobile qui s’appelle WechatPay. Il a 1,2 milliard d’utilisateurs quotidien de ce système. Plusieurs de ses applications reposent aussi sur la blockchain. Ce système permet d’effectuer des paiements d’entreprise à entreprise, de consommateur à entreprise et de consommateur à consommateur. Dans certaines villes chinoises, les citoyens peuvent utiliser WechatPay pour payer leurs factures de gaz et d’électricité ou recharger leurs cartes de transport public.

Le gouvernement chinois surveille attentivement ces développements et commence à imposer des règles prudentielles à AliPay et à WeChatPay afin de mieux maîtriser ses champions. Ils se sont d’abord développés sur le territoire de la Chine. Ils se sont ensuite attaqués au marché de la région de la Great Bay Area (Hong Kong, Macao, …) et maintenant ils s’intéressent à plus d’une centaine de pays.

De plus le gouvernement central chinois est lui-même très actif en mettant en place 140 services recourant à la blockchain. Tout récemment le gouvernement vient d’en ajouter 12 qui seront d’abord testés dans la ville de Shenzhen. La lecture du tableau ci-dessous montre l’ampleur et les ambitions de cette démarche.

Voilà les 12 nouvelles applications de la blockchain chinoise annoncées en juillet 2020


La stratégie chinoise de mise en œuvre de la blockchain est clairement annoncée. La mise en place de ces applications se fait en deux temps. On commence par identifier les territoires qui serviront de test puis dans un deuxième temps, une fois qu’elles sont opérationnelles, on les généralise sur l’ensemble de la Chine, en y associant des avantages fiscaux et administratifs à l’instar des FTZ (Free Trade Zone dont la 1ère fut mise en œuvre à Shanghai). Enfin, point très important, les chinois n’ont pas attendus les réglementations européennes, américaines ou de l’ISO et ils ont défini leurs propres standards notamment en matière de sécurisation et d’interopérabilité entre applications reposant sur des blockchains. C’est le cas de l’entreprise française Certaines entreprises étrangères commencent à les adopter. C’est le cas de Foodgates avec le standard chinois BSN.

Ces déploiements ne sont pas le fait du hasard. Elles font parties d’un plan d’ensemble. A l’issu du 13e plan quinquennal qui vient de se terminer, le 14ème Plan de l’Etat chinois planifie les développements jusqu’en 2035. Or, ce plan accorde une place privilégiée à l’Intelligence Artificielle, au Quantum Computing et la Blockchain. Un exemple parfait de cette démarche a été l’annonce en 2018 par Huawei de faire de la blockchain en mode cloud intégrant du quantum computing en mode Saas ([8]). Cette annonce a constitué une onde de choc et a eu un grand impact international. Pour réussir ce pari et affirmer la suprématie des technologies chinoises et réaliser leurs ambitions internationales l’Etat mise sur « le couplage civil et militaire ». Xi Jinping définie cette démarche comme une « fusion » des démarches militaires et civils. Les dirigeants chinois en espèrent un puissant effet de levier. L’objectif est la conquête de marchés mondiaux en compétition ouverte avec les acteurs américains du numériques. Le découplage entre la Chine et les USA voulu par les américains a intensifié ce processus et, en même temps, a laissé libre cour aux fantasmes les plus surprenants.

Les avantages de la blockchain

La rapidité du déploiement de la blockchain est, en grande, due aux gains de productivité importants qu’elle permet de dégager. Ainsi dans une banque l’ouverture d’un compte est toujours une opération longue et délicate. Avec la blockchain il est possible de réduire ce délai à quelques minutes notamment grâce à l’interopérabilité des systèmes. Ceci se traduit par une réduction drastique des coûts des transactions. Ainsi une opération classique de change et de virement le coût est de 1 à 3 % du montant à traiter. C’est aussi le cas avec PayPal. La même opération faite avec la blockchain, quel que soit le montant, ne coûte que quelques centimes ([9]). Si on compare ces coûts avec ceux du système mondial de virement entre banques SWIFT qui gère sur des montants considérables la différence est importante. De manière plus générale la généralisation de la blockchain va permettre des économies massives et faire disparaître un grand nombre de rentes de situation. Face à cette menace qui met en jeux sa survie le réseau SWIFT a décidé de prendre en compte la blockchain. La création du réseau R3 illustre bien cette compréhension des enjeux. Récemment PayPal a annoncé l’intégration du bitcoin dans son offre.

