Par Bernard Quinio
Parmi
les jeunes de la génération Y apparaissent des entrepreneurs qui semblent différents
de leurs prédécesseurs. Leurs comportements surprennent et ils bâtissent des
entreprises qui se distinguent des entreprises traditionnelles. Ces nouveaux
entrepreneurs sont-ils réellement différents et leurs entreprises sont-elles
plus performantes dans l’environnement actuel ? En passant par un point
sur la génération Y et un rapide coup d’œil sur l’entrepreneuriat, on
s’attachera à répondre à ces deux question.
Se retrouver dans le fatras de la
génération Y
On
a beaucoup écrit sur la génération Y notamment face aux nouvelles technologies.
Mais beaucoup de choses sont inexactes. On attribue à une classe d’âge, la
fameuse génération Y, des traits caractéristiques sans aucune approche
scientifique. On affirme, sans s’inquiéter des contradictions, qu’ils sont à la
fois égoïstes, altruistes, indépendants, éduqués, matures, technophiles, fainéants,
etc. Cette approche des caractéristiques (dite approche par les traits) de la
génération Y est basée sur des traits de caractères ou de comportements
présumés mais non prouvés (voir à ce sujet ce que dit Jean
Pralong dans FocusRH).
Dans
les entreprises cohabitent actuellement trois générations (les plages de dates
varient selon les auteurs) :
-
La
génération des baby-boomeurs sont des personnes nées entre 1940 et 1960 (en
fait ceux encore présents dans les entreprises sont nées après 1950). Ils ont
connu l’après-guerre et les trente glorieuses.
-
La génération
X sont des personnes nées entre 1960 et 1980. Elles ont été marquées par la
guerre froide, puis ont assisté à la chute du mur de Berlin et ont plongé dans le
chômage masse. Cette génération a été imprégnée par le culte de la performance
du trader ou de l’entrepreneur star.
-
La génération
Y sont des personnes nées entre 1990 et 2000. Ils sont numériques à la
naissance, « nés avec un smartphone dans les mains ». Ils ont
beaucoup voyagés notamment grâce au programme Erasmus. La gestion de l’environnement
est une de leur préoccupation majeure et ils ont vu leurs parents mis
brutalement au chômage.
Ce
sont trois générations avec des histoires et des expériences différentes. Une
génération est composée de personnes ayant à peu près le même âge et qui ont
vécu en même temps les mêmes évènements significatifs. De par ce vécu commun au
même âge, elles peuvent avoir des comportements génériques similaires.
Par
exemple, les baby-boomers, ayant connu la fin de la guerre et les Trente
Glorieuses, sont souvent très sensibles à la réussite matérielle (confort) et
sociale (progression par rapport à leurs parents).
La
génération Y, née avec Internet, a comme moyen d’échange naturel Facebook qui
permet peu ou prou de faire « ce que je veux, avec qui je veux quand je
veux ». La mobilité leur est naturelle et elle est souvent associée au
goût des voyages facilités par l’Europe. Lorsqu’ils ont besoin d’un logiciel
ils vont sur Internet, font une recherche sur Google et chargent le programme
capable de faire le job sans se poser des questions de virus. Ils peuvent
difficilement se passer de la technologie et ils sont pour certains dépendants d’elle.
Mais une
étude scientifique que j’ai réalisée il y a quelques années avec mon collègue
Bruno Carpentier de l’ESCP Europe a montré qu’ils n’étaient pas du tout
technophiles. La vision de leurs parents, mis brutalement à la porte ou
n’arrivant pas à toucher une retraite suffisante, leur fait préférer le plaisir
du jour aux promesses d’avenirs radieux à condition de souffrir dans un premier
temps au travail.
Donc
oui, la génération Y a quelques comportements qui sont différents de ceux des
autres générations. Ce ne sont pas des traits de caractères tombés du ciel mais
des réactions au contexte social dans lesquels ces jeunes ont grandis.
Le récent développement de l’entrepreneuriat
étudiant en France
Dès la sortie de l’Université ou de l’école et même parfois alors qu’ils y sont encore, des étudiants créent leur propre start-up. Il existe de nombreux dispositifs pour les aider notamment le statut Etudiants Entrepreneurs porté pas les 29 Pépites de France. Selon certains, en France, il y aurait 1,5 % d’étudiants-entrepreneurs alors qu’aux Etats-Unis ils seraient près de 10 % ; la marge de progrès est bien là.
Il
est vrai qu’on est parti de très loin (absence de dispositif d’aide, lourdeur,
manque de lieux de création). Le pire était l’inhibition face à la crainte de
l’échec, la valorisation de la conformité (logique d’examens et de concours) et
une suspicion face à l’innovation. Sur ces derniers points, il reste encore
beaucoup de travail à faire dans notre pays.
Mais
la France commence à devenir un pays sérieux pour les startups et les résultats
sont là. A Paris on assiste à la multiplication des créations et des
incubateurs. La Halle Freycinet, qui
est en cours de finition, devrait regrouper 1.000 start-ups.
Une
vraie énergie de création est là et de nombreux nouveaux enhtrepreneurs Y sont
aux manettes.
