Sans vouloir être
désagréable l’informatique publique n’est pas renommée par son efficacité.
Régulièrement la Cour des Comptes constate ces faiblesses : gestion de
projets incertaine, manque de compétences, de nombreux doubles-emplois,… Il y a
des succès comme la déclaration annuelle de l’impôt sur le revenu avec 13 millions
de personnes qui la font sur Internet. Mais à côté de ces réussites il y a
aussi des projets ayant quelques difficultés comme Chorus, Louvois, le DMP, l’ONP ,… La liste est longue.
Manifestement l’administration
rencontre des difficultés de coordination et de pilotage des projets. Il est
aussi possible qu’il existe des problèmes analogues dans le domaine de l’exploitation
et des communications avec des risques de duplications et des sous-emplois. Le
fait que chaque Ministère dispose de ses propres équipes informatiques et ses
propres centres de traitement se comprend dans le cas des plus grandes
administrations mais c’est plus difficile à justifier dans le cas des plus
petites entités ou des unités décentralisés.
Or, au cœur de
l’été un décret a été publié le 1er Août qui va profondément changer
la gouvernance de l’informatique publique. C’est une véritable mutation qui
remet en question des années de pratiques peu efficaces. Quelles sont ses
chances de réussite ?
Le contenu du décret et de l’arrêté
Le décret du 1erAoût 2014 est court. Il ne comprend que 3 articles. Le plus
important est le premier : « Le système d'information et de
communication de l'Etat est composé de l'ensemble des infrastructures et
services logiciels informatiques permettant de collecter, traiter, transmettre
et stocker les données sous forme numérique qui concourent aux missions des
services de l'Etat. » Ce texte est très important. En effet, il affirme que
l’ensemble des applications existantes constitue un système unique quel que
soit le Ministère concerné. Autre point important le décret concerne le système
d’information et pas uniquement le système informatique. C’est une vision large
qui représente une mutation profonde de l’approche traditionnelle.
Pour assurer la
cohérence des décisions il définit un principe le système d’information « est
placé sous la responsabilité du Premier ministre. ». C’est la
centralisation à outrance. Bien entendu il n’a ni le temps ni les compétences nécessaires
pour exercer ces responsabilités. Il va donc déléguer ce travail à la Direction
Interministériel des Systèmes d'Information et de Communication, la DISIC, qui
dépend du Secrétaire d’Etat chargé de la réforme de l’Etat et de lasimplification et de son Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action
Publique, SGMAP.
Cependant au
paragraphe suivant cette mission est déléguée aux ministres sauf en ce qui concerne
les matériels, les réseaux, les « services numériques d’usage
partagé » ainsi que les fonctions transversales. En quelques sorte on
centralise pour ensuite on décentralise mais en centralisant quand même. Comprenne
qui peut !
Il est de plus mis
en place à l’article 2 « un conseil du système d’information et de
communication ». Il est « placé auprès du Premier Ministre ». Il
regroupe les secrétaires généraux des ministères et le directeur de la DISIC. Cet
organe est chargé de « la définition et la mise en œuvre du cadre
stratégique commun », « du cadre commun de gestion de la performance »
et « des modalités de la mutualisation et de la gouvernance ». On
note l’importance accordé au pilotage de l’activité informatique.
Enfin, l’article
3 précise chaque ministre doit établir un « plan d’investissement couvrant
les projets et activités du ministère et des organismes placés sous sa tutelle
en matière de système d’information et de communication ». Fini les
schémas directeurs, vive les plans d’investissement.
Ce dispositif est
complété par un contrôle des projets supérieurs à une somme qui reste à
définir. Il est effectué par le directeur de la DISIC. Il a un mois pour approuver
le projet ou demander « tout complément d’information nécessaire ».
Curieusement ce
décret est complété par un arrêté qui revient sur les décisions précédentes : « A titre transitoire,
délégation est donnée aux ministres pour les infrastructures, les services
numériques d'usage partagé et les systèmes d'information relatifs à des
fonctions transversales des administrations de l'Etat. » Une fois de plus
on fait un pas à gauche puis un pas à droite. Les voies du seigneur sont
impénétrables. On peut simplement craindre que le régime transitoire risque de
durée.
Un nouveau dispositif de management
L’objectif de ce
dispositif est de diminuer les coûts de l’informatique publique. Jacques
Marzin, directeur de la DISIC, a annoncé dès le mois de mai 2014 dans un
entretien au Monde Informatique que ses ambitions sont de réduire les budgets informatiques des Ministères de
30 % à 40 % sur 5 ans. On se rappellera que Jaques Marzin est administrateur
des finances publiques. Il est assez logique s’intéresse en priorité à la
gestion de la dépense. A court terme l’objectif est de réduire le montant des
licences de logiciels et des prestations mais il est probable qu’à terme le
nombre de plateformes va diminuer.
Le grand projet
est d’unifier le réseau de l’Etat. Aussi étonnant que cela paraisse ce n’est
pas encore le cas ! De même il est prévu de mettre en place une messagerie
unifiée et un Cloud public. Wait and See.
L’autre grande
idée est d’inciter les décideurs à réfléchir sur les orientations des systèmes
d’information en créant un « conseil du système d’information et de
communication » interministériels. Deux fois par an les secrétaires
généraux des Ministères sont invités à réfléchir sur les orientations à
appliquer. C’est un progrès important car, jusqu’alors un organe de
concertation de ce type manquait. Chacun agissait dans son Ministère sans
grande coordination avec les autres Ministères et souvent avec des objectifs pas
toujours très clairs. De plus les ministres (en fait ce sera plutôt les
secrétaires généraux) sont incités se pencher sur les investissements en
systèmes d’information de l’ensemble des Ministères avec un accent particulier
accordé aux systèmes d’information transversaux. Beau sujet de réflexion !