L’arrivée de gros opérateurs comme pourrait l’être Facebook avec sa future crypto-monnaie Libra inquiète le monde bancaire et en particulier les banques centrales. En effet, fort de ces 2 milliards d’utilisateurs la firme de Mark Zukerberg pourrait considérablement bouleverser le monde de la finance et réduire considérablement ses commissions et donc ses profits. Cependant il faut relativiser cette menace car Facebook est interdit en Chine. Elle concerne surtout l’Europe et les Etats-Unis. Les pays d’Afrique et d’Asie faisant partie de la Route de la Soie sont protégés par le parapluie chinois. Ceci montre que les risques ne sont pas les mêmes selon le territoire.

L’avenir commence demain

Pour que la blockchain s’impose il est nécessaire de développer des standards de sécurité. C’est actuellement un point faible. Cependant, croyant bien faire, on risque de fixer des règles trop rigoureuses. De toute façon les chinois ont déjà fixé des règles et il est fort probable qu’elles vont s’imposer dans le monde entier comme c’est déjà le cas de Foodgates qui a intelligemment intégré BSN.

On a beaucoup agité le problème de la « scalabilité », c’est -à-dire une dégradation des performances lorsque la taille des chaines s’accroit. En vérité c’est un faux problème. Huawei, qui est un des leaders mondiaux de la blockchain, a résolu le problème en réalisant des prouesses techniques remarquables. Curieusement ce fait est ignoré en Europe et aux USA. Il est assez étonnant de considérer que cette entreprise est considérée comme un prédateur alors qu’en fait c’est un des leaders technologiques de classe mondiale ([10]).

On a actuellement en France une approche de la blockchain reposant sur des acteurs atomisés butant sur une série de faux problèmes mis en avant par de puissants lobbies politico-médiatiques défendant leurs intérêts. La souveraineté numérique française est menacée par cette vision trop étroite et souffre aussi des trop longs délais de réactions imposés par l’UE.

En ce qui concerne les crypto-monnaies on se plaint que le minage du bitcoin coûte de plus en plus chère. Certains y voient une limite infranchissable au développement de la blockchain. Mais, avec des ordinateurs quantiques, les japonais sont arrivés à effectuer une transaction de minage en 14 millisecondes. Ce n’est donc plus un problème, et le quantum computing s’invite dans la blockchain avec des réalisations de plus en plus percutantes en Russie, en Chine et aussi aux USA. Le cloud quantique de Huawei mais aussi la démarche d’Alibaba en ce domaine montre bien l’importance du retard a été pris.

Le poids croissant de la Chine

En fait les deux problèmes les plus importants qui se posent et sont liés à la politique chinoise. C’est d’une part le quasi-monopole des chinois sur les terres rares. Or, elles sont indispensables pour la fabrication des composants électroniques. La position dominante des USA avec Intel, AMD, Nvidia, … est déjà menacée par les sud-coréens et les taiwanais. Mais l’interdiction d’exportation des composants américains ont poussé la Chine à produire en masse des processeurs et des mémoires. Or le développement de la blockchain demande un nombre croissant de serveurs et ceux-ci demandent de plus en plus de composants électroniques.