Ces nouveaux dirigeants sont-ils différents
de leurs prédécesseurs ?
A partir d’entretien avec une vingtaine d’étudiants lançant leur start-up, il a été possible de mieux comprendre ce qui les pousse à créer leur entreprise et quels sont leurs principaux leviers. Leur premier objectif pour créer une entreprise est … de ne pas s’ennuyer ; ils veulent faire tous les jours des choses nouvelles dans des endroits variés.
Pour eux, les principaux
leviers d’action sont :
-
Les contacts via Facebook ou d’autres réseaux
sociaux. Ce ne sont plus les contacts avec les anciens de l’école et encore
moins le simple label du diplôme ou la formation reçue.
-
Etre au plus proche de celui qui fait car c’est
lui qui sait et qui doit être sollicité. C’est la « do-ocratie » des
fab-lab
-
La confiance, le feeling, et le regard sont très
essentiels : c’est l’intelligence émotionnelle qui prévaut.
-
Le leadership et la capacité de convaincre sont
des leviers importants (ce point est commun à toute démarche d’entrepreneuriat).
-
Le partage, la collaboration et le rôle de l’équipe
sont centraux. La mise en commun est fondamentale, la réussite forcement
collective.
Pour
préciser ces comportements quelques verbatim tirés des entretiens permettent d’illustrer
la mutation introduite par les entrepreneurs Y :
-
« Je veux embaucher des gens plus
intelligents que moi ».
-
« Patron c’est un mot négatif ».
-
« Le créateur c’est celui qui entraîne,
celui qu’on suit ».
-
« On sait que tout se périme vite ».
-
« Il faut prendre de tout partout tout le
temps et sans hésiter ».
-
« Fais
ce qu’il te plait, tout de suite ».
-
« Il faut aller voir dans tous les autres
pays ce qui marche et y prendre des idées »
Pour
apprécier les différences entre ces nouveaux dirigeants et les anciens nous avons
noté sur le tableau ci-dessous les comportements et les attitudes des uns et
des autres.
Les nouveaux dirigeants
|
Les anciens
dirigeants
|
Structure Horizontale /
collaboration
|
Structure verticale /
hiérarchie
|
Diffuser l’information
|
Garder l’information
pour soi, c’est le pouvoir
|
Expliquer le pourquoi
|
Expliquer le comment
|
Prendre l’information où
elle est
|
Faire confiance au label
du diplôme et des pairs
|
Le pouvoir c’est
entraîner
|
Le pouvoir c’est savoir
|
Le terrain de jeu est le
monde
|
Le terrain de jeu c’est
la France
|
Le numérique est naturel
|
Le numérique est une
contrainte
|
Travailler où on veut
quand on veut
|
Travailler de 9h à 20h
dans une tour
|
Travailler en équipe, le
collectif prime
|
Travailler avec un
groupe réduit de gens sélectionnés
|
Comme tout comparatif,
celui-ci a ses limites et peut être réducteur, mais il semble parlant. Les
différences entre les nouveaux et les anciens dirigeants viennent essentiellement
des éléments vécus au même moment par l’ensemble de cette génération. La
structure horizontale prônée est celle de Facebook. Le pouvoir ne peut plus
venir de l’information car elle est disponible partout pour tous. Le « comment »
va se trouver sur le Web alors que le « pourquoi » n’y sera pas. La
mobilité est naturelle et elle se retrouve dans les manières de travailler. Le
numérique et l’international (même si des différences sociales sont forte sur
ce point) sont naturels.
Ils sont donc bien différents, sont-ils pour autant plus performants ?
Ces nouveaux entrepreneurs créent des entreprises par essence digitales et qui n’ont donc pas nécessité de se transformer pour s’adapter au nouvel environnement numérique. Dans un précédent post, nous présentions les deux voies de la transformation digitale : 1) création de valeur sur les produits et services et 2) performance des activités et du management.
La
génération Y a bien évidemment une avance considérable sur la deuxième voie et
sans doute peu sur la première. Leur manière de travailler est naturellement
digitale. Dans nos espaces de coworking ou dans nos incubateurs, nous savons
qu’il est inutile de prévoir des bureaux ou des ordinateurs. Ils ne travaillent
qu’avec leurs propres outils dans des espaces ouverts. Le réseau social avec
son chat ou une plateforme collaborative est leur mode de coordination en lieu
et place du mail chronophage. Ils savent travailler à distance, à plusieurs et
de manière très efficace. Le management digital c’est pour eux le management
tout court.
C’est
cette avance culturelle qui peut les rendre plus performants. C’est pour cela,
je pense, que le groupe Accor a imaginé une solution originale en créant un
Comex bis composé exclusivement de personnes de moins de 30 ans.
Donc
oui, les entreprises portées par ces entrepreneurs Y ont une avance sur les
nouveaux modes de management et de travail digital. En revanche, rien ne dit
que leurs stratégies, leurs tactiques, leurs modes de développement et la
définition de leurs produits ou services soient plus performants que ceux des
entreprises dirigées par des « anciens » entrepreneurs.