En fait
l’administration publique s’inspire du modèle d’organisation des grandes entreprises
avec des informatiques par division ou par département, des centres de services
pour mutualiser certaines ressources comme le réseau, les serveurs,... et au
niveau central une équipe est chargée de coordonner les différentes opérations
et de piloter les projets majeurs.
Les limites de cette approche
Cette démarche est
intéressante, cependant elle a des limites. D’abord cette nouvelle organisation
concerne essentiellement les ministères et théoriquement elle prend en compte les
organismes qui sont sous leur tutelle. Mais on peut s’interroger si des
organismes qui ont des systèmes informatiques puissants comme l’Assurance
Maladie, les Allocations Familiales, les Caisses de Retraites, la Poste, la
Météo, le CEA, le CNRS et les organismes de recherche, … sont effectivement
prises en comptes par ce dispositif. De plus on ne sait pas de quelle manière seront
prises en comptes les collectivités locales : les maires, les communautés de
communes et les métropoles, les départements, les régions,…. Il est probable
que le domaine non-couvert est plus important que celui effectivement mis
sous-contrôle.
De plus rien
n’est dit sur la manière dont sera gérée l’informatique locale concernant les
postes de travail, les réseaux locaux, les imprimantes, les serveurs locaux,… Or,
c’est une part importante des systèmes d’information. Qui va les gérer ?
Les ministères, les unités de base ou la DISIC ? Ce sont des
investissements importants et ils représentent un effort de gestion et
d’assistance techniques conséquents. Pour l’instant le décret ne dit rien.
On peut de même s’interroger
sur la manière dont seront gérés les informaticiens. Est-ce qu’ils vont rester
dans leurs ministères où seront-ils à terme regroupés dans une entité centrale ?
Il semble que l’idée actuelle est de les laisser où ils sont. Mais, dans ce cas
on risque de ne pas constater des économies d’échelle significatives. De même
l’amélioration des compétences, notamment en matière de gestion de projet, ne
se fera que lentement. Enfin il reste toujours le problème du statut des
informaticiens. Tant qu’il n’y aura pas un corps des informaticiens du secteur
public les meilleurs ne choisiront pas ce type de carrière.
Autre point
délicat : la gestion de la sous-traitance. Jusqu’à aujourd’hui l’Etat a
tendance à vouloir tout faire par elle-même sous-prétexte que les données
traitées relèvent du domaine régalien. C’est la théorie. En pratique de
nombreux projets sont sous-traités. Mais cela se fait souvent dans la douleur.
A terme le développement de l’usage du cloud va se traduire par une
externalisation partielle ou totale de l’exploitation des administrations.
Enfin il y a un
terme absent dans le décret, c’est le terme de Schéma Directeur. Ce n’est pas
la même chose qu’un « plan d’investissement couvrant les projets et
activités du ministère ». Cette approche correspond au pilotage par les
coûts. C’est une démarche intéressante mais elle ne constitue pas pour autant une
stratégie. On est loin d’une vision du rôle des systèmes d’information. Jacques
Marzin affirme dans son interview au Monde Informatique du mois de Mai :
« je suis persuadé qu'il faut investir dans le système d'information pour
améliorer le service aux citoyens autant que les outils dont disposent les
agents publics. » C’est bien, mais il serait mieux de le traduire sous
forme d’une stratégie ?
Les objectifs de l’informatique publique
L’ensemble de ces
mesures a pour objectif d’améliorer la gouvernance informatique et la prise en
compte de quatre points importants concernant les systèmes d’information :
- Mieux
connaître les coûts des Système d’Information. Pour l’instant ils sont mal
connus. Très souvent les coûts des projets ne comprennent que le montant des travaux
sous-traités en ignorant les montants des fonctionnaires intervenant dans le
projet. Il sera enfin possible de connaître le vrai coût des projets. Peut-être
à terme on va finir par s’intéresser aux coûts des systèmes d’information. On
est sur la bonne voie mais il faut attendre de disposer des chiffres pour
apprécier la réalité de ces progrès.
- Savoir
gérer les projets. Manifestement l’Etat a du mal à les gérer. Il y a eu ces
dernières années quelques plantages redoutables et coûteux. Ceci est dû, en
partie, à l’absence de culture projet des décideurs administratifs ou politiques.
Dans leur monde le court terme l’emporte toujours sur le long terme. De plus l’organisation
des projets hors hiérarchie va à l’encontre d’une tradition administrative vieille
de plusieurs siècles. C’est une nouvelle culture qui a du mal à se mettre en
place.
- Améliorer
les services fournis aux usages-citoyens-contribuables. C’est un souci louable
mais il faut bien l’avouer la plupart des sites publiques ne sont pas faciles d’accès.
Certains ont encore une amabilité de crocodile. On peut en faire la liste. Il
est certain que les différentes administrations pourraient rendre de nombreux
services qu’elles ne fournissent pas actuellement ou seulement de manière
partielle et peu satisfaisante. C’est un domaine où il est possible de faire
d’importants progrès.
- Simplifier
les procédures internes des administrations. C’est le cœur du problème. Les
règles qu’elles appliquent ont été inventées il y a des décennies (voir plus)
et n’ont pas été revues depuis. Les applications informatiques ont été plaquées
sur ce qui existait sans s’interroger sur le fonctionnement des systèmes
d’information. Il est probable qu’une partie importante des difficultés
rencontrées sont dues à la complexité excessive des procédures existantes. Il
est nécessaire de les simplifier. Il est pour cela indispensable d’avoir une
vision globale du système d’information.
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