Est-ce que les robots (ou l’IA) suppriment des emplois ?
Le débat est ancien mais il a été remis au gout du jour par
l’élection présidentielle. Il est étonnant de voir la diversité des études, les
différences dans les résultats et les grands écarts dans les interprétations.
Essayons d’y voir clair et de comprendre les points essentiels.
Les études
L’étude mise en lumière par Benoit Hamon est celle de Frey et
Osborne (2013) qui est résumée brutalement dans la presse par « les
robots vont supprimer 47% des emplois ». Comme il est dit dans le titre
elle porte sur les emplois susceptibles
d’être fortement impactés voir supprimés par la technologie dans 20 ans. Les
auteurs font un remarquable travail de décomposition d’emplois et d’analyse de
l’impact de la technologie sur ces derniers. Avec cette méthode, dans d’autres
pays, le pourcentage résultant est différent. En janvier 2017 et en France, le
Conseil pour Orientation et l’emploi a repris ce principe pour
une étude sur les tâches et non plus sur les emplois et là le pourcentage
de disparition tombe à 9%.
Ces deux études sont très sérieuses et bien faites, elles ne
sont pas appuyées uniquement sur un modèle mathématique et elles sont prospectives :
« comment les technologies peuvent supprimer ou impacter fortement des
emplois ou des tâches » en revanche, elles ne disent rien de ce qui se
passe à côté (emplois créés ailleurs par la technologie) et elles raisonnent
toujours « toutes choses égales par ailleurs » c’est-à-dire sans
prise en compte des nouveaux secteurs, des développements de pays ou de
nouvelle donnes écologiques.
Une étude du MIT
relance le débat en mars 2017 : chaque
robot détruit 6 emplois. Il s’agit ici d’une étude rétrospective et
mathématique qui observe l’évolution du marché du travail de 1990 à 2007 dans
chaque secteur d’activité qui a été robotisé. Un solide modèle mathématique est
mis au point de manière sérieuse en prenant soin d’éviter les effets
perturbateurs des autres facteurs de destruction d’emplois (importation ou
offshoring). Mais comme les deux premières études prospectives, une faiblesse
est la même : on regarde à un endroit (ce qui est entré dans le modèle
mathématique) et pas partout. De plus, avec ce raisonnement (un robot détruit 6
emplois) nous devrions avoir en France moins de chômage qu’en Allemagne car nous
avons beaucoup moins de robots.
Enfin le 3 avril 2017, une
autre étude sérieuse prétend que les robots créent de l’emploi en Grande
Bretagne ! Mais il s’agit là uniquement de déclaratif de responsables
d’entreprises et c’est plus l’analyse sur la formation et l’impact social qui
est ici pertinente.
Enfin n’oublions pas qu’une étude, même économique, mathématique
et sérieuse, peut donner des résultats faux. On se souvient du bel
exemple de l’étude de 2013 liant dette publique et récession.
Un vieux débat
Comme me l’a appris mon ami Claude Salzman,
économiste et spécialistes de l’informatique, le débat sur l’impact des
technologies sur l’emploi date de la révolte des luddites qui a
précédée celle des Canuts en France. En modernisant les outils, on augmente la
productivité donc a priori on supprime des emplois. Là où il fallait 3
ouvriers, s’il n’en faut plus que un, on a donc supprimé 2/3 des emplois :
CQFD. Mais il faut tenir compte de la fabrication de ces outils modernisés (les
métiers à tisser pour les Canuts) qui va demander de nouveaux ouvriers. De
plus, l’augmentation de la productivité va (ou peut) créer de la richesse qui
va augmenter la consommation et donc créer de l’emploi. La pure logique
mathématique qui semble si évidente n’est donc pas toujours correcte.
Le même mode de raisonnement s’applique aux travaux
agricoles où la
taille des exploitations augmente, la main d’œuvre agricole diminue et la
productivité augmente. Donc un homme seul peut cultiver toujours plus
d’hectares en utilisant toujours plus de technologies (du tracteur jusqu’aux
drones). La question de l’impact sur la santé et l’environnement est là si
évidente qu’elle ne peut être oblitérée.
On voit sur ces exemples, que des emplois sont détruits mais
que d’autres sont créés et que l’augmentation de la productivité est à prendre
en compte. Quatre questions sont alors toujours posées par l’utilisation de la
technologie sur l’emploi :
1.
Combien de créations d’emplois pour combien de
destruction ?
2.
Quelles sont les compétences requises pour
occuper ces nouveaux emplois ? Les ouvriers de l’ancien système peuvent-ils,
en étant formés, travailler sur le nouveau système ? A-t’on le système de
formation continue adéquate ?
3.
Où sont créés les nouveaux emplois ? Les
ouvriers licenciés pourront-ils physiquement occuper ces emplois ? Quels
est l’impact à l’international ?
4.
Si la technologie augmente la productivité et
crée de la valeur ajoutée, quel est l’impact positif sur l’emploi ?
De nouvelles questions
sont posées en 2017
On parle de technologie, d’informatique, de robots et
d’Intelligence Artificielle (IA) en mettant tout dans le même sac. Est-ce
exact ? L’IA n’a-t ’elle pas des caractéristiques différentes ?
Combien d’emplois peuvent être supprimés dans un Call Center par l’utilisation
d’un système intelligent de SAV ? D’un autre côté, combien de personnes
sont capables de fabriquer un agent intelligent basé sur du « deep
learning » ou du « quantum learning ».
La vision sociale et écologique est toujours absente de ces
débats comme si on n’avait pas le choix et qu’il fallait forcement et toujours
privilégier le robot à l’humain si c’est possible et moins cher. N’a-t’on
vraiment pas le choix ? Ne peut-on écarter des nouveautés technologiques
si elles produisent plus de dégâts que d’améliorations. N’y a-t-il pas d’autres
solutions aussi innovantes mais moins couteuses pour l’environnement. On peut
voir, par exemple, les
expérimentations de permaculture dans le domaine agricole.
Enfin la taxe sur les robots est-elle vraiment une idée
absurde ? La taxe carbone si difficilement et parcimonieusement mise en
œuvre a aussi été jugée absurde dans les premiers débats. L’idée de taxer ce
qui détruit un bien de la société n’est pas à rejeter à priori et sans autre
argument que « c’est absurde » ou « cela va grever la
compétitivité ». Et quand Bill Gates défend cette idée,
on est en droit juste de réfléchir sans a priori.
En étant un peu plus intelligent, j’ose croire qu’on peut
faire bouger les lignes et ne pas subir l’équation qui semble implacable :
la technologie tue ou va tuer l’emploi.
Bernard Quinio