D’autre part le découplage de la Chine et des USA voulue par la politique de rééquilibrage imposée par Donald Trump ne simplifie pas les problèmes d’adoption de la blockchain dans nos pays car la plupart de la technologie de la blockchain viennent de Chine. Par contre, ces mesures ont constitué un phénoménal coup d’accélérateur pour les entreprises chinoises. Le gouvernement, pour accélérer le mouvement, a décidé de mettre en place des incitations fiscales et administratives dans le cadre de solides programmes nationaux et locaux couvrant les 10 prochaines années.

Manifestement la Chine veut prendre le leadership face aux USA. Leur force tient au fait que ses décideurs raisonnent à 30 ans alors que dans nos pays l’horizon est annuel, voir trimestriel. Les chinois raisonnent en part de marché et non en termes de ROI (Retour sur Investissement). De plus ils sont capables de mobiliser des capitaux importants pour développer l’ensemble de la chaine de valeurs de la blockchain. Ils agissent aussi sur l’Intelligence Artificielle, le Quantum Computing et l’Internet des Objets. Il est vrai qu’ils raisonnent sur un marché à 1,3 milliard de consommateurs ce qui permet de massifier et décupler les usages. On voit très bien ce processus avec le développement de la 5G qui est déjà utilisée par 150 millions de personnes en Chine. Il faut aussi noter le rôle de certains acteurs comme Alibaba qui est, on le sait, le leader mondial du e-commerce. A titre d’exemple le 11 novembre, en un 24 heures au cours de la journée des célibataires il a réalisé 75 milliards de dollars de chiffre d’affaires ! Mais il est aussi un acteur déterminant dans le domaine du Quantum Cloud. Comme on le voit la blockchain est une pièce clé et pivot de la démarche stratégique de l’ensemble de la chaine de valeur mise en œuvre par l’Empire du Milieu.



[1] - La remittance est l’envoi fait par un travailleur expatrié d’une partie de son salaire à sa famille restée dans son pays d’origine. Plus généralement c’est l’envoi de petites sommes d’argent d’un pays à un autre.

[3] - BSN : A été développé par le Centre d’information de l’État chinois en coopération avec China Mobile, China Unionpay et Red Date Technologies. Il a pour objectif de construire une infrastructure qui abaissera progressivement les barrières d’accès aux technologies de la blockchain.

[5] - AliPay compte 600 millions d'utilisateurs actifs sur son marché domestique, et l'application de paiement mobile est déployée dans 36 pays dans le monde, dont 10 pays en Europe et en particulier en France (destiné aux touristes chinois).

[6] - Cette application est déjà largement diffusée à l’international. Ceci permet de comprendre le succès vertigineux du déploiement d’Alipay en Afrique et au Moyen Orient.

[7] - Alibaba est étroitement surveillé par les autorités chinoises. Récemment ses dirigeants envisageaient de mettre en Bourse sa filiale financière Ant Financials. L’administration chinoise a brusquement annulé l’opération que la société ne supportait pas les coûts financiers liés à l’application de la règlementation bancaire comme le font ses concurrents et de respecter les standards financiers internationaux tel que les IFRS ou encore de Bâle IV. C’est une inflexion importante de l’administration centrale chinoise car jusqu’alors Alibaba bénéficiait largement des facilités qu’elle lui accordait.

[9] - Si vous avez 10.000 euros à transférer avec un change en dollars cela vous coutera entre 100 et 300 euros avec une banque et à peu près le même montant avec PayPal (Avec PayPal les frais de transfert et de change entre la France et les États-Unis s’élèvent à 3,5 %) mais pour convertir cette somme en bitcoins cela ne coûte que 3 euros. C’est tout l’enjeu de la blockchain.

[10] - Il est assez étonnant que des faits fondamentaux sont ignorés en France et plus généralement en Europe. Au lieu de cela on essaie souvent de créer un champion national. On n’a pas tiré les leçons de l’échec du Cloud Souverain qu’il soit à vocation purement française ou européenne. Malgré les injections massives d’argent on n’y arrive pas !